En l’espace de six mois, l’ANC en Afrique du Sud a perdu la majorité absolue pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, le parti démocratique du Botswana a été déboulonné après quasiment six décennies de règne et le Frelimo au Mozambique fait face à une contestation ardente dans la rue après des élections entachées d’irrégularité.
Botswana excepté, cela s’explique car «ces pays ont été libérés beaucoup plus tard que beaucoup d’autres États du continent, dans les années 1990 plutôt que dans les années 1960», relève auprès de l’AFP Nic Cheeseman, spécialiste de politique africaine à l’université de Birmingham.
L’indépendance de la Namibie date seulement de 1990, la fin de la guerre civile au Mozambique de 1992 et les premières élections libres en Afrique du Sud de 1994.
La chronologie compte: ce sont les «born frees», ceux nés après la libération en Afrique du Sud comme en Namibie, qui représentent désormais une large part de l’électorat dans ce continent par ailleurs très jeune.
«Ils n’ont pas connu l’expérience de la lutte pour la libération, de la solidarité et de la loyauté envers le parti qui se sont manifestées à l’époque», analyse Nic Cheeseman. «Les générations précédentes étaient peut-être plus disposées à se sacrifier et à accepter des résultats médiocres».
Si les électeurs les plus jeunes se détournent de ces partis installés au pouvoir, c’est que leur bilan, en particulier économique, est peu reluisant, et qu’ils en sont les premières victimes.
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En Namibie, les derniers chiffres en 2018 faisaient état d’un chômage de 46% parmi les 15-34 ans, presque le triple de la moyenne générale.
«Ces partis se sont révélés incapables de subvenir aux besoins de la population. L’emploi est un problème, les jeunes ne travaillent pas», commente Tendai Mbanje, chercheur au Centre africain pour la gouvernance.
Enfants du numérique
En plus du chômage massif, ces électeurs ont en commun d’être des enfants du numérique. Un point clé au Mozambique où les vidéos de l’opposant Venancio Mondlane sont suivies en direct par une centaine de milliers rien que sur Facebook.
«Ce qui a changé la donne pour ces jeunes» en politique, «c’est leur utilisation des réseaux sociaux», souligne Tendai Mbanje. Dans ces pays, «les médias traditionnels sont généralement contrôlés par l’État».
Signe que l’électorat jeune est clef, des quinquagénaires, comme Venancio Mondlane au Mozambique ou Duma Boko, nouveau président du Botswana, s’éloignent du look traditionnel de l’homme politique.
Le premier a délaissé la coupe de cheveux habituellement courte, ce qui lui vaut des moqueries de partisans du Frelimo diffusant des montages où il tient une bouteille de shampoing. L’autre, à la soigneuse raie tracée à la tondeuse sur le côté du crâne, multiplie les photos en tenue de sport.
«L’apparence compte en politique», décrit Tendai Mbanje. «Avoir l’air jeune trouve toujours un écho auprès des jeunes».
Ces derniers ne sont toutefois pas les seuls à se détourner des mouvements de libération qui peinent à réaliser leurs promesses.
«La génération plus âgée a le sentiment d’un manque de justice transitionnelle après tant d’années de l’ANC au pouvoir», observe Christopher Vandome, chercheur au Chatam House, s’appuyant sur sondages qualitatifs menés dans des townships sud-africains.
«Il y a cette frustration de voir que le parti s’enrichit en quelque sorte mais ne répond pas aux besoins des gens ordinaires».
Le constat vaut au-delà de l’Afrique du Sud: des scandales de corruption ont éclaboussé quasiment tous les partis de libération de la région et la question de la redistribution des terres demeure brûlante en Namibie aussi.
Le dégagisme ambiant en Afrique australe peut-il y influencer les électeurs?
«Les Namibiens qui regardent de l’autre côté de la frontière vont peut-être se dire ”regardez ce qui s’est passé en Afrique du Sud, si nous nous rendons aux urnes, notre vote compte, cela peut provoquer un changement”», juge M. Vandome. «Avec cette vague de transitions, le parti au pouvoir, la Swapo, n’est pas tranquille.»