Afrique: une inquiétante ruée vers l’énergie nucléaire

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Le 22/10/2017 à 18h31, mis à jour le 22/10/2017 à 18h36

Plusieurs pays africains sont engagés dans ce qui ressemble à une course pour le nucléaire. En 2025, au moins 4 pays (hors Afrique du Sud) disposeront de centrales nucléaires. Une option inquiétante pour un continent qui dispose de solutions pour sortir des ténèbres sans l'énergie atomique.

Les images de la catastrophe de Fukushima semblent être d’un lointain souvenir pour les dirigeants des pays africains qui ne jurent désormais que par l’énergie nucléaire.

Pas moins de dix pays annoncent clairement leur intention de se doter de centrales nucléaires. Parmi eux figurent l'Égypte, le Nigeria, l'Algérie, le Maroc, l'Ouganda, le Kenya, le Niger, le Ghana et la Tunisie. Certains pays sont déjà équipés de centrales nucléaires de recherche et souhaitent désormais passer à celles de la production d’électricité.

Ainsi, à l’horizon 2025, pas moins de 5 pays du continent devraient disposer de centrales nucléaires, à savoir l'Égypte, l'Algérie, le Nigeria, le Kenya, en plus de l’Afrique du Sud, seul pays du continent à disposer d’une centrale nucléaire dotée de deux réacteurs.

Et bizarrement, ce soudain intérêt intervient à un moment où les puissances occidentales essayent de sortir du nucléaire.

Qu’est-ce qui justifie alors cet intérêt? D’abord, il y a la volonté de répondre à un besoin énergétique croissant. Selon diverses études, le continent doit installer environ 160 GW à l’horizon 2025 pour satisfaire les besoins de sa population, de ses entreprises et de son industrie. Et il faudra encore plus en 2050 lorsque le continent comptera plus de 2 milliards d’habitants, contre 1,3 milliard actuellement.

En effet, hormis les 5 pays d’Afrique du Nord –Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Égypte- qui font montre d'un taux d’électrification de presque 100%, l’accès à l’électricité reste encore limité pour de nombreux Africains. 600 millions d’enre eux n’ont pas accès à l’électricité, soit presque un Africain sur deux.

Ainsi, les projets d’énergie nucléaire sont-ils avancés comme des solutions pour assurer une indépendance énergétique aux pays africains dans lesquels les taux d’électrification sont globalement faibles: 23% au Kenya, 15% au Niger, etc.

Pour ces pays, l’installation d’une centrale nucléaire avec 2 réacteurs permettrait de couvrir rapidement des besoins compris entre 2.000 et 3.000 MW. Quant aux pays ne possédant pas de ressources naturelles (fleuves, gaz, pétrole, charbon, etc.), ils voient là le moyen de rompre définitivement avec le déficit énergétique dont ils souffrent.

Ensuite, 34 pays africains recèlent de l'uranium dans leurs sous-sols. L’Afrique détient plus de 20% des réserves mondiales d’uranium. Le Niger, l’Afrique du Sud et la Namibie disposent des réserves les plus importantes du continent avec respectivement 8%, 5% et 5% des réserves mondiales. Du coup, il est compréhensible que ces pays souhaitent profiter de cette manne. C’est le cas notamment du Niger qui dispose des 4es réserves mondiales d’uranium et qui envisage la construction d’une centrale nucléaire à même de lui fournir de l’énergie. Le pays, l’un des plus pauvres du monde, est également l’un des moins électrifiés de la planète avec un taux d’électrification de moins de 15%.

Par ailleurs, les pays africains sont aussi encouragés par les puissances nucléaires mondiales qui souhaitent vendre leurs technologiques coûteuses. C’est le cas notamment de la Chine, de la Russie et de la France qui doivent chercher de nouveaux débouchés pour leurs technologies nucléaires au moment où les oppositions à cette forme d'énergie sont manifestes chez eux.

Enfin, posséder une centrale nucléaire donne un semblant de puissance et de modernisme à un pays. 

Ainsi, pour toutes ces raisons, dix pays africains sont engagés dans des projets devant entrer en exploitation à l’horizon 2025. C’est le cas de l’Égypte, de l’Algérie, Kenya et du Nigeria. D’autres pays suivent la même voie, dont l’Ouganda, le Niger, le Ghana, la Tunisie, le Maroc, etc. Et la liste risque de s’allonger.

Seulement, le nucléaire est-il réellement la solution pour le continent? Plusieurs indicateurs montrent que d’autres solutions existent et devraient être privilégiées. 

