Dans un monde en pleine urbanisation rapide, les villes africaines sont confrontées à de nombreux défis liés à la croissance démographique, aux changements climatiques, à la mobilité urbaine et à l’accès aux services de base. Face à ces enjeux cruciaux, la Banque africaine de développement (BAD) et son Fonds de développement urbain et municipal (UMDF) ont lancé une série de voyages d’étude visant à faire découvrir aux responsables municipaux des solutions innovantes mises en œuvre dans des villes pionnières en matière de développement durable. Depuis le lancement de ces visites d’étude, plus d’une dizaine de projets et initiatives ont été visités ou présentés aux délégations africaines dans différentes villes.
«La transition urbaine rapide de l’Afrique présente de nombreuses similitudes avec celle qu’a connue l’Amérique latine dans les années 1950 et 1960″, souligne Darline Tognia, coordinatrice de l’UMDF, justifiant le choix du Brésil comme destination pour un récent voyage organisé du 5 au 13 août 2024. Une délégation de 19 cadres municipaux venus de Nairobi (Kenya), Beira (Mozambique), Tshwane (Afrique du Sud), Lomé (Togo), Dakar (Sénégal), Addis-Abeba (Éthiopie) et Freetown (Sierra Leone) a ainsi pu s’imprégner des expériences brésiliennes à Sao Paulo, Fortaleza et Curitiba.
La solution de la ville-éponge permet à la ville de Copenhague de gérer rapidement l’arrivée de grandes quantités d’eau, comme ici au parc Karens Minde aménagé en zone de captage.. DR
À Sao Paulo (la ville la plus peuplée du Brésil), les participants ont visité un centre polyvalent public proposant un «Programme d’alimentation scolaire» promouvant une alimentation saine tout en soutenant l’agriculture urbaine. Il faut dire que le Programme d’alimentation scolaire à Sao Paulo a une approche holistique, visant non seulement à nourrir les écoliers mais aussi à promouvoir une alimentation saine et durable. En intégrant l’agriculture urbaine, ce programme soutient les petits producteurs locaux et réduit les émissions liées au transport des aliments sur de longues distances. Cela permet aussi de sensibiliser les enfants à l’origine des aliments et aux enjeux de la production alimentaire durable.
Les responsables municipaux ont également découvert comment les quartiers informels sont modernisés grâce à la fourniture d’infrastructures de base, une meilleure intégration des transports, des programmes de logements sociaux et des mesures de protection de l’environnement. La modernisation des quartiers informels est un défi majeur dans les grandes villes des pays en développement.
L’approche décrite, combinant infrastructures de base, transports, logements sociaux et protection environnementale, semble globale et cohérente. Trop souvent, les projets de «rénovation urbaine» se concentrent uniquement sur le bâti, sans prendre en compte les besoins réels des habitants et l’impact environnemental. Une telle approche intégrée est essentielle pour améliorer durablement les conditions de vie.
Transports, recyclage et aménagement
À Sao Paulo, la délégation a rencontré des coopératives de recyclage des déchets, illustrant une approche de l’économie circulaire permettant de valoriser les déchets tout en créant des emplois locaux. La visite d’un centre de maintenance de bus électriques et l’exploration des transports fluviaux montrent les efforts déployés pour développer des mobilités plus propres.
À Fortaleza, capitale de l’État du Ceará, située dans le nord-est du Brésil, diverses initiatives en faveur de la mobilité durable, comme la promotion des transports en commun et des modes doux, ont pu être observées. L’engagement des jeunes et les programmes de résilience climatique, essentiels pour préparer la ville aux défis futurs, ont également été mis en lumière.
Enfin, à Curitiba, plus grande ville de l’État du Paraná, dans le sud du Brésil et pionnière de l’urbanisme durable, les responsables municipaux ont découvert le système de Bus Rapid Transit, qui offre une alternative efficace et peu coûteuse au métro dans les villes denses. Ils ont aussi pu s’inspirer des programmes ambitieux de réhabilitation des bidonvilles et de gestion des déchets, deux défis majeurs dans de nombreuses villes africaines.
Cette vitrine diversifiée des pratiques urbaines brésiliennes a permis aux délégués africains de s’imprégner de solutions concrètes et éprouvées en matière de transports, de gestion des déchets, d’aménagement urbain durable et d’implication citoyenne. Nul doute qu’ils en tireront des enseignements précieux pour leurs propres villes.
