Pour beaucoup d’observateurs, l’enjeu essentiel de ce deuxième sommet Russie-Afrique sera le degré de participation à haut niveau des pays africains. Actuellement, selon les derniers décomptes confirmés par les Russes, pas moins de 49 pays africains seront représentés à ce sommet qui se tient les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg. Un sommet qui se tient dans un contexte particulier de la guerre Russie-Ukraine qui est en train de bouleverser l’ordre politique mondial. Aussi, les enjeux de ce sommet sont nombreux, aussi bien pour la Russie que pour les pays africains, avec comme slogan: «Pour la paix, la sécurité et le développement».
Plusieurs évènements sont au programme dont le Forum économique et humanitaire Russie-Afrique qui abordera quatre thèmes: «Technologies et sécurité pour un développement souverain qui profite aux peuples», «Sécurité intégrée et développement souverain», «Coopération scientifique et technologique» et «La sphère humanitaire et sociale: travailler ensemble pour une nouvelle qualité de vie».
Dans le détail, les participants vont débattre de divers domaines: exploitation minière, énergie, agriculture, logistique, sécurité alimentaire en Afrique, sécurité de l’information, transfert de technologies de pointe russes (numérique, industriel, nucléaire et spatiales…) en vue de promouvoir le développement durable de l’Afrique, l’enseignement supérieur, les technologies éducatives, la culture et le sport.
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Pour la Russie d’abord, ce sommet a un enjeu diplomatique de taille. C’est une opportunité rêvée pour Vladimir Poutine de montrer que la Russie n’est pas aussi isolée que ne voudraient le faire croire les Occidentaux, notamment au niveau du continent africain. Et que, si elle ne pèse pas lourd économiquement, Moscou a montré son poids politique lors des votes des Assemblées générales de l’ONU.
Ainsi, le jeudi 23 février 2023, sur les 30 votants africains de la résolution des Nations unies appelant la Russie à «retirer ses forces armées hors d’Ukraine», 22 s’étaient abstenus, et deux s’étaient prononcés contre. Ils étaient seulement 7 pays sur 26 à s’abstenir lors du précédent vote du 12 octobre 2022. C’est dire que la Russie continue de jouir d’une certaine neutralité des pays africains vis-à-vis du conflit qui l’oppose à l’Ukraine.
En clair, si les relations économiques entre la Russie et l’Afrique sont négligeables, les avantages politiques à tisser de profondes relations avec l’Afrique sont importants avec les 54 voix que compte le continent à l’Assemblée générale des Nations unies.
Et sur ce point, si on se fie aux dernières annonces russes, les pays africains comptent participer massivement à ce sommet Russie-Afrique et ce, en dépit, des multiples pressions exercées par les pays occidentaux sur de nombreux pays du continent et des effets de la guerre Russie-Ukraine.
Selon les Russes, les représentants de 49 pays africains sont attendus, ainsi que ceux d’organisations régionales et internationales, des milieux d’affaires, de la société civile et des médias. «A ce moment, nous avons reçu la confirmation de la participation de 49 délégations africaines. Environ la moitié des pays africains seront représentés au plus haut niveau, par des chefs d’Etat et de gouvernement», a déclaré Alexandre Poliakov, adjoint du département des pays africains auprès du ministère russe des Affaires étrangères.
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Pour la Russie, ce sommet sera aussi l’occasion de mettre en exergue ses leviers d’influence qui sont, dans le contexte actuel, nombreux. D’abord, il y a celui des céréales. Grands fournisseurs de blé au monde et à l’Afrique, les Russes qui ont refusé de renouveler l’Accord sur les céréales qui permettait à l’Ukraine d’exporter son blé vers le reste du monde, ont rassuré les pays africains en ce qui concerne leur approvisionnement en céréales, notamment du blé. La Russie et l’Ukraine sont les grands fournisseurs de blé à l’Afrique. La production de la Russie est estimée entre 92 et 104 millions de tonnes.
C’est dire que la Russie a les moyens d’approvisionner le continent africain, surtout que certains pays occidentaux boycottent son blé. Ainsi, le sommet sera l’occasion pour la Russie de rassurer les pays africains sur la sécurité de leurs approvisionnements en blé. D’ailleurs, Vladimir Poutine, en personne, a promis de livrer gratuitement des céréales aux pays les plus pauvres du continent.