D’abord, les catastrophes nucléaires de Tchernobyl (avril 1986) et l’accident nucléaire de Fukushima qui ont fait un nombre considérable de victimes et continuent d'en faire sont encore dans les mémoires, même si les dirigeants africains qui militent pour le nucléaire semblent l’oublier. Pire, ces deux pays possèdent tout le savoir-faire nécessaire pour faire face à des catastrophes pareilles, ce qui est loin d’être le cas en Afrique. Les craintes d’accidents sont d’autant plus importantes que les pays les plus engagés (Égypte, Algérie, Nigeria, Kenya, etc.) et/ou qui souhaitent s’y engager (Niger, Tunisie, etc.) sont tous touchés par le terrorisme. D’où le problème de sécurité qui se pose. D’autant qu’en cas d’accident nucléaire, c’est toute la région qui en subira les conséquences.

Ensuite, le nucléaire civil est coûteux, tant pour son installation que pour son exploitation et pour la gestion des déchets. Plus encore pour les pays qui ne maîtrisent pas cette technologie. 

À titre d’exemple, la centrale nucléaire égyptienne qui sera réalisée à El-Dabaa d’une puissance de 1.000 MW devrait coûter 4 milliards de dollars, soit presque autant que le barrage de la Grande Renaissance d’Éthiopie qui devrait produire 6.400 MW pour environ 5 milliards de dollars!

De quoi en décourager plus d'un. À ceci près que les trois pays disposant de cette technologie sont prêts à soutenir les nations désireuses de l'acquérir en apportant les prêts nécessaires. C’est le cas de la Russie avec l’Égypte et le Nigeria et de la Chine avec le Kenya. La Chine disposant d’importantes réserves finance à tour de bras des infrastructures au niveau du continent.

Par ailleurs, l’Afrique pourrait se passer du nucléaire en misant sur les énergies renouvelables.

Les barrages hydroélectriques, le solaire, l’éolien, la biomasse et la géothermie constituent d’importantes ressources potentielles qui permettraient de facilement résoudre le déficit énergétique de l’Afrique.

Le potentiel hydroélectrique africain suffirait à lui seul à résoudre le problème énergétique actuel. La RD Congo et l’Éthiopie ont ensemble un potentiel cumulé de 300 GW, soit deux fois ce qu’il faut pour assurer l’électrification actuelle de l’Afrique. À titre d’exemple, en RD Congo, le barrage Grand Inga peut produire jusqu’à 40.000 MW sur le fleuve le plus puissant d’Afrique.

Concernant le solaire, le potentiel du continent est estimé à plus de 10 TW (1 Téra Watt est égal à 1.000 GW) de puissance. Aujourd’hui, le pays le plus avancé dans ce domaine est le Maroc avec le projet Noor de 500 MW, le plus grand complexe solaire du monde. En plus, grâce aux nouveaux panneaux photovoltaïques, le coût du KW/heure produit coûte autour de 0,15 euro.

Ainsi, les énergies renouvelables peuvent-elles assurer la quasi-totalité des besoins du continent. Et certains pays ont fait le pari des énergies renouvelables avec succès. C’est le cas de l’Éthiopie dont 94% de l’énergie produite sont produits à partir d’essence renouvelable. Mieux, avec l’inauguration prochaine du barrage de la Grande Renaissance de 6.400 MW, l’Éthiopie produira presque 100% de son énergie à partir de ressources renouvelables. Cette proportion est de 89% pour la Zambie, 88% pour le Mozambique, 86% pour la Tanzanie et 83% pour le Kenya. Pour ce dernier pays, la géothermie représente 50% de la production électrique actuelle du pays, devant l’hydroélectricité (39%) et le thermique (15%), avec un potentiel loin d’être exploité.

À ces potentialités des énergies renouvelables s’ajoute bien évidemment l’apport des énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon, fuel, etc.) dont le continent regorge. Des pays comme l’Algérie, le Nigeria, le Ghana et l’Ouganda qui souhaite investir dans le nucléaire disposent d’importantes ressources pétrolières et gazières.

Bref, l’Afrique dispose des ressources renouvelables exceptionnelles et l’accent doit être mis sur l’exploitation de celles-ci dans le cadre de la coopération sous-régionale pour sortir le continent des ténèbres sans emprunter la voie du nucléaire que les pays développés ont du mal à gérer.

Par Moussa Diop
Le 22/10/2017 à 18h31, mis à jour le 22/10/2017 à 18h36