Mauritanie: l’expérience de dialogue avec des détenus islamistes radicaux expliquée aux membres du RECEPAON

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Le 08/03/2020 à 13h10, mis à jour le 08/03/2020 à 13h13

L’expérience mauritanienne de dialogue avec les détenus de groupuscules islamistes radicaux et violents, initiée en janvier 2010, a fait l’objet d’un partage lors de la 3e édition du Comité scientifique du Réseau Colorado pour l’émergence pénitentiaire en Afrique de l’ouest et du nord. Détails.

Les pays membres du RECEPAON, organisation fondée en 2017 à Sebikotane (Sénégal) sont le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée Conakry, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal.

Parmi les objectifs du RECEPAON figure «la prévention de la radicalisation en milieu carcéral et de l’extrémisme violent».

Cette communication présentée par maître Hamidou Sissoko, chef de service régional des prisons au niveau de Nouakchott, rappelle «un contexte sahélien marqué par la montée en puissance des idéologies extrémistes, entraînant des actions violentes, et dans lequel la Mauritanie n’a plus subi d’attaques terroristes depuis le 11 décembre 2011».

Entre juin 2005 et décembre 2011, le territoire mauritanien avait été le théâtre de plusieurs attaques terroristes. A titre d’exemple, on peut rappeler, une violente attaque contre le groupement de l’armée à Lemgheity (région de Zouerate) le 5 juin 2005, le coup fumant contre 5 touristes français, tués prés d’Aleg le 24 décembre 2007, l’attaque de Tourine (région de Zouerate) qui a fait 14 victimes chez les militaires et bien d’autres actes criminels avec leur cortège de morts, militaires et civils, nationaux et étrangers.

Cependant, a rappelé le présentateur, «en dépit de cette longue accalmie, le phénomène de la radicalisation, sève nourricière des idéologies destructrices, reste une source de vive préoccupation pour les autorités qui mènent une action souterraine continue, à travers un combat des idées et une véritable bataille de l’esprit. Des actions de sensibilisation sont conduites par la crème des sciences islamiques (uléma, érudits et autres leaders d’opinions) et constituant un complément au renforcement des capacitaires opérationnelles des forces armées et de sécurité.

Ainsi, il apparaît clairement que la lutte contre les idéologies négatives, la radicalisation, source de violence terroriste, doit avoir plusieurs dimensions (notamment économique, sociale et idéologique), ce qui lui donnerait le maximum de chances de réussite. Une option résolument adoptée par les autorités mauritaniennes qui la concrétisèrent à partir de janvier 2010».

Dialogue avec des individus détenus pour actes terroriste

En matière de politique pénale, l’objectif de toute peine privative de liberté est de permettre une application pleine du principe suivant lequel, tout détenu doit pouvoir se réinsérer dans la société après avoir retrouvé la liberté.

«C’est animées de cet esprit, que les autorités mauritaniennes développent une approche intelligente, concomitamment au désir de repentir exprimé par plusieurs détenus incarcérés pour des faits liés à l’intégrisme et la violence. Le gouvernement a créé une commission composée d’oulémas, érudits, représentants de l’administration et des éléments de la sécurité. Un nouvel organe, avec une feuille de route, une mission: rencontrer les individus détenus pour des faits liés au terrorisme, dans le cadre d’un dialogue formel. Celui-ci est officiellement lancé le 20 janvier 2010 en présence du ministre de l’Orientation islamique, d’un conseiller du président de la République, des responsables au niveau de la justice et des forces de sécurité. En face, l’ensemble des détenus dits salafistes».

Un format de concertation original qui permet le lancement officiel des discussions en présence des représentants de la presse nationale et internationale.

Mode opératoire d’une négociation inédite

Le décor est ainsi planté «la première séquence se déroule sous la forme de rencontre associant l’ensemble des prisonniers salafistes».

Deuxième épisode de ce feuilleton inédit, «un débat entre les oulémas et l’ensemble des détenus. Cette seconde phase permet aux spécialistes des sciences islamiques d’identifier de manière formelle l’existence de deux tendances au sein des détenus. Un premier groupe dont les membres sont dans de bonnes dispositions pour le repentir et prêts au dialogue, et qui ont déjà envoyé des signaux dans ce sens. Ainsi, sur un total de 98 détenus salafistes, 87 ont exprimé le souhait de renoncer à la violence comme mode d’expression de leurs idées. Les noms de ces individus figurent sur une liste de prisonniers incarcérés pour des faits liés au terrorisme, et ayant publiquement exprimé leur ouverture à la négociation. Il s’ensuit des débats passionnés, parfois houleux, mais le résultat est largement positif, car une issue est trouvée».

