Le rapport «Travel Trends 2025» récemment publié par Mastercard Economics Institute (MEI) révèle, pour l’ensemble des destinations à travers le monde, trois tendances: la première est que les voyageurs priorisent l’expérience de bien-être, notamment via les éco-lodges, la gastronomie et les événements sportifs majeurs.
La deuxième tendance montre une sensibilité accrue aux fluctuations des devises, particulièrement chez les voyageurs asiatiques qui ajustent leurs destinations selon les taux de change, comme au Japon où une baisse de 1% du yen génère une hausse de 1,5% des touristes chinois. Enfin, la troisième tendance concerne une augmentation saisonnière de la fraude touristique, pouvant atteindre +28% en haute saison et ciblant principalement les agences de voyage dont le risque est quatre fois supérieur à la moyenne mondiale.
Pour ce qui est de l’Afrique, le rapport offre un éclairage précieux sur la position des destinations africaines dans le paysage touristique mondial. L’analyse dévoile ainsi deux axes majeurs: une présence timide de l’Afrique dans le Top 15 des tendances mondiales, et des niches de croissance prometteuses, notamment dans le tourisme de bien-être et l’écotourisme.
Rappelons que ce rapport du Mastercard Economics Institute se distingue par son analyse en temps réel des données transactionnelles agrégées (paiements, réservations) pour révéler les motivations non-économiques des voyageurs.
Le document met en lumière les destinations émergentes, l’impact des taux de change, et les nouvelles expériences prioritaires (bien-être, gastronomie, événements sportifs). Ce rapport est unique par sa méthodologie fondée sur l’économie comportementale et son focus sectoriel, notamment sur la fraude et les dépenses en parcs.
Destinations émergentes: l’Afrique plutôt timide
Le classement des «Top Emerging Destinations» pour l’été 2025 (juin-septembre) révèle une sous-représentation africaine flagrante. Sharm El-Sheikh, ville portuaire égyptienne située à l’extrême sud de la péninsule du Sinaï, entre la mer Rouge et le golfe d’Aqaba, est la seule destination africaine citée dans le top 15 mondial, se classant 15ème avec une différence de part de réservations de +0,06% par rapport à 2024.
Cette position, bien que modeste, souligne l’attractivité persistante des stations balnéaires bien connectées. La concentration des réservations vers l’Asie-Pacifique, boostée par des facteurs comme la dépréciation du Yen japonais, contribue certainement à éclipser actuellement la dynamique africaine dans ce classement volumétrique.
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Le fait qu’aucune autre ville africaine n’apparaisse dans ce top 15 mondial, signale un besoin crucial de visibilité accrue et de connectivité aérienne compétitive pour rivaliser avec des hubs comme Tokyo ou Palma de Mallorca.
Tourisme de bien-être
Selon MEI, l’Afrique brille sans conteste dans le domaine en plein essor du tourisme de bien-être. La dominance des destinations africaines dans le Top 20 mondial du Wellness Travel Index (WTI). La Namibie (1ère avec un indice WTI de 47.7) et l’Afrique du Sud (2èm avec un indice de 40.9) occupent les deux premières places mondiales de l’Indice de voyage bien-être (Wellness Travel Index)2024, avec des progressions annuelles notables (+3.5 points pour la Namibie, +2.4 pour l’Afrique du Sud).
Une performance qui dépasse celle de rivaux historiques comme la Thaïlande (-2 points, 3ème avec un indice WTI de 31.2), soulignant l’attractivité grandissante des offres africaines en écotourisme et retraites immersives. Le Botswana (5ème, WTI 19.6, -1.5 point de pourcentage) et le Kenya (16ème, WTI 7.2, +2.9 points de pourcentage) complètent ce tableau, confirmant une dynamique panafricaine.