Il ne serait pas inutile de rappeler que les pays africains sont dépendants des importations de blé de la Russie et d’Ukraine. Entre 2018 et 2020, 25 pays africains ont importé plus du tiers de leur blé de la Russie et d’Ukraine. Quinze d’entre eux importent plus de la moitié de leurs besoins de la région: c’est le cas du Soudan (75%), de la RDC (68%), du Sénégal (65%)… D’autres sont dépendants à 100% de la région. C’est le cas du Bénin (100% de blé russe), la Somalie (70% du blé ukrainien et 30% russe). Globalement, l’Afrique dépend de 65% de ses besoins en blé des importations.
Outre les céréales, la Russie compte aussi jouer à fond la carte des engrais dont les prix ont flambé en 2022 dans le sillage de la hausse des cours du gaz naturel et des hydrocarbures en général, dont le fuel. La Russie compte aussi sur le levier de la diplomatie des engrais pour renforcer ses liens avec les pays africains. Disposant d’engrais à prix compétitifs grâce à l’abondance du gaz (le gaz naturel représente 80% du coût de production de l’ammoniac, l’ingrédient de base des engrais azotés), la Russie est un des géants mondiaux des engrais, qu’il s’agisse d’azote, de potasse, de matières premières ou de produits finis. La Russie et la Biélorussie concentrent 40% des échanges mondiaux de potasse.
Preuve que les engrais constituent un enjeu crucial, une table ronde sera entièrement consacrée à ce sujet et intitulée «La stabilité du marché des engrais comme gage d’éradication de la faim dans les pays africains». La Russie a déjà fourni des lots d’engrais à plusieurs pays africains dont le Malawi, le Kenya, le Zimbabwe…
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Outre ces volets économiques, le sommet Russie-Afrique sera aussi l’occasion pour les Russes de rassurer leurs partenaires au niveau du volet sécuritaire. La Russie est le premier vendeur d’armes à l’Afrique, contrôlant presque la moitié du marché, grâce notamment à des pays comme l’Algérie, l’Egypte, l’Angola…
Et le sommet sera aussi l’occasion de nombreux pays africains de négocier des contrats d’armements russes. C’est le cas de la RDC qui met la dernière main à un contrat militaire d’envergure pour la fourniture d’hélicoptères russes.
Outre les ventes d’armes, la Russie est présente «militairement» en Afrique via les paramilitaires de la force Wagner, actifs en Centrafrique, au Mali, au Soudan, au Mozambique et qui lorgnent d’autres pays. D’ailleurs, après son putsch manqué, leur chef Evgueni Prégojine a annoncé le redéploiement de son groupe en Afrique. Les armes additionnées à Wagner, la Russie accroit son influence géostratégique en Afrique.
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Au-delà, pour les pays africains, ce sommet devrait aussi donner une nouvelle impulsion aux relations économiques entre la Russie et le continent. Des relations encore très faibles, pour ne pas dire négligeables, comparativement à celles liant le continent à l’Union européenne, la Chine et les Etats-Unis.
En effet, alors que les échanges commerciaux Russie-Afrique avoisinent les 15 milliards de dollars par an, ceux avec l’Union européenne atteignent 295 milliards de dollars, 254 milliards de dollars avec la Chine et 65 milliards de dollars avec les Etats-Unis. Vladimir Poutine avait promu, lors du premier sommet Russie-Afrique en octobre 2019 à Sotchi, de porter ces échanges à 40 milliards de dollars en 5 ans. Quatre ans plus tard, le compte n’y est toujours pas. La balance commerciale est très largement en faveur de la Russie. Les exportations de Moscou vers l’Afrique sont 7 fois supérieures aux exportations africaines vers la Russie. Les exportations africaines vers la Russie ne représentent qu’à peine 0,4% du total des échanges commerciaux de l’Afrique.
Actuellement, la Russie exporte essentiellement des céréales, des matières extractives, des engrais, des armes, des hydrocarbures,… Quant aux exportations africaines, elles se composent principalement de produits frais. En conséquence de quoi, les pays africains attendent plus de la Russie dans différents domaines: agriculture, hydrocarbures, énergie, transports, numérisation… Et c’est l’un des enjeux de ce deuxième sommet Russie-Afrique.