Algérie-Mauritanie: des projets sans lendemains

Le président mauritanien Mohamed Cheikh el Ghazouani (g), le président algérien Abdelmadjid Tebboune et Saïd Chengriha, chef d'État-Major de l'Armée algérienne.

Le 25/02/2024 à 11h08

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accueilli le jeudi 22 février son homologue mauritanien Mohamed Cheikh el Ghazouani à Tindouf. Au menu de cette visite de quelques heures, que le dirigeant mauritanien n’oubliera pas de sitôt à cause de l’accident qui a emporté l’un de ses gardes du corps, l’inauguration du poste frontalier et les lancements d’une Zone franche du côté algérien et de la route devant relier Tindouf (Algérie) à Zouerate (Mauritanie). Annoncés de longue date, ces projets risquent de dormir longtemps encore dans les cartons, tant la raison d’être des investissements colossaux qu’ils nécessitent est loin d’être justifiée, économiquement parlant. Décryptage.

On peut dire que Tebboune est dans son élément. A quelques mois de l’élection présidentielle algérienne, tout est bon pour cacher un bilan largement négatif. Pour ce faire, il n’a pas trouvé mieux que d’inviter l’un des deux seuls présidents de pays ayant encore un semblant de bonnes relations avec Alger, à savoir le président mauritanien Mohamed Cheikh El Ghazouani, de surcroit désigné président de l’Union africaine pour l’année 2024. Les deux présidents ont procédé à l’inauguration d’un poste frontalier et la pose des premières pierres de deux projets qualifiés de «stratégiques»: une Zone franche à Tindouf pour doper les échanges commerciaux et industriels, et la réalisation d’une route devant relier Tindouf en Algérie à la ville mauritanienne de Zouerate, sur une distance de 840 km.

Si la presse algérienne a qualifié de stratégiques ces projets, la réalité est autre.

D’abord, en ce qui concerne l’inauguration du poste frontalier, un seul fait explique ce non-évènement. Comment comprendre que deux pays frontaliers puissent rester plus de 60 ans après leur indépendance sans avoir de postes frontaliers fixes au niveau de leur frontière commune? C’est certainement un cas unique au niveau du continent qui démontre, s’il en faut, que les relations économiques entre les deux pays sont insignifiantes.

Il faut dire que, valeur aujourd’hui, les échanges commerciaux entre l’Algérie et la Mauritanie sont faibles, et ne dépassent pas les 200 millions de dollars par an. Actuellement, le solde est largement bénéficiaire en faveur de la Mauritanie qui exporte notamment du minerai de fer, contribuant à alimenter l’industrie sidérurgique algérienne. Un produit qui est transporté bien évidemment par voie maritime.

Quant à l’Algérie, elle exporte quelques produits alimentaires (dattes, légumes…), du ciment… Des produits qui ne sont compétitifs que grâce aux subventions accordées aux entreprises de transport assurant l’acheminement de ces produits vers le marché du voisin du sud. En clair, on comprend pourquoi ce poste frontalier n’a jamais été une priorité. D’autant plus que l’Algérie, contrairement au Maroc, n’est pas une destination pour les Mauritaniens. Du coup, la circulation des personnes est presque nulle et ce d’autant plus que cette région est loin d’être sécurisée. D’ailleurs, depuis plusieurs années, la Mauritanie considère cette zone frontalière comme «Zone militaire» interdite aux populations. Il faut dire que cette région est gangrenée par toute sorte de trafics dont certains sont liés aux milices du Polisario et d’autres aux groupes terroristes sahéliens.

N’empêche, pour Alger, l’inauguration de ce poste est jugée essentielle, car elle est censée concurrencer le poste frontalier de Guerguerate qui ne cesse de troubler le sommet des dirigeants algériens du fait de son franc succès, aussi bien en ce qui concerne les échanges commerciaux entre le Maroc et la Mauritanie, qu’entre le royaume et l’Afrique de l’ouest.

Outre les postes frontaliers, l’autre projet lancé a concerné la Zone franche commerciale de Tindouf. Faisant partie des 5 zones franches annoncées par le président Tebboune il y a quelques jours, et qui seront implantées aux frontières de cinq pays voisins -Mauritanie, Mali, Niger, Libye et Tunisie-, la zone franche de Tindouf viserait à booster les échanges commerciaux entre l’Algérie et la Mauritanie.