Dans le segment des parcs nationaux, l’Afrique du Sud (23.3% des dépenses transfrontalières ; 1er) et la Zambie (15.5% ; 2ème) dominent le classement mondial. Elément à souligner: le MEI précise que le score sud-africain «reflète largement la région entourant le parc national de Table Mountain au Cap».
Toutefois, il est important de relever que le WTI exclut les voyages intra-nationaux, sous-estimant potentiellement l’écotourisme local dans des économies matures comme l’Afrique du Sud, tout en surpondérant la contribution des visiteurs internationaux.
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Une limite qui invite à nuancer le leadership africain, bien que l’émergence de lodges premium et de sanctuaires naturels (ex: éco-lodges namibiens, réserves kényanes) constitue un atout stratégique pour capter une clientèle haut de gamme en quête d’authenticité.
Disons que ce succès des destinations africaines repose sur leur offre d’« éco-lodges immersifs » et de « retraites de méditation » en communion avec une nature préservée et spectaculaire. L’avantage comparatif de l’Afrique réside dans son capital naturel unique et authentique, répondant parfaitement à la quête croissante de ressourcement profond et d’expériences hors des sentiers battus.
Bobotie sud-africain accompagné de riz. DR.
Les vitrines gastronomiques
Marrakech (50 nationalités médianes/restaurant) et Le Cap (46) émergent comme ambassadeurs culinaires du continent dans le classement MEI, valorisant des spécialités distinctives comme le tagine (ragoût cuit lentement) et la b’stilla marocains (tourte sucrée-salée au pigeon ou poulet) ou le bobotie sud-africain. Entendez par «50 nationalités médianes/restaurant», que la moitié des restaurants analysés dans la ville de Marrakech ont accueilli des visiteurs issus d’au moins 50 pays différents en 2024.
Pour le cas du Cap, la moitié des restaurants ont servi des clients issus d’au moins 46 pays. Le calcul n’inclut pas les clients locaux (seulement les paiements transfrontaliers). Un restaurant pourrait donc avoir une clientèle très diversifiée internationalement mais peu de résidents locaux, ou l’inverse.
Cette métrique, élaborée par le Mastercard Economics Institute (MEI) à partir de données agrégées et anonymisées, mesure la diversité géographique des touristes fréquentant les restaurants d’une ville.
Cette reconnaissance, toutefois, masque un décalage significatif avec les leaders mondiaux: Istanbul (67 nationalités) et Cannes (64) illustrent l’avance des destinations non africaines en matière d’attractivité gastronomique diversifiée.
Plus préoccupant encore, aucune ville d’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) n’apparaît dans le palmarès, révélant un potentiel inexploité pour des bassins culturels riches comme le Sénégal (thiéboudienne), le Nigeria (jollof rice) ou l’Éthiopie (injera). La faible représentation pénalise la compétitivité touristique régionale, d’autant que la cuisine s’affirme comme «une part universelle de l’expérience voyage» selon le MEI. L’analyse suggère que l’Afrique pourrait tirer parti de sa diversité agroalimentaire et de ses marchés artisanaux (ex: souks marocains, marchés du Cap) pour hisser davantage de villes au rang de destinations foodies, à l’image du succès de Cartagena (43 nationalités) en Amérique latine.
En définitive, le rapport MEI 2025 dessine une Afrique touristique aux atouts indéniables mais à la visibilité globale encore perfectible. Son leadership dans le tourisme de bien-être et l’écotourisme (notamment en Afrique Australe) est un socle solide.
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L’enjeu majeur pour les destinations africaines nommées, et celles qui aspirent à l’être, est triple : amplifier leur marketing territorial pour gagner en présence dans les classements globaux émergents, diversifier et professionnaliser l’offre (gastronomie, expériences) autour de ces pôles d’excellence naturels, et mettre en œuvre des stratégies anti-fraude robustes pour protéger la réputation et la confiance des visiteurs. La valorisation durable de ces atouts uniques sera cruciale pour capter une part croissante des voyages «motivés par un but précis» qui façonnent l’avenir du secteur.