Tunisie: risque élevé d’aggravation de la crise économique après le rejet des «diktats» du FMI par le président Kaïs Saïed

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Le 07/04/2023 à 22h08

La sortie du président tunisien Kaïs Saied rejetant les «diktats» du Fonds monétaire international (FMI) qui conditionne l’octroi d’un prêt de 1,9 milliard de dollars à la mise en place de réformes économiques, dont la levée de certaines subventions, risque d’éloigner la signature définitive de cet accord. L’absence d’accord et donc du déblocage de fonds risque d’aggraver la crise économique que traverse le pays.

Alors que la signature de l’accord définitif entre la Tunisie et le Fonds monétaire international (FMI) portant sur un prêt de 1,9 milliard de dollars tarde à se concrétiser, la sortie du président Kaïs Saied risque tout simplement de le remettre en cause.

En marge de la célébration des 23 ans du décès du père de l’indépendance tunisienne Habib Bourguiba, le président tunisien a semblé avoir décidé de mettre délibérément fin aux discussions avec le FMI. En tout cas il affiche sa volonté de remettre en cause l’accord entre les deux parties, même s’il se contredit, sachant qu’il a lui-même approuvé la loi de finances 2023 qui contient les réformes à entreprendre par la Tunisie dont l’élimination progressive des subventions occupe une place centrale.

Les mots utilisés ne semblent d’ailleurs laisser aucun doute sur les velléités du président tunisien. «En ce qui concerne le FMI, les diktats qui viennent de l’étranger et ne causent que plus d’appauvrissement sont rejetées», a déclaré Kaïs Saied en réponse à une question sur la signature de l’accord entre son pays et l’institution de Breton Woods. «Ils veulent que nous écoutions leur discours», a-t-il déclaré, avant d’ajouter: «nous n’écouterons personne sauf Dieu et la voix du peuple».

Face à la flambée actuelle des prix, le président tunisien se dit préoccupé quant aux conséquences de la levée des subventions sur la paix sociale dans le pays. La Tunisie fait face à une crise économique aigüe et à une inflation qui érode de jour en jour le pouvoir d’achat de sa population. Malheureusement, dans un tel contexte, la levée des subventions risque d’aggraver la spirale inflationniste. D’ailleurs, c’est la crainte des conséquences de cette inflation qui a poussé le président à changer de position. Ainsi, il a cité les émeutes qui ont éclaté en Tunisie il y a de cela 40 ans et qui ont été causées par des ajustement sur les subventions alimentaires dans le cadre d’un précédent accord avec le FMI. «il faut trouver d’autres idées car la paix sociale n’est pas un jeu ou quelque chose qui peut être pris à la légère», a-t-il-martelé.

Au-delà du discours populiste, ce sont les conséquences de cette sortie qui inquiètent les Tunisiens. En refusant la conditionnalité du prêt du FMI, le président tunisien sait qu’il lui sera difficile d’obtenir des fonds de l’institution. Surtout que cette dernière a déjà été roulée dans la farine par les précédents gouvernements tunisiens qui ont obtenu des prêts, mais sans jamais respecter leurs engagements en matière de réformes préconisées.

Les conséquences de l’absence d’un accord FMI-Tunisie sont nombreuses et vont concourir à l’aggravation de la crise économique et financière que traverse le pays.

D’abord, la sortie de Saied ne va pas faciliter la signature d’un accord entre les deux parties. Or, sans cet accord, il n’y aura pas de déblocage de fonds en faveur de la Tunisie. Et ce sera le cas pour les autres bailleurs de fonds qui attendaient l’accord entre les deux parties pour débloquer à leur tour des fonds en faveur du pays. Du coup, la crise financière que traverse la Tunisie risque d’aggraver les pénuries.

Ensuite, et conséquence de ce blocage, la Tunisie va voir ses réserves en devises continuer inexorablement leur baisse. Ces réserves se situent actuellement autour 95 jours d’importations de biens et services et donc proches des 90 jours considéré comme «seuil critique». En outre, la baisse des réserves en devises va aussi contribuer à affaiblir le dinar tunisien par rapport aux devises (dollar, euro…) et aggraver par la même occasion l’inflation que redoute tant le président Saied.

Par ailleurs, la sortie du président a eu comme effet immédiat de faire chuter le cours des obligations tunisiennes. Celles-ci ont enregistré une forte chute consécutive au risque d’éloignement d’un accord avec le FMI qui pourrait accroître le risque de défaut de paiement du pays. Une situation redoutée par les investisseurs et les prêteurs du pays.

En tout, il urge désormais pour les dirigeants tunisiens de trouver une alternative au prêt du FMI. Sachant que d’autres institutions et Etats ne comptent pas venir à son secours sans un accord avec l’institution, le président Saied a expliqué aux Tunisiens que la solution est interne. «L’alternative est que nous devons compter sur nous-mêmes», a souligné le président. En clair, il compte sur l’endettement intérieur pour faire face aux besoins de financement du pays.

Seulement, après plusieurs années de crises, les entreprises et les ménages tunisiens sont durement affectés et sont au bout du rouleau. En conséquence, ils auront du mal à répondre aux besoins de financement importants du pays. Cela sans compter la perte de confiance de nombreux citoyens et hommes d’affaires tunisiens en la capacité de l’actuel régime à sortir le pays de la crise multidimensionnelle dans laquelle il est plongée. C’est dire que cette solution est tout simplement une impasse, d’autant plus que le pays a besoin de devises pour faire face à ses importations de biens et services.

La situation est si critique que certains observateurs craignent le pire. C’est le cas de l’économiste Ridha Chkoundali qui, dans une déclaration à Tunisie Numérique, a tout simplement souligné, parlant des conséquences de la sortie du président, que «cela pourrait menacer la paix sociale dans le pays et nous diriger vers le scénario libanais».

Par Karim Zeidane
Le 07/04/2023 à 22h08