Africa CEO Forum 2024: Entretien. Hicham El Habti dévoile les ambitions panafricaines de l’Université Mohammed VI Polytechnique

Hicham El Habti, président l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P).

Le 19/05/2024 à 12h34

VidéoComme de nombreuses entreprises africaines et internationales, l’Université Mohammed VI Polytechnique était présente à Kigali pour l’Africa CEO Forum. Son président, Hicham El Habti, a participé à un panel de discussion intitulé «Former la génération Alpha : comment la technologie peut préparer la jeunesse africaine à son avenir», où il a présenté les innovations de l’UM6P visant à outiller la jeune génération africaine afin qu’elle puisse se distinguer et aider le continent à s’imposer sur la scène mondiale. Sur place, nous l’avons interviewé en exclusivité, et il a annoncé l’ouverture prochaine d’une première antenne de l’université en Côte d’Ivoire.

Dans cet entretien accordé à Le360 Afrique, Hicham El Habti, président de l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), à Kigali, en marge de l’Africa CEO Forum, revient sur les raisons de la présence de sa présence, des défis de la formation de la «génération Alpha», de l’ouverture et des ambitions panafricaines de l’UM6P.

Le360 Afrique: Pourquoi avoir fait le déplacement ?

Hicham El Habti: Au fait, c’est la deuxième édition à laquelle l’UM6P participe après celle de l’année dernière. Comme vous le savez, Africa CEO Forum est un regroupement du secteur privé pour traiter des questions en lien avec les défis du continent africain et ça correspond exactement avec la mission de l’Université Mohammed VI Polytechnique. Notre université a vu le jour avec comme mission de développer des technologies, des innovations, de la recherche, de la formation au service du continent africain. Comment devons-nous donner de l’opportunité à la jeunesse africaine pour être au rendez-vous du développement et de la croissance de ce continent? Pour ce faire, le rôle du secteur privé est primordial à côté du rôle du secteur public, bien sûr, et donc, l’UM6P est là pour pouvoir déjà rencontrer ces acteurs privés, être aussi à l’écoute au niveau de différents panels par rapport aux solutions et des questionnements pour que notre offre soit la plus pertinente possible à l’avenir.

Vous avez pris part à un panel de discussion intitulé: «Former la génération Alpha : comment la technologie peut préparer la jeunesse africaine à son avenir». Ce thème correspond-t-il avec votre mission à l’UM6P?

Effectivement, le panel était focalisé sur ce qu’on appelle la génération Alpha, qui est une génération née après 2010 et qui a un rapport très particulier avec les technologies ; autant nous, on les considère comme des outils, autant eux, ils les considèrent comme de l’air qu’ils respirent. Et donc, ils sont très à l’aise avec ces outils-là, et donc, l’approche académique doit s’adapter, et c’est un grand défi pour les écoles et les universités. Le panel avait pour objectif d’échanger des points de vue par rapport à ces nouvelles approches pédagogiques qu’on doit mettre en place pour pouvoir accompagner cette génération Alpha qui va être aux commandes dans quinze ou vingt ans et qui a besoin d’être outillée autrement que par la formation classique composée de salles de cours, etc. C’est un très beau défi qui nous attend et qui va nous pousser à innover en termes pédagogiques.

Pendant la cérémonie d’ouverture, on a parlé du rôle primordial que vont jouer les nouvelles technologies pour aider l’Afrique à trouver sa place parmi les puissances mondiales. Et le Maroc a été cité pour abriter l’un des hubs de l’intelligence artificielle les plus avancés au monde. Selon vous, que peut apprendre du Maroc, le reste du continent?

Je ne dirais pas apprendre mais peut-être partager. Partager notre expérience d’une manière très modeste, et donc, effectivement, si je prends le cas de l’UM6P, plus de la moitié des formations à l’UM6P relèvent du domaine des technologies, que ce soit le codage, la programmation, les sciences des données, les sciences informatiques, etc., avec des approches pédagogiques complètement différentes. Nous avons un réseau d’écoles où il n’y a même pas de profs, où les étudiants doivent apprendre par eux-mêmes mais en groupes, et donc, du coup, ils commencent à proposer des solutions pour leurs pairs, pour l’université et pour la communauté. Ce qui caractérise le Maroc par rapport à ça, c’est cette volonté ; il y a aussi une politique publique, on parle de la feuille de route numérique 2030, il y a tous les efforts qui ont été faits pour la généralisation de la connectivité au niveau du Royaume. La pandémie de COVID-19 a été un accélérateur, puisqu’à un moment, tous les étudiants et tous les élèves du Maroc étaient sur une plateforme, et donc, on a dû développer cette plateforme et les serveurs, et ainsi de suite. Donc, il y a une expérience depuis 2020 qui est à la disposition de nos frères et sœurs africains pour simplement partager en toute modestie.

