«La communauté internationale a une grosse part de responsabilité: c’est son processus politique mal abouti qui a exacerbé les tensions entre Burhane et Hemedti», assène Kholood Khair, fondatrice du centre de recherche Confluence Advisory à Khartoum.
Car au Soudan, depuis les années 2000, chancelleries et organisations internationales sont organisateurs et médiateurs des négociations: entre Khartoum et Juba pour la partition de 2011, entre civils et militaires après la chute du dictateur Omar el-Béchir en 2019.
Depuis début avril, ces négociateurs de l’ONU, de l’Union africaine, de plusieurs capitales occidentales et du Golfe faisaient la navette entre le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée, et le général Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», patron des très redoutées Forces de soutien rapide (FSR).
Ils voulaient que les deux hommes signent enfin l’accord-cadre du retour à un pouvoir civil --et ses articles prévoyant l’intégration des paramilitaires.
Face à cette insistance, un scénario connu s’est répété: quand en octobre 2021, les généraux ont senti approcher la date limite de remise du pouvoir aux civils seuls, ils ont mené ensemble un coup d’Etat.
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Samedi, de nouveau sous pression, ils ont déclenché une guerre à coups de raids aériens, rafale de mitrailleuses et autres combats de rue à Khartoum.
«Voeux pieux»
Entre week-end de Pâques et fin du ramadan, diplomates et commentateurs politiques ont été pris de cours quand Khartoum a basculé dans le chaos.
Pour l’ancien émissaire des Etats-Unis au Soudan Jeffrey Feltman, ce fut la fin d’une illusion.
«Nous n’avons pas sanctionné des actes menés impunément alors que cela aurait pu changer le cours des choses», reconnaît celui qui était à Khartoum quelques heures avant le putsch des généraux -et dit avoir été surpris par la suite des événements.
«Par réflexe, nous avons été conciliants avec les deux chefs de guerre, on se croyait pragmatiques, a posteriori, on se berçait plutôt de voeux pieux», écrit-il dans un texte publié par le Washington Post.
Pour lui, la communauté internationale a préféré «adopter, ce qui était, se disait-on alors, la seule position réaliste: négocier avec les chefs de guerre» et ce, alors que les civils, au pouvoir seulement quelques années depuis l’indépendance en 1956, «étaient suspicieux vis-à-vis des généraux».
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Seuls, les prodémocratie ont continué à manifester pour conspuer les putschistes -qui ont répondu par des balles, tuant 125 d’entre eux.
Les généraux restaient impassibles face à l’arrêt de l’aide internationale en rétorsion au putsch --une suspension qui a privé l’Occident de tout levier de pression, notent les experts. Et aujourd’hui, ils restent sourds aux appels au cessez-le-feu répétés chaque jour aux quatre coins du monde.
Jusqu’à samedi, malgré les violences, les rapports d’experts et du Trésor américain sur les extractions d’or des paramilitaires avec les mercenaires russes de Wagner, Hemedti continuait à être un hôte de marque, multipliant invitations et voyages.
Diplomatie et guerre
«Il a été depuis longtemps soutenu financièrement et reconnu à l’international», affirme à l’AFP un fin connaisseur des relations entre le Golfe et le Soudan.
Reçu à Moscou, Addis Abeba ou Abou Dhabi, l’homme n’hésitait pas à troquer sa casquette et treillis beige pour un costume cintré, négociant accords politiques et commerciaux.
Le général Burhane assistait, lui, à l’Assemblée générale de l’ONU, un an après son coup d’Etat.
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Après une énième table ronde des médiateurs internationaux pour un retour vers la transition démocratique, les FSR -pour des milliers d’entre eux d’ex-miliciens accusés d’exactions dans la guerre du Darfour- annonçaient même ouvrir des «sections droits de l’homme» dans plusieurs Etats du Soudan et rencontraient à ce titre officiels et négociateurs.
Aujourd’hui, «une bonne part de l’agressivité du général Daglo tient à l’attitude des Emirats arabes unis» qui le soutiennent et «sont écoutés par l’Union européenne, les Etats-Unis et Israël», poursuit le spécialiste qui préfère s’exprimer sous couvert d’anonymat.
D’un côté, négociateurs et envoyés spéciaux parlaient aux généraux. De l’autre, «ils rencontraient rarement de larges portions de la société soudanaise» qui réclamaient que les instances internationales fassent rendre des comptes à deux commandants militaires accusés d’exactions au Darfour puis dans la répression des manifestants depuis 2019, rappelle Mme Khair.
C’est cette combinaison, dit-elle, qui a «mené les généraux à croire qu’ils pouvaient lancer la guerre totale en plein coeur de la capitale».