La start-up canadienne Sherpa, spécialisée dans la technologie du voyage, vient de publier un tour d’horizon des récentes mises à jour sur les visas mondiaux à fin juin et fin mai 2025.
Un tour d’horizon qui met en lumière un paradoxe saisissant pour les ressortissants africains: alors que les puissances traditionnelles – des États-Unis à l’Union européenne – durcissent leurs politiques migratoires, le continent africain progresse à petits pas dans le domaine numérique, tout en faisant face à des ouvertures migratoires rares, souvent conditionnées ou sélectives.
De l’Amérique à l’Asie, du Moyen-Orient à l’Europe, sans oublier l’Afrique elle-même, ces mutations dessinent une nouvelle cartographie des mobilités, avec leurs implications géopolitiques, économiques et technologiques.
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Mise à jour nord-américaine
Il est quasiment impossible d’évoquer les mises à jour sur les visas mondiaux de cet été 2025 sans parler de l’annonce faite le 9 juin 2025 par Donald Trump qui restreint l’accès aux ressortissants de 19 pays, dont sept nations africaines (Tchad, République du Congo, Guinée équatoriale, Érythrée, Somalie, Soudan, Libye) à travers une suspension totale des visas, et trois autres (Burundi, Sierra Leone, Togo), objet de restrictions partielles de visas, ciblant notamment les visas B1/B2, F, M, J, des catégories spécifiques. Les titulaires de visas actuels et les résidents permanents n’étant pas concernés. Soit un total de 10 pays africains.
L’administration Trump invoque des critères techniques: taux de dépassement de séjour jugés «inacceptables» (49,54% pour les visas B1/B2 tchadiens), carences dans les systèmes de délivrance de passeports, ou non-coopération dans la réadmission des expulsés. Pour la Maison Blanche, cette approche repose sur une «évaluation rigoureuse du risque» visant à combattre «le mépris des lois américaines sur l’immigration» et les défaillances dans le partage d’informations sécuritaires.
Une rhétorique sécuritaire qui, bien que validée par un arrêt, masque mal un ciblage géopolitique de pays incapables de négocier des accords de réciprocité.
Les mises à jour en Asie et Moyen-Orient
Du côté de l’Asie, le programme chinois de transit sans visa (240h), étendu à l’Indonésie en juin 2025, maintient une exclusion de facto du continent africain. Rappelons que seuls Maurice et les Seychelles y sont éligibles, soit 3,7% des États africains. Une sélectivité qui contraste avec l’inclusion de 54 nationalités majoritairement asiatiques et occidentales, confirmant une hiérarchisation des voyageurs basée sur des critères de solvabilité économique présumée.
Du côté de l’Arabie saoudite, son eVisa touristique multi-entrées (valable 1 an, 90 jours par séjour) n’ouvre ses portes qu’à trois nations africaines (Afrique du Sud, Maurice, Seychelles), alors que 66 pays globalement bénéficient du dispositif. La réouverture de l’Omra et la réintégration du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan illustrent une priorité accordée aux marchés asiatiques stratégiques, reléguant l’Afrique au rang de «marché non prioritaire». Le message explicite du portail saoudien – «Contactez l’ambassade si votre pays n’est pas dans la liste» – consacre une barrière administrative pour la plupart des passeports africains.
Les mises à jour en Afrique
La réponse africaine aux défis de mobilité internationale s’incarne dans des initiatives technologiques prometteuses, mais inégalement abouties. Ainsi, l’Afrique du Sud développe un système d’Electronic Travel Authorisation (ETA) prévu pour septembre 2025. Piloté par Léon Schreiber, ministre des Affaires intérieures de la République d’Afrique du Sud, ce dispositif basé sur l’IA vise à «combattre la fraude et l’inefficacité» en digitalisant intégralement les demandes de visas touristiques de moins de 90 jours. Son ambition, selon les termes mêmes du ministre, est de bâtir une «révolution technologique des services publics» améliorant «la sécurité nationale et l’efficacité économique».
L’Égypte explore une voie complémentaire avec son e-visa d’urgence testé à l’aéroport du Caire, permettant une délivrance à l’arrivée via plateforme numérique, kiosques ou application mobile. Une innovation, supervisée par le premier ministre Madbouly, qui répond à l’objectif déclaré de «multiplier le nombre de touristes» en fluidifiant les procédures.
Du côté du Mozambique, l’on a assisté en mai 2025 à l’introduction d’un système d’autorisation de Voyage Électronique (AVE), une formalité électronique imposée aux ressortissants de 29 pays (dont les États-Unis et la plupart des pays de l’Union européenne) qui étaient auparavant exemptés de visa pour entrer dans le pays. Les voyageurs concernés devaient obligatoirement s’enregistrer sur le portail officiel au moins 48 heures avant leur départ.
Nuance: il ne s’agit pas d’un visa, mais d’une autorisation préalable d’entrée, indépendante de la demande de visa classique. Sans AVE approuvée, l’entrée au Mozambique est refusée, même pour les citoyens des pays exemptés de visa. Le souci est que la tentative d’introduire cette AVE obligatoire a dû être suspendue après dix jours seulement en raison de carences techniques, révélant les limites infrastructurelles et les défis d’infrastructure numérique. Son rétablissement est en suspens, révélant.
Mise à jour en Europe
Du côté de l’Europe, le Système d’Entrée/Sortie (EES) de l’Union européenne, dont l’activation est programmée pour octobre 2025, marque une évolution ambiguë pour un certain nombre de voyageurs dont les Africains. Présentée comme une simplification procédurale grâce à son application mobile permettant un pré-enregistrement des données 72 heures avant l’arrivée, cette réforme cache en réalité un renforcement des mécanismes de contrôle.
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Le déploiement progressif – débutant à l’aéroport d’Arlanda (Stockholm) avant d’atteindre la France, l’Italie et les Pays-Bas en 2026 – masque mal sa finalité sécuritaire explicite: le traçage systématique des entrées/sorties et la détection algorithmique des dépassements de séjour. Comme le reconnaît le portail officiel de l’UE, ce dispositif «n’est pas encore opérationnel», mais s’inscrit dans une logique de filtrage biométrique accru.
En définitive, le paysage des politiques de visa à l’égard de l’Afrique, à la mi-2025, reflète fidèlement les dynamiques géopolitiques mondiales: durcissement sécuritaire des puissances du Nord, ouvertures calculées de l’Est, et lente mais tangible montée en puissance d’outils numériques locaux.
Plus que jamais, la question de la mobilité s’impose comme un enjeu central de souveraineté.