Engrais: l'Afrique attaque de front la problématique de l'accès

le360

Le 12/10/2022 à 14h57, mis à jour le 12/10/2022 à 14h58

Le 3e Forum africain de financement des engrais s’est ouvert mercredi à Casablanca sous l’égide de l’OCP, de la BAD et du Mécanisme africain de financement du développement des engrais. Au centre des échanges: résoudre le problème de l’accès aux engrais en Afrique en dépit de la flambée des cours.

Dans un contexte mondial marqué par un marché des engrais perturbé par la crise Russie-Ukraine qui a entrainé une flambée des cours des hydrocarbures et du fret maritime, les agriculteurs africains font face à une flambée inquiétante des prix des engrais. Cela est valable presque partout en Afrique où l’engrais n’est pas subventionné.

Cette situation pousse certains agriculteurs, notamment les plus fragiles, à se passer des fertilisants et d’autres, un peu plus solides, à réduire leur consommation d’engrais à cause du surcoût occasionné par cette flambée des prix. Ainsi, les craintes s'intensifient quant à une forte baisse de la production agricole africaine, laquelle accentuerait le risque d’insécurité alimentaire.

C’est pour faire face à cette situation que le groupe OCP, la Banque africaine de développement (BAD), le Mécanisme africain de financement du développement des engrais, les ministres africains de l’Agriculture, les professionnels, les banquiers et les experts internationaux se penchent les 12 et 13 octobre 2022, à Casablanca, sur la problématique du financement et sur les dynamiques de l’écosystème africain des engrais.

D’emblée, Martin Fregene, directeur pour l'agriculture et l'agro-industrie à la BAD, a expliqué que «les agriculteurs doivent payer 3 à 4 fois le prix des engrais par rapport aux prix de l’année dernière». Une situation qui n’encourage pas l'utilisation des fertilisants pour accroître leur production.

Face à cette situation, la BAD a débloqué 1,5 milliard de dollars pour soutenir les agricultures du continent dans l’optique de produire 30 millions de tonnes d’aliments. 30 pays africains ont déjà bénéficié de ce financement, à travers lequel l’institution panafricaine souhaite favoriser l’accès aux engrais à moindre coût aux agriculteurs du continent. En plus, a poursuivi Fregene, «la BAD va réunir à Dakar les pays africains dans le but de mettre en place des stratégies à même d’assurer la sécurité alimentaire du continent».

Le responsable a par la même occasion salué le rôle fondamental de l’OCP dans l’approvisionnement du continent en engrais sous forme de dons et de vente à des prix préférentiels à de nombreux pays africains, facilitant ainsi l’accès aux engrais à de nombreux agriculteurs du continent.

Et dans ce cadre, Mohamed Anouar Jamali, président-directeur général d'OCP Africa, souligné que le groupe marocain, dans le cadre de la coopération Sud-Sud visant à assurer davantage de sécurité alimentaire au niveau du continent, va renforcer son plan de soutien aux pays africains confrontés à la hausse des prix des engrais. 

Ainsi, après avoir lancé en juillet dernier un programme de soutien de 550.000 tonnes d’engrais pour aider les pays du continent à faire face à la flambée des prix, dont 180.000 tonnes à titre de dons et 370.000 tonnes vendus à des prix préférentiels, le groupe OCP a annoncé le lancement d’une deuxième phase de ce programme d’envergure cette semaine, avec le soutien des partenaires institutionnels et financiers.

Si la première phase a touché 20 pays et 4 millions de fermiers, la seconde devrait porter sur un volume de 4 millions de tonnes de fertilisants adaptés et devrait impacter 40 millions d’agriculteurs avec l'objectif de contribuer à nourrir 1 milliard d’Africains grâce à l’augmentation de la productivité et donc de la production agricole.

Le nouveau programme va contribuer à faire face à l’insuffisance criante d’engrais dans de nombreux pays du continent. C’est le cas du Malawi, dont 80% de la population vit de l’agriculture, qui ambitionne de porter sa production de maïs à plus de 6 millions de tonnes. Toutefois, la consommation de 700.000 tonnes d’engrais par an est négligeable si le pays souhaite développer son agriculture. Face à cette situation, ce pays souhaite «attirer des investisseurs dans le domaine des engrais», a souligné Lobin Lowe, son ministre de l’Agriculture.

Idem pour l’Angola, l’un des premiers producteurs de pétrole du continent, qui souhaite booster sa production agricole en exploitant ses importantes potentialités en la matière. Selon Manuel Bartolomeu da Cunha Joao, secrétaire d'État à l'Agriculture et à l'élevage de l'Angola, le pays dispose de 52 millions d'hectares et des 12es réserves en eau du contient.

Toutefois, l’agriculture angolaise est faiblement productrice avec des rendements compris entre 1 et 1,5 tonne par hectare. Cette situation s’explique essentiellement par une faible consommation d’engrais, à raison de 12 kg par hectare, ce qui est très négligeable. L’objectif du pays est donc de porter la consommation à au moins 50 kg/ha. Et malheureusement, selon Da Cunha Joao, «à cause de la flambée des cours des engrais, 80% des agriculteurs n’ont pas les moyens d’accéder aux engrais». Une situation qui risque de porter un rude coup à la production agricole du pays.

Egalement concernée, la Côte d’Ivoire enregistre une consommation d’engrais variant entre 300.000 et 350.000 tonnes par an. Cet engrais est essentiellement dédié aux cultures d’exportation (cacao, anacarde, ananas…). Les autorités souhaitent désormais pousser les petits agriculteurs et les producteurs maraîchers à utiliser aussi les engrais afin d’accroitre leur production.

Seulement, à cause de la crise Russie-Ukraine, les cours des phosphates ont flambé et les chaînes d’approvisionnement ont été perturbées. Ainsi, en Côte d’Ivoire, le sac d’engrais, qui coûtait 15.000 FCFA (23 euros), est désormais cédé à à 35.000 FCFA (53 euros). Du coup, les agriculteurs ne peuvent plus s’en procurer en quantités suffisantes, et ce, d’autant plus que l’engrais ne bénéficie pas de subvention en Côte d’Ivoire, selon Martine Aboin, chef du service Engrais au ministère de l’Agriculture et du développement rural.

Bref, avec ce 3e Forum africain de financement des engrais, les experts de l’OCP, de la BAD et du Mécanisme africain de financement du développement des engrais vont essayer de trouver des formules plus adaptées afin que les agriculteurs africains puissent continuer à accéder aux engrais en dépit de la flambée des cours. La sécurité alimentaire du continent en dépend.

Par Moussa Diop et Said Bouchrit
Le 12/10/2022 à 14h57, mis à jour le 12/10/2022 à 14h58