Diplômes des universités publiques françaises: le Maroc seul pays d’Afrique à en automatiser l’équivalence, quid des autres?

La France accueille plus de 400.000 étudiants étrangers dans ses universités et grandes écoles dont 46 à 48% venant du continent africain.. Stephane AUDRAS/REA

Le 30/04/2025 à 12h29

Le Maroc, en automatisant l’équivalence des diplômes délivrés par les universités publiques françaises, offre un modèle innovant pour l’Afrique. Une réforme qui souligne autant les avancées possibles que les fractures persistantes dans un continent où la mobilité académique reste tributaire de logiques nationales fragmentées. Une question centrale demeure: comment transformer ces compétences formées à l’étranger en leviers de développement pour l’ensemble du continent?

Le Maroc vient d’instaurer une réforme qui mérite d’être soulignée: la reconnaissance automatique des diplômes français (licence, master, doctorat) délivrés par les universités publiques. Une décision saluée comme une avancée administrative et sociale.

Au vu des derniers chiffres publiés par Campus France en 2024, cette mesure ne bénéficie qu’à une infime fraction des alumni africains lauréats des Universités françaises. En effet, seuls 45.162 étudiants marocains sur 187.150 africains inscrits en France en bénéficient directement, pour ne parler que des étudiants enregistrés lors de l’année universitaire 2022-2023. Si l’on considère les alumni des années antérieures, la population éligible s’élève théoriquement à plusieurs milliers de diplômés marocains depuis les années 2000, renforçant l’impact national de la réforme.

Néanmoins, à l’échelle continentale, le déséquilibre demeure criant: les 141.988 étudiants africains non marocains (75% du total des étudiants africains), pour ne parler que de ceux enregistrés en 2022-2023, restent soumis à des procédures d’équivalence longues, coûteuses et aléatoires dans leurs pays d’origine. Une dichotomie qui illustre un paradoxe régional: alors que la mobilité étudiante africaine vers la France a progressé de 17% en cinq ans, avec un bond de +34 % pour l’Afrique subsaharienne, seuls les diplômés marocains accèdent désormais à une reconnaissance systémique de leurs compétences. Ce qui soulève des enjeux économiques et systémiques à analyser.

Jusque-là, les diplômés marocains de France devaient affronter un parcours administratif «fastidieux» selon les termes du ministre de l’Enseignement Supérieur, Azzedine El Midaoui: dépôt de dossiers, traductions assermentées (coût moyen de 250 DH par page, environ 23,75 euros), examens par commissions spécialisées, et des délais avoisinant six mois. Un système générateur de «préjudice injustifié» pour des milliers de jeunes, bloqués dans leur accès au marché du travail ou aux concours publics.

La nouvelle mesure, inscrite au Bulletin Officiel n°7392, supprime ces étapes pour les diplômés des universités publiques françaises, couvrant un large spectre disciplinaire (sciences juridiques, économiques, exactes, etc.). Une automatisation qui permet une intégration professionnelle immédiate, alignant le Maroc sur les standards internationaux de mobilité académique.

Le Maroc, une exception africaine

Alors que le Maroc se positionne en pionnier en instaurant cette équivalence automatique pour ses ressortissants, les autres pays africains maintiennent des procédures administratives lourdes et dissuasives. En Algérie, les diplômés doivent solliciter une équivalence via une plateforme en ligne du Ministère de l’Enseignement Supérieur (MESRS), en fournissant des documents authentifiés par les ambassades et soumis à l’examen d’experts scientifiques, conformément au décret n°18-95.

Au Sénégal, malgré les 15.251 étudiants nationaux inscrits en France en 2022-2023, la Commission nationale de Reconnaissance, de classement et d’équivalence (CRCE) exige un dossier complet, sans aucun automatisme, retardant l’accès au marché de l’emploi local. La Côte d’Ivoire, dont 10.691 étudiants évoluent dans l’Hexagone, impose quant à elle un droit de dépôt de 10.000 FCFA (15,24 euros) à la première demande, 5.000 FCFA (7,6 euros) pour les suivantes et des traductions assermentées, alourdissant le coût financier pour les candidats.

Au Cameroun, malgré des accords universitaires historiques avec la France, une plateforme payante (25.000 FCFA depuis janvier 2025) et une évaluation par la Commission Nationale conditionnent l’équivalence, illustrent une bureaucratie persistante.

