Au moment où plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité, les pays européens doivent faire évoluer leur production énergétique, reposant encore essentiellement sur des énergies fossiles, vers des énergies renouvelables. Ainsi, plusieurs pays européens sont engagés dans une course effrénée de décarbonisation de leur production d’électricité. Et ce sont les majors des secteurs pétroliers et gaziers engagés dans la transition énergétique qui sont à la manœuvre. Ils cherchent en effet des alternatives, au niveau du continent africain où les potentialités de production d’énergie propre sont colossales, contrairement à l'Europe, grâce au solaire et à l’éolien et entendent ainsi opérer leurs reconversions énergétiques et atténuer leur impact environnemental.
C’est dans cette optique que s’inscrivent certains méga-projets annoncés dans des pays africains, notamment en Mauritanie et au Maroc. Il s’agit globalement de projets d’électricité propre et d’hydrogène vert reposant sur la production d’une énergie renouvelable à volonté et compétitive (solaire et éolien). L’hydrogène vert étant l’un des leviers de la transition énergétique européenne vers la neutralité carbone.
Lire aussi : Le Maroc reconnu leader en matière des énergies renouvelables en Afrique
Ainsi, plusieurs projets d’envergure sont annoncés dans un certain nombre de pays africains disposant des atouts nécessaires. Parmi ceux ciblés par les majors du secteur figurent le Maroc, un des pionniers africains des énergies renouvelables, la Mauritanie, l’Egypte, l’Afrique du Sud…, où des acteurs européens et américains multiplient les annonces de méga-projets.
Maroc: Xlinks projette de réaliser une centrale de 10,5 GW à Guelmim-Noun
Au Maroc, c’est l’entreprise britannique Xlinks qui a annoncé un méga-projet de centrale solaire et éolienne de 10,5 GW d’électricité zéro carbone dans la région de Guelmim-Oued Noun au sud du Maroc. L’installation qui sera implantée sur 1.500 km2 comprend des parcs solaires, éoliens et une installation de stockage par batterie qui permettront d’atteindre une disponibilité de production d’électricité de 85%. Et l’électricité produite par ces centrales sera acheminée vers le Royaume-Uni via 4 câbles sous-marins HVDC de 3.800 km de long chacun, soit les plus longs câbles électriques au monde. L’entreprise britannique s’est engagée à construire deux unités de production de câbles HVDC pour mener rapidement à bien son projet. Dans son calendrier, les câbles seront réalisés d’ici 2025 et le projet sera mis en service au premier semestre 2027.
Lire aussi : La Côte d’Ivoire dans le Top 5 africain des pays à fort potentiel dans le secteur des énergies
Ce méga-projet va nécessiter un investissement de 22 milliards de dollars. L’entreprise escompte boucler ce financement et démarrer la réalisation du projet d’ici fin 2023. En attendant, ses initiateurs affichent de l’optimisme en annonçant avoir reçu des manifestations d’intérêt de plusieurs institutions financières (banques, fonds de pension, institutions financières…) pour des contributions en dettes et en fonds propres qui dépasseraient même le montant des investissements requis.
La réalisation de ce projet va permettre au Royaume-Uni de produire 10,5 GW d’énergie propre et à faible coût pour plus de 7 millions de foyers britanniques à l’horizon 2030. La production escomptée devrait représenter 8% des besoins d'électricité de la Grande-Bretagne, selon l’entreprise britannique.
La réalisation de ce méga-projet aura des impacts positifs sur le secteur des énergies renouvelables marocain grâce notamment à son intégration dans la chaîne de valeur mondiale du secteur des énergies renouvelables.
Mauritanie: le britannique Chariot et l’américain CWP Global annoncent 40 GW et plusieurs dizaine de milliards de dollars d’investissement
La Mauritanie est ciblée par deux entreprises du secteur des énergies pour la production d’hydrogène vert. D’abord, le plus gros projet d’énergie renouvelable au monde est annoncé dans ce pays par l’américain CWP Global, actif en Europe et en Australie, et spécialisé dans les énergies renouvelables. Il s’agit d’un projet Power to X de 30 GW, soit 30.000 MW. Le protocole d’accord signé par le CEO de CWP Global, Mark Grandall, et le ministre du Pétrole, de l’Energie et des Mines, Abdessalam ould Mohamed Saleh, en mai 2021, prévoit le développement du projet au nord de la Mauritanie sur un site désertique de 8.500 km2.
Lire aussi : L'Algérie abandonne déjà son plan d'énergies propres pour le gaz de schiste
Baptisé Aman, d’un coût estimé à 40 milliards de dollars, il sera le plus gros investissement jamais réalisé au monde dans les énergies renouvelables. «Le projet aura un effet transformateur sur l’économie mauritanienne, en générant des milliards de dollars d’exportation et en fournissant un accès à l’électricité et à l’eau peu coûteux pour la population et l’économie», a expliqué Mark Crandall, PDG et fondateur de CWP Global.
Ensuite, il y a le projet initié par la société britannique Chariot Oil and Gas qui compte opérer sa transition énergétique en investissant dans les énergies renouvelables, notamment l’hydrogène vert. Dans cette optique, elle a annoncé le 27 septembre dernier, la signature d’un protocole d’accord avec le ministère mauritanien de l’Energie, visant à développer une installation d’hydrogène vert d’une capacité de 10 GW.