Pour lancer ce projet, le président Tebboune a annoncé qu’il va lui consacrer une enveloppe de 29,5 milliards de dinars, soit environ 200 millions d’euros. Selon les autorités algériennes, cette zone franche devrait être opérationnelle durant le semestre en cours.

Seulement, il ne suffit pas d’aménager une zone franche pour y attirer des investisseurs. Et on voit mal un opérateur averti investir ses ressources dans une région aussi reculée et dépourvue d’infrastructures de base, de matières premières et aussi enclavée que celle de Tindouf. Surtout qu’il n’existe aucun marché potentiel aux alentours de cette zone franche. Hormis les entreprises publiques algériennes et certains opérateurs privés sous les ordres, on voit mal d’autres entreprises rejoindre cette zone franche à cause des coûts d’exploitation énormes qu’occasionne une telle implantation et qui réduiraient à néant toute compétitivité supposée, malgré les avantages fiscaux que fait miroiter le président algérien aux opérateurs économiques.

D’ailleurs, conscient qu’il sera difficile d’attirer des investisseurs à Tindouf, Tebboune a fait un clin d’œil aux opérateurs mauritaniens, les appelant à «investir dans la zone franche et à tirer parti des exonérations fiscales et douanières». Un appel qui restera lettre morte quand on sait que Nouadhibou, la ville la plus au nord sur le littoral atlantique mauritanien, dispose déjà depuis plusieurs années d’une Zone franche, avec tous les avantages, y compris un accès aux routes maritimes internationales et à l’axe routier reliant le Maroc à l’Afrique de l’ouest via la Mauritanie.

Quelle logique économique pousserait donc un investisseur mauritanien à s’implanter à Tindouf? C’est dire que ce projet est un non-sens. Une simple dilapidation des deniers publics. C’est pourquoi de nombreux observateurs y voient uniquement un effet d’annonce, comme le régime algérien sait en faire. En définitive, avant même le lancement cette zone franche, il est quasiment certain qu’elle sera vouée à l’échec, si jamais elle arrive à voir le jour.

Idem pour le projet phare de la route Tindouf-Zouérate. Pour Alger, la réalisation de cette route de 840 km est jugée stratégique pour dynamiser les échanges entre les deux pays et ouvrir des axes routiers internationaux aux opérateurs algériens afin qu’ils accèdent aux marchés des pays ouest-africains, via la Mauritanie. A noter que sur cette distance de 840 km, seulement 77 km sont sur le territoire algérien et les 763 restants sont en territoire mauritanien. Ce vieux projet a été relancé et acté en décembre 2021. Il est actuellement au stade des études et de la mise en place des infrastructures logistiques. Le délai prévisionnel de réalisation de cette route est fixé à 36 mois.

Il s’agit d’une route aussi longue, à travers un paysage très sablonneux, qui va nécessiter un coût d’investissement énorme, sachant que les matériaux nécessaires pour sa réalisation devront provenir de régions éloignées de Tindouf. D’ailleurs, aucun mot n’a été pipé sur le coût de ce projet. La seule certitude est qu’il sera entièrement financé par l’Algérie et donc par le contribuable algérien.

Au-delà de sa réalisation, le coût de son entretien sera encore très élevé. En effet, dans cette région du désert du Sahara, les fréquents vents de sable, souvent violents et rendant la visibilité nulle, mettront à rude épreuve l’entretien de cette route qu’il faudra continuellement désensabler. C’est dire qu’il faut en permanence mobiliser des engins de désensablement le long de cette interminable route. Ce qui est une gageure en matière de logistique et de sécurité.

Autant de raisons qui ont fait que la Mauritanie n’a pas été vraiment partante pour réaliser la partie du tronçon allant de la frontière avec l’Algérie à la ville de Zouerate, soit 763 km. Pourquoi en effet investir plusieurs dizaines de milliards d’ouguiyas dans une route, traversant une région quasiment inhabitée, et qui ne rapporte donc rien à la Mauritanie? Du coup, après le retard accusé par le projet et la certitude que la Mauritanie ne réalisera pas ce tronçon sur ses ressources budgétaires et ne s’endettera pas pour réaliser une route qui n’a presque aucune rentabilité socio-économique pour elle, Alger a décidé de prendre en charge le coût total du projet. Une manière de pousser la Mauritanie à accepter la réalisation de la route.