Des exemples qui reflètent un paradoxe: alors que l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord fournissent 47% des étudiants étrangers en France, selon les derniers chiffres de Campus France, aucun de ces pays ne s’aligne sur la réforme marocaine.

Stimulation potentielle de secteurs clés comme l’ingénierie

Avec 45.162 ressortissants marocains inscrits dans l’enseignement supérieur français en 2022-2023, soit 11 % des 402.883 étudiants étrangers, le Maroc se distingue comme le premier pourvoyeur d’étudiants étrangers. Sur le plan économique, la fluidification de l’insertion professionnelle des Marocains stimule potentiellement des secteurs clés comme l’ingénierie ou la santé, tandis que les retards administratifs ailleurs alimentent une fuite des cerveaux. Juridiquement, le Maroc modernise son administration via une dématérialisation ciblée, contrastant avec la complexification observée en Côte d’Ivoire (frais de dossier) ou au Cameroun (plateforme payante).

A cela s’ajoute le fait que cette réforme renforce l’attractivité de la France pour les Marocains, déjà leaders en mobilité étudiante (+13 % depuis 2017).

Limites et perspectives

Si le Maroc ouvre une brèche, cette réforme bute encore sur des écueils structurels. Première limite: son champ d’application exclut les formations en ligne non homologuées et les diplômes délivrés par des établissements privés français, laissant des milliers d’étudiants dans un flou juridique. Par ailleurs, l’absence de mécanisme panafricain d’harmonisation des reconnaissances académiques, à l’image du système européen de Bologne, perpétue les asymétries régionales.

Alors que l’Union africaine promeut théoriquement la libre circulation des compétences, aucun cadre commun ne facilite aujourd’hui la validation transfrontalière des diplômes, renforçant la fragmentation des systèmes éducatifs. Soulignons qu’il existe des initiatives panafricaines visant à harmoniser la qualité et la reconnaissance des qualifications académiques, mais le mécanisme est encore en développement et n’est pas totalement opérationnel sous une forme pleinement centralisée et unifiée.

La Commission de l’Union africaine (CUA) a développé une Stratégie d’Harmonisation pour l’enseignement supérieur qui vise à faciliter la reconnaissance mutuelle des qualifications académiques et à promouvoir la mobilité intra-africaine des étudiants et des enseignants. Une stratégie qui s’appuie notamment sur la Convention d’Arusha révisée, qui prévoit des mécanismes pour la comparabilité et l’équivalence des diplômes entre universités africaines.

Enfin, cette réforme risque d’accentuer les déséquilibres migratoires qualifiés: attirés par une administration marocaine simplifiée, des alumni d’Universités françaises de pays voisins aux procédures rigides (Algérie, Tunisie) pourraient privilégier le Maroc comme terreau professionnel, privant leurs nations d’origine de talents clés.

Rappelons que cette réforme laisse en marge 32.147 étudiants algériens, 15.251 sénégalais, 14.291 tunisiens ou encore 10.691 ivoiriens, contraints de subir des procédures chronophages et coûteuses, pour ne parler que des étudiants enregistrés lors de l’année universitaire 2022-2023. Encore une fois, si l’on considère les alumni des années antérieures, plusieurs milliers de diplômés restent à quai.

Les pays africains dans le Top 25 des pays d’origine des étudiants de nationalité étrangère en France :

Rang mondialRang africainPays d’origineNombre d’étudiants inscrits en 2022-2023Part du total (%)Évolution par rapport à 2021-2022 (%)Évolution par rapport à 2017-2022 (%)
1er1erMaroc45.16211-3+13
2ème2èmeAlgérie32.1478+4+5
5ème3èmeSénégal15.25140+39
6ème4èmeTunisie14.2914+5+11
9ème5èmeCôte d’Ivoire10.69130+32
10ème6èmeCameroun9.7672+8+42
13ème7èmeCongo7.4832+9+53
17ème8èmeBénin5.6671+12+78
18ème9èmeGabon5.6561-1+24
21ème10èmeMadagascar5.0611+8+18
25ème11èmeTogo4.6451+16+70

Source : Campus France.

Par Modeste Kouamé
Le 30/04/2025 à 12h29