Cet entraîneur sportif à Johannesburg, 38 ans, n’a pas encore arrêté son choix pour les législatives de mercredi. Mais l’ANC n’aura plus son vote. Trente ans après l’élection de Nelson Mandela, le parti, devenu «arrogant», a «perdu le contact» avec les Sud-Africains pour défendre «ses propres intérêts», juge-t-il.
Si beaucoup de ses compatriotes partagent cette désillusion, ils sont encore des millions à rester fidèles à l’ex-mouvement de libération qui leur a apporté la démocratie.
Et certains forts en gueule pourraient, dans l’intimité de l’isoloir, offrir in fine leur bulletin à l’ANC par réflexe de loyauté, estiment de nombreux observateurs pour lesquels les intentions de vote entre 40 et 45% des derniers sondages sont à prendre avec précaution.
«Avant que l’ANC ne vienne nous sauver, nous étions traités comme des sous-hommes dans notre propre pays. Nous n’étions rien», rappelle Gugulethu Sigcau, 71 ans, qui vit dans le centre délabré de la capitale économique sud-africaine.
«Je ne voterai pour personne d’autre», dit-elle, appelant les noirs, en particulier, à l’imiter car l’ANC «nous a libérés».
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Le Congrès national africain, critiqué pour son impuissance face à un chômage monstre, la corruption, les inégalités ou des coupures de courant incessantes, pourrait pour la première fois de son histoire perdre sa majorité parlementaire.
Mais ses bastions en zone rurale devraient jouer un rôle clé, estime Hlengiwe Ndlovu, professeur en gouvernance à l’Université de Witswatersrand. «Les principaux partis d’opposition n’ont pas eu le positionnement stratégique nécessaire pour exploiter ces circonscriptions», souligne-t-elle.
Dignité et espoir
Sibongile Mdluli, 55 ans, a quitté son village pour trouver un emploi à Johannesburg «avec rien en poche, mais grâce à l’ANC», elle bénéficie d’une maison gratuite, avec de l’eau et de l’électricité.
«Que ça vous plaise ou non, l’ANC a amélioré nos vies», dit à l’AFP cette employée d’une société de déchets, qui n’aura aucun besoin de convaincre ses quatre enfants de voter pour le parti au pouvoir.
La campagne de l’ANC s’est largement centrée sur un sentiment de nostalgie, invitant les électeurs à se concentrer sur les progrès depuis la fin de l’apartheid plutôt que sur les réalisations du mandat en cours.
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«Est-ce que 30 ans suffisent pour effacer l’impact du colonialisme et de l’apartheid? Nous avons besoin de plus de temps», a plaidé le président Cyril Ramaphosa en janvier.
Pour Hlengiwe Ndlovu, l’ANC «opère à un haut niveau d’arrogance». «Ils ne perçoivent aucune opposition comme une réelle menace et ne peuvent pas imaginer se réveiller de l’autre côté», dit-elle, n’ayant pas tiré les leçons des autres mouvements de libération africains qui ont été écartés du pouvoir.
La jeunesse, avec un électeur sur cinq entre 18 et 29 ans, pourrait se montrer déterminante. Avec un taux de chômage record de 45,5%, beaucoup se détournent de l’ANC.
Mais à 22 ans, Gomolemo Pheko, récent diplômé en physique, ne partage pas cette grogne. Sans l’ANC, sa vie «ne serait rien». Le parti a sorti ses parents de la misère et financé ses études. «Voter pour un autre parti» déstabiliserait les mécanismes sociaux en place, estime-t-il.
Si l’ANC a du mal à juguler une économie fragile et une forte criminalité, « les gens ne doivent pas oublier qu’ils gouvernent pour la première fois », estimant qu’ils ont encore « droit à l’erreur ». Les nouveaux petits partis « sont aussi tendance qu’éphémères », juge-t-il, sévère.
En dépit de la présence d’une cinquantaine de formations politiques, « je reste aveuglée par l’amour, je ne vois aucun autre parti » que l’ANC, insiste Sibongile Mdluli.