Kenya: Rigathi Gachagua, sulfureux vice-président menacé de destitution

Le vice-président du Kenya, Rigathi Gachagua, fait des gestes alors qu'il s'adresse aux médias lors d'une conférence de presse à sa résidence officielle à Nairobi, le 7 octobre 2024, avant le vote de l'Assemblée nationale sur sa motion de destitution.. AFP or licensors

Le 08/10/2024 à 08h15

Rigathi Gachagua a navigué entre les accusations de corruption, édulcoré son passé sous le régime autoritaire de Daniel arap Moi jusqu’à atteindre la vice-présidence du Kenya. Mais aujourd’hui, une procédure de destitution menace l’avenir de ce fin manoeuvrier politique.

Elu député en 2017, il a accédé en l’espace de cinq ans au deuxième plus haut poste de l’Etat, après avoir oeuvré à l’élection de William Ruto, une consécration inattendue pour cet ancien homme d’affaires de 59 ans solidement implanté dans la région stratégique du Mont Kenya.

Mais le «ticket» gagnant de la présidentielle d’août 2022 s’est déchiré ces derniers mois - une rupture notamment causée par l’ambition de Rigathi Gachagua, selon des analystes politiques.

Et le «DP» (pour «deputy president») se retrouve accusé devant le parlement, par une motion venant du parti présidentiel, d’«atteinte à l’unité nationale», d’«insubordination» ainsi que de «crimes économiques» (détournements de fonds, conflits d’intérêts, abus de pouvoir...).

Celui qu’on surnomme «Riggy G» a longtemps été perçu comme un homme politique d’envergure locale, influent dans sa région d’origine du mont Kenya.

Il est né au pied du plus haut sommet du pays, dans une famille de l’ethnie kikuyu de neuf enfants du village d’Hiriga, bastion de la révolte des Mau Mau contre les colons britanniques dans les années 1950.

Après des études de sciences politiques et de littérature à Nairobi, puis une formation paramilitaire, le jeune Gachagua se fait rapidement un nom en tant qu’administrateur de district dans divers comtés de la région, à une époque où ces officiers jouissaient d’un pouvoir énorme, utilisés par le régime autoritaire de Daniel arap Moi pour museler toute opposition.

Changement d’allégeances

En 2001, il rejoint l’équipe d’Uhuru Kenyatta, fils du premier président du Kenya alors ministre dans le gouvernement d’arap Moi, et sera son assistant personnel jusqu’en 2006.

Il se tourne ensuite vers les affaires, notamment dans le matériel médical, la construction et l’immobilier, où il amassera une fortune qu’il a estimée en 2022 à 800 millions de shillings (environ 6,5 millions d’euros) - un chiffre largement sous-évalué, selon de nombreux observateurs.

«J’étais un homme d’affaires habile», s’est-il défendu lundi: «L’économie était forte (...) j’ai gagné de l’argent à cette époque».

Le duo unira à nouveau ses forces en 2017 lorsqu’Uhuru Kenyatta, devenu président en 2013, brigue un second mandat et Gachagua un poste de député dans la circonscription de Mathira, où se trouve sa ville natale.

Avec son solide réseau tissé dans l’administration et son franc-parler, il se révèle un pilier de la campagne. Les deux hommes remportent leurs sièges.

Mais quand la relation se fait acrimonieuse entre Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto à partir de 2018, Rigathi Gachagua prend le parti de ce dernier.

Candidat à la présidentielle de 2022, William Ruto le choisit sur son ticket, à la surprise générale.

Le pari s’avère payant. Avec ses saillies mordantes rompant avec la politique classique, ce Kikuyu jouera un rôle crucial pour retourner la région électoralement stratégique du Mont Kenya - fief d’Uhuru Kenyatta qui soutenait Raila Odinga - en faveur de Wiliam Ruto, issu de l’ethnie Kalenjin.

Corruption

La campagne verra ressurgir des accusations de corruption contre les deux hommes, qui dénoncent une chasse aux sorcières menée par Kenyatta.

Moins de deux semaines avant la présidentielle, un tribunal ordonne à Rigathi Gachagua de renoncer à près de 1,6 million d’euros gelés dans le cadre d’une enquête sur une affaire de corruption. Imperturbable, il s’oppose à ce «simulacre de procès».

Accusé en 2021 d’avoir détourné plus de 7,3 milliards de shillings kényans (60 millions d’euros) du gouvernement du comté de Nyeri et de sa circonscription de Mathira, il verra la justice abandonner les poursuites en novembre 2022, pour manque de preuves.

Il est aujourd’hui notamment accusé d’avoir, au cours des deux dernières années, «accumulé de manière inexplicable un portefeuille immobilier colossal estimé à 5,2 milliards de shillings (environ 36 millions d’euros), provenant principalement de produits présumés de la corruption et du blanchiment d’argent».

Lui dénonce une cabale, accusant William Ruto de reproduire la «persécution politique» qu’Uhuru Kenyatta lui avait fait subir quand il était vice-président. «Je me battrai jusqu’au bout», a-t-il promis: «J’ai travaillé dur et je ne me laisserai pas détruire».

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 08/10/2024 à 08h15