Mauritanie: les intentions cachées de la réécriture de l'histoire de la résistance coloniale

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Le 22/12/2016 à 17h56, mis à jour le 22/12/2016 à 19h02

Le gouvernement mauritanien a récemment annoncé un projet de réécriture de l’histoire du pays pour mettre en avant la résistance de plusieurs héros nationaux devant la pénétration coloniale. Beaucoup estiment que l'intention du pouvoir est d'exacerber le communautarisme.

Ainsi, au cours de deux déplacements dans les régions du Tagant et de l’Adrar, en novembre dernier et dans le courant du mois de décembre, le président Mohamed Ould Abdel Aziz a visité des sites historiques, symbolisant des batailles contre les troupes coloniales et des hauts faits de résistance face à la pénétration française.

Visitant le site de Rachid dans la région du Tagant (centre du pays) le 15 novembre dernier, le leader mauritanien a posé le débat en ces termes «la Mauritanie a une riche histoire de lutte contre le colonialisme, plus que d’autres pays qui commémorent des combats moins importants que ceux livrés par notre peuple contre le colonialisme». Il a poursuivit son discours sur «la nécessité de réécrire et de valoriser notre histoire en vue de faire connaître le sacrifice des hommes qui ont résisté à la pénétration coloniale».

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Ce projet de réécriture de l’histoire du pays du million de poètes est annoncé dans un contexte politique particulier. En effet, la Mauritanie est à quelques semaines de l’organisation d’un référendum controversé. Une consultation populaire par laquelle le pouvoir entend faire approuver une série de réformes constitutionnelles portant sur la suppression du sénat, la création de conseils régionaux et le changement de symboles nationaux (hymne et drapeau).

Interrogé sur la démarche des autorités par l’hebdomadaire «Le Calame» paru mercredi, maître Mahfoudh Ould Bettah, opposant, ancien ministre de la Justice et qui fût pendant plusieurs années bâtonnier de l’Ordre National des Avocats (ONA), rejette la forme et le timing. Il juge "inconvenant d’instrumentaliser à des fins purement politiciennes la résistance à la colonisation".

Venant de l’actuel pouvoir, il s’agit d’une manœuvre visant à distraire les Mauritaniens des problèmes de survie auxquels ils sont confrontés : chômage, pauvreté, flambée des prix, insécurité, injustice, qu’ils vivent durement et que le pouvoir reproduit systématiquement par l’échec de ses politiques dans tous les domaines.

"Je dirais ensuite que la résistance du peuple mauritanien doit être certes, célébrée, magnifiée même, parce qu’elle fût historique. Mais elle ne doit pas être pour autant l’occasion de diviser les Mauritaniens en laissant croire qu’une partie du peuple a participé à la lutte contre la pénétration coloniale, quand l’autre a pactisé avec elle. C’est inadmissible. On est suffisamment divisé pour ne pas en rajouter encore", poursuit-il.

La protestation est encore plus vive de la part de Cheikh Ndiaye, chercheur et militant, qui dénonce «une histoire de beidanes, des choix injustes, qui divisent et qui fâchent. On veut nous faire avaler une nouvelle histoire empreinte du sceau des gens du Nord, ceux qui planifient l’exclusion définitive de notre communauté».

Cette protestation a fait l’objet d’une contribution largement diffusée dans la presse locale. L’historien chercheur rappelle « à ceux qui pourraient être tentés d’oublier, des faits marquants de la période coloniale avec quelques petits extraits d’un travail académique encore inachevé, sur la résistance spontanée au niveau du fleuve Sénégal des imams et émirs tels que le sultan Cheikh Omar Foutouya Tall, les almamys Abdoul Bocar Kane, Samory Touré, les émirs Mohamed Habib, Bakar Ould Soueid Ahmed et d’autres».

Au moment de la pénétration coloniale, la Mauritanie et le Sénégal n’existaient pas dans leur forme actuelle. Ainsi, les événements et les actes de résistance dans la vallée du fleuve rentrent forcément dans la mémoire historique collective des 2 peuples. Pendant les batailles de résistance à la pénétration coloniale auxquelles se réfèrent les autorités de Nouakchott, les troupes françaises comprenaient des supplétifs originaires de la vallée et des Maures de l’Ouest. Par ailleurs, quelques historiens n’hésitent pas à rappeler des épisodes de «l’alliance» entre les tribus du Nord et des conquérants espagnols.

Des faits qui devraient singulièrement compliquer la tâche d’une réécriture de l’histoire de la Mauritanie dans l’optique d’une communauté de destin préservant la cohésion nationale.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 22/12/2016 à 17h56, mis à jour le 22/12/2016 à 19h02