Nous vivons à une époque où de nombreuses personnes, notamment en Afrique, semblent s’accorder sur la nécessité de réformer le système éducatif afin de mieux l’adapter aux véritables défis de la vie quotidienne. Cette question a d’ailleurs fait l’objet de discussions animées lors de ce forum. Partagez-vous ce point de vue ?

Oui, nous le nommons autrement, mais cela revient exactement au même. Nous parlons d’apprendre à apprendre. En fait, le rythme de l’accélération technologique est très élevé. Avant, on avait le temps d’appréhender la technologie, de développer un contenu qui pouvait rester valable pendant vingt, trente, quarante ans, mais là, ça s’accélère. Donc, le rythme est effréné et le contenu doit s’adapter, et on ne pourra pas suivre. Ainsi ce qu’il faut, c’est que ces gens-là apprennent à apprendre par eux-mêmes. C’est une autre approche pédagogique. Je vous donne un exemple : chez nous, il y a ce qu’on appelle le learning by doing, donc quand les étudiants arrivent après le bac, ils doivent fabriquer des robots ; ils n’ont jamais vu de robots de leur vie et là, ils ont six mois pour le faire. Donc, ils vont aller chercher par eux-mêmes, ils vont les fabriquer, ils vont devoir poser des questions aux profs et ainsi de suite. Alors, après les six mois, la plupart y arrive et il y en a qui n’y arrivent pas, et ce n’est pas grave car ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est le parcours effectué en six mois et donc, à partir de là, ils ont développé cette capacité d’apprendre par eux-mêmes. C’est ça en fait apprendre à apprendre. L’approche éducative doit s’adapter à ce monde qui va de plus en plus vite.

Quelles sont les ambitions de l’UM6P sur le continent africain et dans le monde aujourd’hui?

Notre vocation est véritablement africaine. Nous allons prochainement ouvrir une première antenne en Côte d’Ivoire, à Yamoussoukro, en partenariat avec l’institut polytechnique local, autour du concept de « digital farming ». L’objectif est d’introduire le numérique dans l’agriculture. Cela permettra de rendre ce domaine plus attrayant pour la jeunesse, qui peut parfois le percevoir comme rebutant ou peu accessible. Avant cela, nous avions lancé il y a trois ou quatre ans une initiative appelée « Excellence in Africa » en partenariat avec l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. Dans ce cadre, nous formons des doctorants africains qui doivent rester en Afrique et travailler sur des thématiques liées aux défis du continent, tout en bénéficiant d’un co-encadrement par des professeurs de l’EPFL et de l’UM6P. Nous venons de sélectionner la deuxième cohorte, composée d’une vingtaine de jeunes venant de tout le continent africain et retenus parmi plus d’un millier de candidatures. Ceci contribue au renforcement des capacités de recherche et d’éducation, car ces jeunes constitueront la future génération d’enseignants et de chercheurs dans les universités africaines. Pendant la pandémie de Covid-19, nous avons également équipé plus d’une dizaine d’universités africaines en studios d’enregistrement, afin qu’elles puissent développer du contenu numérique, avec une formation de techniciens et de professeurs aux technologies de l’éducation numérique, toujours en partenariat avec l’EPFL. Enfin, nous faisons partie de plusieurs réseaux sur le continent africain, où nous partageons nos travaux de recherche et d’éducation, permettant la mobilité de doctorants et d’étudiants. D’ailleurs, pour l’année académique 2023-2024, environ 9% de nos étudiants viennent d’Afrique subsaharienne. C’est ainsi une façon d’accueillir l’Afrique au Maroc et d’avoir des ambassadeurs un peu partout sur le continent.

Par Fraterne Ndacyayisenga
Le 19/05/2024 à 12h34