«En visitant le Brésil aujourd’hui, nous pouvons voir de première main, et avec le recul, comment les villes ont absorbé cette croissance; quelles solutions ont fonctionné et lesquelles n’ont pas fonctionné», explique Darline Tognia, coordinatrice de l’UMDF et chef de la délégation.
Suède et Danemark: des modèles urbains avant-gardistes
Quelques mois plus tôt, en septembre 2022, des représentants de 11 villes africaines, à savoir Marrakech (Maroc), Bizerte et Tunis (Tunisie), Dodoma (Tanzanie), Antananarivo (Madagascar), Libreville (Gabon), Bangui (République centrafricaine), Kinshasa (RDC), Nairobi (Kenya), Kanifing (Gambie) et Douala (Cameroun) avaient effectué une visite d’étude similaire à Copenhague (Danemark) et Malmö (Suède). Ces villes scandinaves sont reconnues pour leurs approches pionnières en Darline Tognia matière d’équilibre entre développement durable et qualité de vie urbaine.
Durant leur séjour de quatre jours, les délégations ont pu approfondir leur compréhension des solutions mises en œuvre au Danemark dans des domaines clés du développement durable urbain.
Une visite d’une usine de valorisation énergétique des déchets à Copenhague leur a permis de découvrir concrètement comment cette ville pionnière parvient à transformer ses déchets en une source d’énergie renouvelable. Cette approche de l’économie circulaire, visant à extraire la valeur maximale des ressources avant de les éliminer, est essentielle pour réduire l’impact environnemental des déchets tout en produisant de l’énergie locale.
Des présentations détaillées sur la gestion de l’eau ont mis en lumière les pratiques danoises en matière de gestion des ressources hydriques, un enjeu crucial face aux défis du changement climatique et de l’urbanisation galopante. La réutilisation des eaux usées, la réduction des fuites, la gestion durable des eaux pluviales figurent également parmi les sujets abordés.
Le traitement des déchets solides municipaux a également été exploré, le Danemark étant un pays précurseur avec des taux de recyclage et de valorisation parmi les plus élevés au monde. Les délégués ont pu s’imprégner des systèmes de collecte, de tri et de traitement à la pointe de la technologie.
Enfin, des présentations sur la mobilité électrique ont mis en avant les efforts danois pour décarboner les transports, généralement responsables d’une part importante des émissions de gaz à effet de serre en milieu urbain. Le déploiement d’infrastructures de recharge, les incitations fiscales pour les véhicules électriques et l’électrification des transports en commun ont été abordés.
Cette immersion au Danemark aura certainement inspiré les délégations et nourri leurs réflexions sur les moyens d’accélérer la transition écologique dans leurs propres villes. Pour Davis Mwamfupe, maire de Dodoma, «un tel voyage est une formidable opportunité de partager des expériences et de consolider un réseau de villes réformatrices. Il ouvre également la voie à de futurs projets dans nos villes respectives.»
Inspirées par ces modèles urbains avant-gardistes, les municipalités africaines pourraient ainsi envisager des projets d’infrastructures transformateurs dans des domaines clés comme les transports durables, la gestion des déchets, l’agriculture urbaine, l’accès à l’eau et l’assainissement, ou encore la résilience climatique.
Six nouvelles municipalités dans le programme
Le Fonds de développement urbain et municipal vise justement à améliorer la qualité de vie urbaine et à attirer des investissements pour de telles infrastructures, en renforçant les capacités techniques et de planification des villes. Un comité de surveillance vient d’ailleurs d’approuver l’extension du programme à six nouvelles municipalités : Kolwezi (RDC), Grand Nokoué (Bénin), Buffalo City (Afrique du Sud), Joal (Sénégal), Juba (Soudan du Sud) et Nouakchott (Mauritanie).
«La question du développement urbain est au cœur de la nouvelle stratégie décennale 2024-2033 de la BAD, dont le Fonds de développement urbain et municipal est un mécanisme stratégique de mise en œuvre», souligne Mike Salawou, directeur du Département des infrastructures et du développement urbain de la BAD.
Ces voyages d’étude participent ainsi à sensibiliser les décideurs municipaux africains aux enjeux de la transition écologique tout en favorisant les échanges de bonnes pratiques et le renforcement des capacités. Ils devraient contribuer à accélérer la planification de villes africaines plus résilientes, durables et vivables, dans une optique de développement socio-économique national.