Au pays des généraux régnant en maîtres absolus, il faut savoir surtout se plier aux ordres de leurs progénitures, pour continuer à conserver ses privilèges. C’est une règle qui n’échappe pas à Toufik Hakkar, le PDG de la Sonatrach, puissante société algérienne des hydrocarbures qui apporte à l’Algérie l’essentiel de ses revenus extérieurs. Toufik Hakkar doit tout à l’armée, au point de devoir obéir aux ordres de celle qui est pourtant censée être sous son autorité, en l’occurrence Melissa Chengriha, la fille de l’actuel chef d’état-major de l’armée algérienne et homme fort du pays.
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Selon la feuille d’information confidentielle, Africa Intelligence, le patron de la compagnie nationale pétrolière algérienne «était l’invité surprise de l’International Energy Week (IEW) à Londres» où il est «arrivé le 26 février par un vol d’Air Algérie» pour «repartir le 28».
Toujours selon la même source, «il a accueilli la centaine d’invités de l’événement organisé le 27 à l’Hôtel Mandarin Oriental (cinq étoiles) dans le quartier huppé de Knightsbridge». Cependant, précise toujours Africa Intelligence, il n’était pas à Londres pour tisser ou renforcer des relations publiques, travail habituellement dévolu «aux départements trading des sociétés pétrolières et d’accélérer des négociations en cours, dans un cadre chic».
S’il est venu à la City, c’est surtout pour «s’entretenir avec les cadres de la filiale trading Sonatrach Petroleum Corp BVI (SPC BVI), chargée de la vente du brut et du GPL de l’Algérie», en particulier avec «Melissa Chengriha, directrice financière de la SPC et fille du très puissant chef d’état-major des armées, Saïd Chengriha».
Melissa a eu une ascension fulgurante qui lui a permis d’intégrer, dès 2001, le cabinet du Premier ministre algérien, pour finir, aujourd’hui haut-cadre au sein du groupe Sontrach. Selon le site d’information Algérie Part, Melissa Chengriha est «depuis septembre 2021, conseillère économique dans le domaine des hydrocarbures à Londres, capitale du Royaume-Uni» de la SPC Bvi, filiale londonienne de la Sonatrach.
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De 2017 à 2021, nous apprend Algérie Part, elle était qualifiée de «fonctionnaire polyvalente» par certains médias, raillant le fait qu’elle occupait plusieurs fonctions fantômes en Suisse, où elle était à la fois représentante diplomatique de l’Algérie à l’ONU-Genève, tout en s’octroyant, de par le nom qu’elle porte, le bureau de l’attaché militaire algérien et celui du consul général de son pays en Suisse ! En fait, toutes ces fonctions visaient à couvrir la discrétion des fréquents allers-retours de Said Chengriha entre l’Algérie et la Suisse où il soigne ses nombreuses maladies chroniques, et particulièrement celle inhérente à une vessie qui ne retient plus rien.
Dans la famille, il y a aussi le commandant Chafik Chengriha, rejeton de l’homme fort du Boulevard Mohamed Taleb, siège de l’état-major de l’armée algérienne, qui réside à Paris depuis 2020, officiellement pour les besoins d’un stage et qui, en réalité, est «au bureau militaire de l’ambassade d’Algérie à Paris, l’un des services les plus discrets de la diplomatie algérienne rattaché directement au ministère algérien de la Défense nationale», précise le Mondafrique. C’est l’occasion pour lui de faire valoir son expertise dans la gestion des millions d’euros qui transitent en toute discrétion par ce bureau. En tout cas, «il mène joyeuse vie à Paris», rapporte la même source.
La sœur de Melissa, Nadia Chengriha, quant à elle, a préféré la grande muette où elle est, depuis 2011, sous-directrice Événementiel et activités annexes au Cercle national de l’armée.
En Algérie, qu’un «fils ou une fille de…» ait le pouvoir de convoquer son PDG ou qu’il profite de prébendes et se goinfre d’argent public relève presque de l’ordinaire. L’histoire récente a même donné à l’Algérie, un «frère de», celui de Abdelaziz Bouteflika, Said, qui était l’un des maîtres tout-puissants du pays vers fin de règne de son frère. On lui prête des décisions présidentielles qu’il aurait prises ou fait prendre à celui qui a terminé son règne tétraplégique et incapable de s’exprimer autrement que par la mime.
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L’histoire de Melissa Chengriha et de ses frères et sœurs rappelle aussi celle des fils d’Ahmed Gaïd Salah, le prédécesseur de Chengriha. Au summum du pouvoir de son père, Mourad Gaïd Salah pouvait proposer ses affidés à de hautes fonctions, comme ce fut le cas avec Fares Bouchama, parachuté contrôleur des douanes à Skikda. Adel Gaid Salah, lui, avait trouvé la bonne idée d’éditer un journal tiré à quelques centaines d’exemplaires et lu par encore moins de personnes, Edough News, pour bénéficier de pages entières de publicité, alors que des journaux très lus en Algérie, comme El Watan, n’y avaient pas droit. Il bénéficiait également, comme son autre frère, Boumediène Gaïd Salah, de juteux marchés publics à l’attribution peu orthodoxe.
A rappeler que la liste est loin d’être exhaustive.
Ainsi, le fils du général Mohamed Salah Benbicha, actuel secrétaire général du ministère de la Défense, profite également du poste de papa pour faire de florissantes affaires. Adil Benbicha a fait fortune grâce au précieux concours de son père qui lui a ouvert toutes grandes les portes du juteux marché des équipements militaires. Le tout avec la complicité d’un autre haut gradé véreux: le général Ahmed Saoudi, qui occupe le poste stratégique de directeur central des installations militaires au ministère de la Défense.
Le site d’information Algérie Part donne l’exemple d’autres «fils de» qui, comme Melissa, jouissent des avantages que leur offre le statut de leurs géniteurs. Les enfants de l’Algérien moyen, explique le média, «n’auront pas forcément droit à l’argent public et aux fastes d’une vie toute bien tracée, comme celle du fils de l’ex-ministre Benghebrit, protégé du ministère des Affaires étrangères et bombardé à New-York, ou le fils du président du Sénat, Salah Goudjil, qui est confortablement installé à Paris et rémunéré par l’Ambassade d’Algérie aux frais de l’Etat algérien».
Dans la république des prébendes, gérée sur mesure par la nomenklatura algérienne, de telles pratiques ne choquent plus personne. Cela relève presque de l’ordinaire qu’un fils de général, qu’un frère de président, puissent même prendre des décisions qui, dans un Etat qui se respecte, seraient des attributions de pouvoirs publics. Donc, convoquer un PDG de la Sonatrach, alors qu’on n’est que la directrice d’une de ses filiales, quoi de plus normal en Algérie?