Même si elle n’a pas complètement été effacée des tablettes des habitudes sociales, la méthode de gavage («Mbelha» en maure) qui consistait à donner un poids excessif aux jeunes filles en leur faisant ingurgiter certains aliments soigneusement choisis, a perdu énormément de terrain.
Pour tout dire, le gavage n’est plus de tendance. La mode est plutôt au sport pour avoir la taille mannequin, mais à la sauce mauritanienne.
Il faut tout de même rappeler qu’au pays du million de poètes, l’obésité était jadis un canon incontournable de beauté féminine. Elle fût chantée par ces virtuoses de la parole et du verbe, dont la connaissance de la culture traditionnelle est aussi étendue que ces immenses terres désertiques, qui abritent la République islamique de Mauritanie, entité à cheval entre l’Afrique de l’ouest et le Maghreb.
Cet état d’esprit tiré du tréfonds de l’histoire et de la tradition a donné naissance à une pratique : le gavage des jeunes filles.
Un procédé largement utilisé à la fois dans les campements nomades, les villages et les plus grands centres urbains. Un engouement qui cadre parfaitement avec ce proverbe de la tradition populaire maure «la femme occupe dans le cœur de son homme, la place qu’elle occupe au lit».
Exercice douloureux et dangereux
Ainsi, pour avoir un gros corps «symbole de l’opulence» on fait recours à des moyens extrêmes, très douloureux et même extrêmement dangereux pour la santé.
Parmi les mots qui évoquent la vieille pratique de l’époque : le «DREGDREG» un mot d’origine Hassania, dont la prononciation quelque peu barbare donne une petite idée de la signification.
Quelques mois avant la date fixée pour le mariage, les jeunes filles habitant les centres urbains, étaient autrefois envoyées à la campagne pour des séances intensives à l’occasion desquelles elles ingurgitent certaines nourritures dont l’effet immédiat est de procurer du poids.
Khadijettou Mint J, ex-gaveuse qui a soufflé plus de 70 bougies, s’est adonnée à cette pratique sans état d’âme pendant plusieurs dizaines d’années.
Après avoir rangé ses outils «de torture», elle accepte de parler de son expérience à le360 Afrique. «Nous avons pratiqué cet exercice sans faiblesse sur des jeunes filles pendant plusieurs années. La personne qui y est soumise est maintenue de force en position assise ou couchée. Je prends alors un instrument en bois sous forme d'étau qui se referme, avec lequel je pince ses doigts, ou d’autres parties du corps. L’effet douloureux de la contrainte physique pousse la victime à consommer le maximum d’aliments contre sa volonté. Des séances à la fois diurnes et nocturnes, qui viraient parfois à la bastonnade pour les récalcitrantes les plus téméraires».
Pour le gavage, «les aliments les plus utilisés sont le lait, la bouillie et le couscous (poudre de mil), mais pas de viande», explique-t-elle.
Les marques et impacts de déchirures sur le corps étaient considérés comme le signe illustratif que la jeune soumise à l’exercice du gavage a subi le traitement approprié l’obligeant à manger et boire au maximum».
Au fil du temps, la société mauritanienne a progressivement pris conscience des effets néfastes de cet exercice sur la santé en général, au-delà de la douleur du moment.
22% des femmes souffrent des effets du gavage
Citant une enquête de santé datant de l’année 2011, El Bekaye, sociologue, affirme que «22% des Mauritaniennes souffriraient encore actuellement des effets néfastes du gavage. Cela, du fait d’un déséquilibre inhérent à un usage excessif et volontaire de produits graisseux, qui s’avèrent très dangereux pour la santé».
Cette tendance résulte de la mise à contribution de nouveaux produits vendus en pharmacie suite au phénomène d’urbanisation anarchique, qui a déversé dans les villes des centaines de milliers d’individus restés encore profondément ruraux et même nomades dans leur univers mental.
Filles exposées à la menace de plusieurs pathologies
«Dans le temps, les jeunes étaient soumises à cette pratique à l’âge de 12/13 ans pour leur faire prendre du poids. Elles avalent beaucoup de couscous et d’eau.
Une surcharge pondérale avec toutes les conséquences nutritionnelles et nocives possibles et imaginables.
En effet les personnes souffrant d’obésité sont exposées à la menace de plusieurs maladies cardiovasculaires, insuffisance rénale, arthrose, apnée du sommeil, diabète, hypertension artérielle,...», explique A. Gadio, qui a soutenu un mémoire de technicien supérieur de la santé sur le thème: «Les habitudes alimentaires mauritaniennes et la malnutrition».
D’où la nécessité de rompre avec une tendance sociale suivant laquelle l’exigence de poids des jeunes filles provoque des problèmes liés à l’obésité qui renvoient à l’apparition de nouvelles maladies susceptibles de faire exploser les dépenses de santé dans un pays ou le taux de pauvreté conserve encore une forte incidence.
Changement de paradigme et pratique du sport
Face à tous ces inconvénients et dangers, on note une véritable prise de conscience opérée au cours des 20 dernières années. Grâce notamment à des campagnes de sensibilisation menées par des ONG et des leaders d’opinion. Le résultat aujourd’hui est un véritable changement de paradigme et de cap.
Fatimetou, jeune de 17 ans, en classe de terminale dans un lycée privé de la place, vante «les vertus de la ligne et met ses copines en garde contre la surcharge de poids». Elle affirme s’adonner aux activités sportives» et exprime une conscience claire de tous les bienfaits des activités physiques sur l’organisme.
Même son de cloche chez Zeinabou, jeune étudiante qui veut rester taille fine: «Même ma mère pratique des activités sportives pour lutter contre les menaces des maladies cardiovasculaires, le diabète, l’obésité, etc.» pour rattraper le temps perdu.
Désormais, pour les Mauritaniennes, il faut plutôt dégrossir, rester dans le tempo de la mode et préserver sa santé. Cette évolution montre clairement que la vieille pratique du gavage perd du terrain et ne persisterait plus que dans quelques coins reculés du vaste territoire de la Mauritanie.