En fait, dans ce débat ouvert, contradictoire et sans tabou «les multiples interrogations des jeunes partisans de la violence pour imposer leur vision de l’Islam trouve des réponses auprès des sommités religieuses en face, qui font appel à la doctrine, à la pratique du Prophète et de ses compagnons pour illustrer l’image d’une religion ouverte et tolérante. Les jeunes sortent de ces séances avec la conviction d’avoir emprunté le mauvais chemin, celui de la violence».

A noter dans le mode opératoire du dialogue, qu’à côté des débats en groupe, il y avait également des causeries sous forme de tête à tête, des rencontres individuelles.

Cependant, à côté des détenus repentis, il y a eu un deuxième groupe, un cercle restreint d’irréductibles autour du célèbre Khadim ould Seman, dont les membres qui ont réitéré leur détermination à combattre «les mécréants occidentaux et les pouvoirs qui sont leurs alliés en terre d’Islam».

Groupe radical

Décrivant le comportement carcéral de cette poignée de détenus radicaux, le chef de service des prisons de Nouakchott a expliqué «qu’ils se caractérisent par un comportement constituant une menace permanente envers leurs codétenus, les agents de l’administration et les éléments de la sécurité. La particularité de ces éléments est d’avoir tous mené des opérations terroristes sur le terrain. Ces individus sont restés avec des idées figées dans une conception surannée du message religieux, refusant toute forme de repentir».

Au-delà des multiples difficultés et épreuves, cette concertation de plusieurs semaines a débouché sur des résultats appréciables qui semblent avoir une incidence sur la situation sécuritaire actuelle du pays.

Un climat apaisé

Ainsi, globalement, les résultats de l’option du gouvernement mauritanien pour un dialogue avec les détenus dits «salafistes» renvoie à un climat politique apaisé avec la mouvance.

Livrant les résultats du dialogue dans les détails, la présentation évoque «des mesures de grâce pour trente-neuf détenus. Par ailleurs, au plan socioéconomique, le gouvernement a versé à chaque détenu repenti une enveloppe de 3 millions d’ouguiyas, soit environ 8000 dollars, pour un nouveau départ dans la vie.

A signaler que parmi les 39 individus touchés par la mesure de grâce, 2 personnes sont retournées dans le maquis, alors qu’une seule a disparu des radars».

De même, «en 2020, le recrutement des groupes terroristes au sein des jeunes mauritaniens à partir du territoire national a quasiment disparu» selon les avis concordants des analystes et observateurs du phénomène de la radicalisation, au niveau de la région sahélo saharienne.

«Mieux, les lignes bougent depuis quelque temps, avec d’anciens terroristes radicaux qui expriment désormais des dispositions pour l’ouverture d’un dialogue avec les autorités, suivant le format de l’expérience de 2010», selon le responsable des prisons de Nouakchott.

Réinsertion

Abordant le volet réinsertion, la communication rappelle que «la finalité de la détention est un retour réussi dans le tissu social. A cet égard, la démarche du gouvernement mauritanien est parfaitement conforme aux standards mondialement admis dans le traitement de la question terroriste, en tenant compte de toutes les dimensions du phénomène. La lutte contre le terrorisme ne peut pas être gagnée uniquement par les armes et le tout sécuritaire. La reconquête des esprits et la déradicalisation est un passage obligé. Cet impératif interpelle les décideurs au plus haut niveau pour doter les administrations pénitentiaires des moyens humains et matériels à la hauteur du combat de la réinsertion sociale des détenus radicaux».

Cette revendication porte notamment une formation spécifique et continue pour le personnel des administrations pénitentiaires d’Afrique de l’ouest et du nord.

Un climat de sécurité est de retour depuis plusieurs années en Mauritanie, grâce à une approche intégrée combinant plusieurs dimensions dans la gestion du phénomène de la radicalisation.

Un exemple d’une réelle valeur pédagogique dont la duplication ailleurs aiderait grandement à mettre fin à la multiplication des attaques au Sahel et ailleurs dans le monde. Surtout dans le contexte d’une menace géopolitique majeure qui représente un défi pour la sécurité et le développement.

Les liens entre ces dimensions justifient la création à Nouakchott, en février 2014, du G5 Sahel, organisation regroupant le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 08/03/2020 à 13h10, mis à jour le 08/03/2020 à 13h13