Toutefois, ce que la presse algérienne annonce comme le premier projet d’envergure que l’Algérie réalise en dehors de ses frontières depuis son indépendance au profit d’un pays frère est loin d’être un cadeau à la Mauritanie. D’abord, la réalisation de la route, dont 90% se feront sur le sol mauritanien est octroyée uniquement aux entreprises algériennes. Une dizaine d’entres elles participeront à ce projet. Ensuite, une fois le projet réalisé, l’exploitation de la route sera assurée, selon les médias algériens, «sous forme de concession pour une durée de 10 ans avec reconduction tacite». C’est dire que l’exploitation de cette route pourrait revenir à Alger durant au moins 20 ans. Enfin, cerise sur le gâteau, les nombreuses stations-services qui seront implantées le long de la route sur le territoire mauritanien seront réalisées et exploitées par Naftal, l’entreprise algérienne spécialisée dans la distribution des produits pétroliers.

En clair, il ne s’agit pas d’un cadeau fait par l’Algérie, mais d’un investissement à long terme. Le problème est de savoir si celui-ci sera rentable. Pas si sûr quand on se penche sur le volume des échanges commerciaux entre les deux pays qui ne dépassent pas les 2O0 millions de dollars par an, dont une partie non négligeable constituée de minerai de fer mauritanien exporté vers l’Algérie par voie maritime.

Ensuite, la longueur du trajet pose problème, sachant que l’essentiel des exportations algériennes vers la Mauritanie proviennent du nord du pays (Alger, Oran…). Atteindre la ville de Nouakchott, distante d’environ 4000 km par voie terrestre constitue un gros handicap pour les opérateurs algériens. Actuellement, malgré les subventions, les produits transportés par les camionneurs ont du mal à être compétitifs au niveau prix, sachant que du point de vue qualité ils ne font pas le poids face aux produits importés d’autres régions.

D’ailleurs, ayant compris la difficulté de transporter des marchandises via la voie terrestre, Alger a ouvert une ligne maritime avec la Mauritanie et envisage de faire la même chose avec d’autres pays ouest-africains.

Partant, Alger, pour assurer une certaine compétitivité à ses produits, essaye d’imposer à la Mauritanie un Accord de libre-échange. Des avances face auxquelles son voisin du sud fait toujours la sourde oreille.

Bref, tous ces projets non viables s’expliquent par une seule chose, l’embarras d’Alger face au succès retentissant du passage d’El Guerguerat, la frontière commune entre le Royaume du Maroc et la Mauritanie. Un passage par lequel transitent les échanges entre le Maroc et la Mauritanie, mais aussi entre le Royaume et l’Afrique de l’ouest. Le succès de ce passage est tel qu’il est devenu l’une des principales portes d’entrée de marchandises en Mauritanie.

Cette situation irrite au plus haut niveau l’Algérie qui essaye par tous les moyens de faire semblant d’imiter ce succès, alors qu’elle cherche à la briser. Mais à trop mettre la pression sur la Mauritanie, qu’elle compte éloigner du Maroc, l’Algérie risque de perdre cet autre pays voisin, au moment où elle voit ses frontières avec ses autres voisins se fermer une à une à cause de la diplomatie de ses dirigeants qui se sont mis au dos aussi bien le régime malien que celui du Niger. Sachant que la frontière avec le Maroc est fermée depuis des décennie et qu’avec la Libye le courant ne passe pas très bien, le régime algérien ne peut compter que sur la Tunisie, dont elle sauve le tourisme avec environ 3,5 millions d’Algériens qui ont visité ce pays en 2023, et la Mauritanie qu’elle cherche par tous les moyens à mettre sous son joug, au moment où le Mali, après des années de manipulation, a fini par s’émanciper d’elle après avoir compris le jeu trouble qu’elle joue dans le conflit opposant le régime de Bamako à la rébellion touarègue dont les dirigeants trouvent refuge et couvert sur le territoire algérien.

Par Karim Zeidane
Le 25/02/2024 à 11h08