Pour la réalisation de ce méga-projet, ses initiateurs prévoient de le faire fonctionner avec des ressources solaires et éoliennes qui alimenteront les électrolyseurs et la production de l’oxygène. Les autorités mauritaniennes ont accordé des droits exclusifs à la société britannique sur une superficie de près de 14.400 km2.
Lire aussi : Algérie. Energies renouvelables: l’appel d’offres plombé par les exigences des bailleurs de fonds
L’entreprise Chariot a annoncé le lancement immédiat des études de faisabilité, d’impact environnemental et d’impact macroéconomique et social de cet important projet qui devrait avoir des effets positifs sur les partenaires du projet.
L’entreprise britannique estime que son projet Nour a le potentiel de produire l’hydrogène vert le moins cher d’Afrique et de faire de la Mauritanie un exportateur clé vers le vieux continent.
Reste que les promoteurs n’ont pas dévoilé le coût de réalisation de ce projet que d’aucuns chiffreraient à plusieurs milliards de dollars.
Ainsi, avec les projets CWP Global et Chariot Oil and Gas la Mauritanie se positionne déjà comme l’un des meilleurs endroits pour produire de l’hydrogène vert à faible coût du continent.
Egypte : plusieurs majors prospectent le marché
Les deux pays maghrébins ne sont pas les seuls engagés sur l’hydrogène vert et la production d’électricité à partir de sources renouvelables. L’Egypte aussi. Le pays a annoncé l’injection de 4 milliards de dollars dans la construction d’une usine de production d’hydrogène vert via l’électrolyse de l’eau et s’est dotée d’une zone industrielle de plus de 7.000 km2 pour accueillir des projets de production d’énergies propres devant générer 90 GW.
Lire aussi : Energies renouvelables: si l'Afrique est championne du monde, son électrification reste faible
En août dernier, la société allemande Siemens a annoncé qu’elle allait développer des projets d’hydrogène vert pour l’exportation depuis l’Egypte. Les plateformes qui seront mises en place par l’allemand et son partenaire égyptien, la société publique d’énergie Egyptian electricity holding company (EEHC), vont fonctionner à partir de l’électrolyse de l’eau alimentée par des énergies renouvelables. Une unité pilote capable de générer entre 100 et 200 MW sera développée par les deux partenaires.
Auparavant, c’était l’italien ENI qui avait annoncé les possibilités d’investir conjointement avec l’Egypte dans l’hydrogène vert. De même, plusieurs entreprises belges ont annoncé leurs volontés d’établir des partenariats dans les domaines des énergies renouvelables et de l’hydrogène vert avec l’Egypte.
Pourquoi autant d’engouement pour l’hydrogène vert et la production d’électricité propre en Afrique par les pays et les majors énergétiques européens? D’abord, au niveau européen, il faut souligner que l’UE a fixé la neutralité carbone d’ici 2050 et souhaite réduire avant 2030 ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% par rapport au niveau des années 1990.
Et parmi les piliers de cette stratégique de décarbonisation figure en bonne place l’hydrogène. Sa part dans le mix énergétique européen devrait ainsi passer de moins de 2% en 2018 à 13-14% en 2050.
Lire aussi : Afrique du Sud: comment le pollueur Eskom veut devenir le champion des énergies renouvelables
Quant aux choix du continent, plusieurs facteurs justifient ces investissements colossaux en Afrique pour produire de l’électricité. D’abord, il y a la forte baisse du prix du solaire photovoltaïque et le recours croissant aux câbles HVDC pour transporter l’électricité sur de longues distances grâce aux innovations technologiques. Ainsi, il est possible de produire de l’électricité propre en quantité importante et de l’exporter via ces câbles. De même, grâce à cette énergie compétitive, il est possible de produire de l’hydrogène vert à un coût très compétitif au niveau du continent grâce au solaire et à l’éolien et de l’exporter sur le marché européen où il contribuera à la production d’électricité, à faire fonctionner des unités industriels et des voitures.
Ensuite, il y a les potentialités indéniables de production d’électricité propre en Afrique, notamment grâce à l’ensoleillement durant toute l’année et des vents favorables pour la production de l’énergie à partir des éoliennes. Cette production renouvelable et compétitive est l’une des principales raisons des projets de production d’hydrogène vert au niveau du continent.
Lire aussi : CEDEAO: des taux d’électrification très faibles malgré un potentiel en énergies renouvelables exceptionnel
Selon Green Hydrogen Potential Atlas, l’Afrique occidentale dispose d’un potentiel adapté pour produire jusqu’à 165 000 térawatts-heures d’hydrogène vert par an.
Par ailleurs, ces méga-projets rentrent dans le cadre des engagements environnementaux des pays européens qui s’inscrivent tous dans des projets de décarbonisation pour réduire leurs impacts environnementaux.
Enfin, les choix des pays d’implantation s’expliquent par les avantages indéniables qu’ils offrent grâce à leur proximité géographique par rapport au marché européen, aux potentialités de production d’électricité propre (solaire, éolien et hydrogène), aux expériences acquises en matière de production propre, notamment pour le Maroc et l’Egypte, à l’existence d’espaces adaptés pour la réalisation de ce type de projet (régions désertiques) et à l’environnement attrayant pour les investissements dans les énergies renouvelables.