Tout en applaudissant ces nouveaux projets, prévoyant la fourniture de matériel scolaire et de points d’eau pour le bétail, des responsables somaliens ont exprimé le souhait de voir la monarchie pétrolière s’impliquer davantage dans leur pays.
Ravagée par des décennies de guerre et une insurrection islamiste, la Somalie est aujourd’hui «dans un processus de construction de l’État», a affirmé à l’AFP Abdifatah Mohamed, directeur de la politique et de la planification au ministère somalien de la Santé.
«Nous renforçons nos forces armées pour assurer notre protection et nous reconstruisons notre économie. À cet égard, (les Saoudiens) peuvent faire plus».
Le royaume n’a cessé d’afficher ces derniers mois sa volonté de «faire plus» dans la Corne de l’Afrique, qui borde la mer Rouge, une voie stratégique vitale pour lui.
Lorsque la guerre civile a éclaté en avril dernier au Soudan, Ryad s’est empressé d’y envoyer des navires de guerre pour évacuer les civils et a accueilli des pourparlers de paix à Jeddah.
«Pré carré»
Cet intérêt pour la région témoigne de l’importance pour l’Arabie de préserver la stabilité le long de la mer Rouge, où elle développe plusieurs stations balnéaires, mais aussi de sa volonté de contrer l’influence des Émirats arabes unis, son ambitieux voisin du Golfe, estiment les analystes.
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«Il y a une sorte de jeu du chat et de la souris entre les Émiratis et les Saoudiens» dans la Corne de l’Afrique, les deux Etats cherchant à «tirer partie» de leur relations avec les différents pays, affirme Cameron Hudson, du Centre d’études stratégiques et internationales à Washington.
La Somalie revêt une importance stratégique dans la lutte d’influence que se livrent les pays du Golfe dans une région qu’ils considèrent comme «leur pré carré», ajoute-t-il.
La visite à Mogadiscio des responsables du KSRelief, le bras humanitaire du gouvernement saoudien, a eu lieu quelques semaines après la signature d’un accord maritime controversé entre l’Ethiopie et la région séparatiste du Somaliland.
Ce «protocole d’accord», conclu le 1er janvier, prévoit la location pour 50 ans à l’Ethiopie de 20 kilomètres de côtes du Somaliland sur le golfe d’Aden. Les autorités somalilandaises ont affirmé qu’en échange de cet accès à la mer, l’Ethiopie deviendrait le premier pays à reconnaître officiellement le territoire qui a unilatéralement proclamé son indépendance de la Somalie en 1991.
Addis-Abeba n’a pas confirmé les termes de l’accord, tandis que Mogadiscio l’a qualifié d’«illégal».
Les liens étroits qu’entretiennent les Émirats arabes unis à la fois avec l’Éthiopie et le Somaliland alimentent les soupçons d’une éventuelle implication du pays du Golfe, qui a toujours été «très directif» dans ses relations avec la Corne de l’Afrique, souligne Cameron Hudson.
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Abou Dhabi, qui n’a pas répondu à une demande de commentaires de l’AFP, a été récemment pointée du doigt pour son rôle au Soudan, où des experts de l’ONU l’accusent d’armer les paramilitaires des Forces de soutien rapide qui combattent l’armée. Les autorités émiraties ont formellement démenti.
Soutien militaire
Le chercheur à l’International Crisis Group, Omar Mahmood, doute que les Emiratis soient derrière l’accord avec l’Ethiopie, qui pourrait affecter leurs investissements dans la ville de Berbera, au Somaliland, dont le port est géré par la compagnie de Dubaï DP World.
La situation a toutefois donné l’occasion à des acteurs extérieurs comme l’Arabie saoudite, mais aussi l’Égypte, le Qatar et la Turquie, de renforcer leurs liens avec Mogadiscio, ajoute-t-il.
Ryad avait fait part en janvier de son «extrême préoccupation» pour l’«unité» et la «souveraineté» de la Somalie, une position saluée par le Premier ministre Hamza Abdi Barre lors de la visite de la délégation saoudienne.
Avant cet épisode, l’Arabie avait déjà resserré ses liens avec le pays africain en y nommant en 2021 son premier ambassadeur depuis trois décennies.
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Quant au président somalien Hassan Cheikh Mohamoud, il a choisi l’année dernière l’un de ses proches conseillers, Owais Haji Yusuf Ahmed, pour diriger la mission diplomatique à Ryad.
Alors que la force de l’Union africaine en Somalie (Atmis) doit achever son retrait d’ici à la fin de l’année, la Somalie devrait s’appuyer sur les pays du Golfe pour l’aider à former 22.000 soldats.
Les Emirats ont déjà signé en janvier un accord de coopération militaire avec la Somalie. Le 11 février, ils ont annoncé la mort de quatre de leurs soldats, ainsi que d’un officier Bahreini, qui effectuaient une mission de formation à Mogadiscio, dans une attaque revendiquée par les islamistes shebab.
Selon Omar Mahmood, de l’ICG, «la Somalie cherche également à importer de nouvelles armes après la levée de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU en décembre, et pourrait se tourner vers les pays du Golfe pour obtenir de l’aide».