Agriculture en Afrique: la nécessité d’aller vers un modèle économe en eau s'impose

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Le 19/05/2022 à 14h07, mis à jour le 19/05/2022 à 14h18

L’agriculture africaine est durement affectée par la rareté et les problèmes de gestion de l’eau. Le 5e webinaire «Trait d’Union» du groupe OCP s’est penché sur la question en mettant l’accent sur la nécessité d’aller «vers un modèle agricole économe en eau» pour atténuer le déficit hydrique.

L’agriculture utilise environ 70% de la consommation d’eau douce dans le monde, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Toutefois, sa répartition inégale sur la surface de la planète et les projections climatiques font croire que les tensions sur l’eau seront de plus en plus vives.

En Afrique, avec 17 grands fleuves et 160 lacs, le problème d’eau ne devrait pas se poser avec beaucoup d’acuité. Toutefois, le continent est celui des paradoxes en matière d’eau, avec une forte variabilité spatio-temporelles des précipitations, sécheresses et inondations qui alternent entre abondance (Afrique équatoriale) et pénurie (Afrique du Nord) d’eau. De plus, si le continent dispose de ressources en eau renouvelables abondantes, estimées à plus de 5.400 milliards de m3 par an, il n’en demeure pas moins qu'il fait face au défi de la maîtrise de cette ressource pour les besoins essentiels de son agriculture. En effet, seulement 4% de ce potentiel hydrique est mobilisé pour les usages courants: agriculture, eau potable, énergie…

Du coup, l’eau et sa gestion sont au cœur des enjeux de nombreuses politiques publiques, en particulier l’agriculture. La capacité des pays africains à concilier production agricole et gestion des ressources en eau se pose surtout dans le contexte actuel de la flambée des prix des produits agricoles dans le sillage de la crise en Ukraine qui a démontré la dépendance et la vulnérabilité du continent en ce qui concerne son approvisionnement en produits de première nécessité.

C’est à cette question cruciale que «Trait d’Union», une initiative lancée par le groupe OCP, leader mondial dans la production et l’exportation des phosphates, a consacré ce jeudi 19 mai son cinquième webinaire ayant pour thème «Vers un modèle agricole économe en eau». Des experts africains et européens ont débattu sur la question.

D’abord, il importe de souligner que le continent africain est parcouru par de nombreux grands fleuves. Pour David Blanchon, enseignant-chercheur à l’Université de Paris Ouest Nanterre la Défense et au Gecko (Laboratoire de géographie comparée des Suds et des Nords), en Afrique, tous les grands fleuves (Nil, Niger, Sénégal, Congo, Zambèze…) sont divisés entre plusieurs pays, et grâce aux conventions sur les bassins versants, jusqu’à présent, la coopération a pris le dessus sur les conflits. Toutefois, des tensions existent, comme c’est le cas actuellement entre l’Ethiopie et l’Egypte concernant le barrage de la Renaissance, dont le remplissage du réservoir de 74 milliards de m3 pourrait entrainer une baisse du débit du Nil, sachant que le Nil Bleu, qui prend sa source en Ethiopie, est à l’origine de presque 80% des eaux du fleuve dont l’Egypte dépend pour son agriculture irriguée.

Pourtant, au niveau du continent, la faible mobilisation des eaux pour l’agriculture est une réalité, car à peine 6% des terres agricoles bénéficie de l’irrigation. Ainsi, au niveau de certaines régions déficitaires en eau, notamment en Afrique du Nord, il est essentiel qu’on se dirige, ne serait-ce que pour certaines cultures, vers les nouvelles technologies agricoles économes en eau.

Et ces technologies font leurs preuves dans certains pays. C’est le cas en France, où, comme l’a expliqué André Bernard, président de la Chambre régionale d’agriculture de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) et vice-président des Chambres d’agriculture de France, on est passé de l’irrigation gravitaire, puis du goutte-à-goutte à l’irrigation via le digital comme le permet la 3e génération de la révolution agricole avec des micro-capteurs qui permettent d’optimiser l’irrigation en apportant à la plante uniquement ce dont elle a besoin.

Mais cette révolution digitale de l’irrigation «est coûteuse et nécessite un accompagnement des agriculteurs», a souligné l'intervenant. Et si ce système permet d’améliorer la productivité, et donc la rentabilité des cultures, il n’en demeure pas moins qu'il a des impacts écologiques non négligeables sur la faune et la flore. Par exemple, a disparition des points d’eau dans certains aménagements à cause des nouvelles technologies d’irrigation se traduit par la disparition de certains animaux dont les abeilles.

Tout en concédant la nécessité d’adopter les nouvelles technologies dans les régions du continent où l'on note une rareté des pluies et de l'eau, comme c’est le cas en Afrique du Nord, contrairement à l’Afrique équatoriale où l’eau est abondante, Fatima Ezzahra Mengoub, économiste séniore au Policy Center for the New South (PCNS), a mis en avant la nécessité que les progrès technologiques soient adaptés au contexte local, sans négliger les technologies d’irrigation traditionnelles adaptées à l’environnement.

Quoi qu'il en soit, les gros problèmes de l’eau en Afrique demeurent liés à sa gestion et aux investissements. En ce qui concerne la gestion des bassins versants, Abdoulaye Sène, secrétaire exécutif du Forum mondial de l’eau, a donné en exemple la gestion du fleuve Sénégal dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), une organisation intergouvernementale créée en mars 1972 à Nouakchott par le Mali, la Mauritanie et le Sénégal en vue de gérer le bassin versant du fleuve Sénégal. La bonne gestion commune des eaux du fleuve a ainsi permis le développement de l’agriculture irriguée et la production d’électricité grâce à la construction de deux barrages en amont et en aval du fleuve.

Si l’OMVS est un exemple, le principal obstacle à la gestion de l’eau pour le secteur agricole africain reste l’investissement. D’où l’appel lancé lors du Forum de l’eau, qui s’est tenu récemment à Dakar, au Sénégal, pour la mobilisation de 30 milliards de dollars par an jusqu’en 2030 pour combler le déficit d’investissement dans l'eau en Afrique. Ces investissements doivent particulièrement contribuer à capter les eaux des pluies qui se jettent dans les océans alors que celles-ci peuvent atténuer les déficits hydriques et contribuer au développement agricole.

Par Moussa Diop
Le 19/05/2022 à 14h07, mis à jour le 19/05/2022 à 14h18