Plusieurs sujets ont été débattus lors de la rencontre, dimanche 15 décembre à Abuja, des chefs d’État et de gouvernement des pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) dont le volet sécuritaire. Mais c’est surtout l’incertitude qui plane sur l’avenir de l’intégration régionale qui a focalisé les débats de la 66e sessions ordinaire de l’Organisation sous régionale composée de 15 pays.
La veille, les pays de la Confédération des États du Sahel (CES) avaient pris les devants en annonçant que leur retrait de la Cedeao était irréversible. Pourtant, durant une année, médiateurs officiels et intermédiaires discrets ont multiplié les contacts pour faire revenir Niger, Mali et Burkina Faso sur leur décision.
Après le rapport présenté par les médiateurs, Bassirou Diomaye Faye du Sénégal et Faure Gnassingbé du Togo, les pays de la Cedeao ont annoncé avoir pris acte de cette décision. «Les autorités reconnaissent que, conformément aux dispositions de l’article 91 du traité révisé de la Cedeao, les trois pays cesseront officiellement d’en être membres à compter du 29 janvier 2025», a souligné Omar Alieu Touray, président de la Commission de la Cedeao.
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Toutefois, toujours dans leur volonté de faire revenir les pays de la région dans le giron de de la Cedeao, les dirigeants ouest-africains ont décidé de transgresser leur règlement en accordant une période de transition de six mois à partir du 29 janvier prochain. Au terme de cette période, qui arrivé à échéance fin juillet 2025, la sortie des trois pays sahéliens sera définitive.
Les dirigeants de la région ont ainsi répondu à une requête du Parlement communautaire qui avait demandé une prolongation du délai de retrait des pays de l’AES. Nombre de chefs d’Etat de la région, dont l’Ivoirien Alassane Ouattar, souhaitent maintenir le statu quo afin de faciliter une éventuelle réintégration des pays de la CES. D’autres par contre sont plus enclin à acter le départ des trois pays sahéliens, Bola Ahmed Tinubu du Nigeria en fait partie.
Les dirigeants de la région ont reconfié la mission de rapprochement entre les deux parties au président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye. Récemment, au Forum de Doha, le président sénégalais avait affirmé que les négociation progressaient positivement. Pour Faye, «rien n’empêche, aujourd’hui, de maintenir la Confédération des États du Sahel puisqu’elle est déjà là et qu’elle répond à une réalité sécuritaire à laquelle ces pays font particulièrement face». En clair, les pays de la CES pourront conserver leur groupement tout en restant membres de la Cedeao. Une voie qui sauverait la face à tout le monde.
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Mais tout en envisageant différents scenarii, la Cedeao se prépare à la séparation. Le président de la Commission de la Cedeao Omar Alieu Touray et son administration sont chargés de gérer la situation des salariés contractuels de la Cedeao originaires des trois pays sahéliens. Comme ils devront veiller au déménagement des différentes agences de la communauté dont le sièges sont installés dans ces trois pays membres fondateurs de l’organisation régionale en 1975.
Il parait évident que pour la Cedeao, c’est à partir du 30 juillet 2025, sauf revirement de l’AES, que la sortie des trois pays sera considérée comme définitive. D’ici là, beaucoup rebondissements risquent de se produire.
En attendant, la CES souhaite garder un certain nombre d’avantages qu’offre la Cedeao. Ainsi, à l’issue de la réunion des ministres de la CES du13 décembre 2024 à Niamey, au cours de laquelle ils ont présenté l’état d’avancement de la mise en œuvre de la feuille de route de la confédération, les dirigeants de la CES ont annoncé la libre circulation, le droit de résidence et d’établissement des ressortissants de la Cedeao dans l’espace de la Confédération des Etats du Sahel.
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«La Confédération des États du Sahel est un espace sans visa pour tout ressortissant des États membres de la Cédéao», selon les termes de la déclaration du président de la CES, Assimi Goïta, président du Mali. Mieux, «les véhicules à usage commercial immatriculés sur le territoire d’un État membre de la Cédéao et transportant des passagers pourront entrer sur le territoire d’un État membre de la CES conformément aux textes en vigueur» conclut la déclaration.
En faisant une telle annonce tout en insistant sur leur départ de la Cedeao, les pays de la CES souhaitent bénéficier d’un traitement identique que celui réserve aux pays membres de la de la Cedeao, un des espaces les plus intégrés du continent africain. De nombreux citoyens des trois pays sahéliens vivant dans les pays de la Cedeao craignent de subir des traitements différents une fois le divorce consommé.
Et en juillet dernier, Omar Aliew Touré avait souligné que «le retrait du Niger, du Mali et du Burkina Faso affectera les conditions de voyage et d’immigration des citoyens de ces trois pays», expliquant qu’«ils auront désormais à mener des démarches en vue de l’obtention d’un visa avant de voyager dans la sous-région. De plus, ils ne pourront plus résider ou créer des entreprises librement dans le cadre des facilités de la Cedeao et seront soumis à diverses lois nationales.»
Une situation que souhaitent éviter les dirigeants des pays de la CES à leurs ressortissants. Raison pour laquelle les trois pays comptent encore, pour le moment, rester au sein de l’espace Uemoa -Union économique et monétaire ouest-africain- qui leur offre la libre circulation des biens et des personnes dans cet espace de huit pays dont ils sont membres.
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Les économies de la région sont très interdépendantes, ce qui complique davantage le divorce. Certaines entreprises ivoiriennes réalisent entre 20 et 40% du chiffre d’affaires dans le marché sous-régional. Les exportations ivoiriennes vers le Mali dépassent les 900 milliards de francs CFA, faisant de ce pays son troisième partenaire commercial mondial et le premier de la Cedeao.
Pour rappel, c’est en janvier 2024, que le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé, leur retrait «sans délai» de la Cédéao, jugeant qu’elle ne répond plus aux aspirations de leurs peuples. Désormais, il faudra attendre le prochain sommet de la Cedeao prévu en juillet 2025 pour analyser les avancements du retrait des trois pays de la CES ou de leur réintégration au sein de la communauté ouest-africaine.