L’Algérie bat le record des expulsions de migrants subsahariens et... se fâche avec ses voisins sahéliens

Migrants subsahariens expulsés d'Algérie errant dans le désert.

Le 16/01/2025 à 11h31

L’Algérie a expulsé 31.404 migrants subsahariens en 2024, un chiffre jamais égalé auparavant. L’ONG Alarme Phone Sahara, qui donne ce chiffre, dénonce également la brutalité de ces expulsions opérées dans un désert hostile. Beaucoup y perdent la vie. Ces expulsions ont fini par provoquer le raidissement des relations diplomatiques de l’Algérie avec les pays du Sahel.

En 2024, l’Algérie a non seulement poursuivi sa politique d’expulsions de migrants subsahariens vers le Niger, mais en a accéléré le rythme. D’après les données révélées par l’ONG Alarme Phone Sahara, une organisation qui secourt les migrants abandonnés dans le désert entre l’Algérie et le Niger, 31.404 personnes ont été expulsées en 2024 dont des femmes et des enfants.

Ce chiffre, largement supérieur à ceux enregistrés ces dernières années, est en progression d’environ 21% comparativement à 2023, année durant laquelle l’Algérie avait expulsé 26.000 migrants subsahariens vers le Niger.

Une accélération des expulsions que certains observateurs attribuent aux tensions entre Alger et les pays sahéliens, notamment le Niger et le Mali. Après l’échec de sa tentative de médiation entre la junte au pouvoir à Niamey et l’ancien président déchu Mohamed Bazoum, Alger s’est également fâché avec le Mali suite à la décision du gouvernement de ce pays de mettre fin à l’Accord d’Alger.

L’OMS dénonce une situation «sans précédent»

L’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali, est un accord visant à mettre fin à la guerre au Mali, signé en 2015 à Bamako, après des négociations menées à Alger, entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad.

Depuis, rien ne va plus entre Alger et ses deux voisins sahéliens. Les autorités de Bamako n’ont cessé de dénoncer «la persistance des actes d’ingérence» de l’Algérie voisine que Bamako accuse de soutenir les «groupes terroristes, leur assurant le gîte et le couvert.»

Le flux de migrants expulsés d’Algérie a été décuplé par les «expulsions en chaîne», c’est-à-dire les expulsions de migrants de la Tunisie vers l’Algérie, puis de l’Algérie vers le Niger.

Ces expulsions massives ont créé une situation «sans précédent» selon Médecins sans frontières. Ainsi, de la frontière algérienne jusqu’à Agadez, la capitale régionale située à 350 km, tous les centres de transit sont engorgés de migrants vivant dans des conditions déplorables.

Selon l’ONG Alarme Phone Sahara, ces expulsions se sont déroulées dans des «conditions inhumaines». Ces migrants sont arrêtés lors de raids effectués par les forces de sécurité algériennes au niveau de leurs lieux de vie et de travail (chantiers, champs…) opérés dans les grandes villes algériennes comme Alger et Oran. Ils sont ensuite placés dans les geôles algériennes, dans des conditions très difficiles, selon les témoignages concordants des migrants.

Ces derniers sont ensuite transportés dans des bus vers le sud d’Algérie, plus précisément à Tamanrasset à 1.900 km au sud d’Alger. Affaiblis par ce long trajet, la faim et les brimades, une fois sur place, ils sont parqués dans des centres d’accueil avant d’être transportés jusqu’à la frontière avec le Niger.

Enfin, les migrants de diverses nationalités africaines, notamment d’Afrique de l’Ouest, sont abandonnés au «point zéro», zone désertique délimitant la frontière entre l’Algérie et le Niger. Ils doivent parcourir plus de 15 km à pieds pour atteindre Assamaka sous des températures extrêmes qui peuvent frôler les 48 degrés auxquelles succèdent des nuits glaciales à certaines périodes de l’année dans un désert où il n’y a nulle part où se réfugier.

Les expulsés doivent parcourir plusieurs kilomètres dans le désert où les militaires algériens les ont abandonnés avant d’atteindre les premiers villages et villes nigériens. Certains d’entre eux errent dans ce vaste espace minéral sans repères durant des jours, privés de nourriture et d’eau suffisantes. Nombre d’entre eux, déjà affaiblis par les conditions de détention difficiles avant leur expulsion, n’y parviendront jamais et meurent en cours de route.

Les plus chanceux y arrivent à destination épuisés, blessés, malades. Dépouillés de tous leurs biens en Algérie avant leur expulsion, selon les témoignages des refoulés, ces derniers ne peuvent ni appeler leurs proches, ni payer le prix du voyage retour.

Ceux qui s’échouent dans la ville nigérienne d’Assamaka y bénéficient des soutiens au niveau des camps de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Ils y remplissent les formalités administratives pour leur rapatriement dans leurs pays d’origine.

Enfin, ces conditions d’expulsions inhumaines ont été dénoncées à plusieurs reprises par les ONG dont l’ampleur et les conditions brutales ont fini par irriter les autorités nigériennes. En avril 2024, celles-ci ont convoqué l’ambassadeur d’Algérie à Niamey pour «protester» contre le «caractère violent» de ces opérations de rapatriement et de refoulement. Alger avait réagi en convoquant à son tour l’ambassadeur du Niger à Alger jugeant «sans fondements» les allégations des autorités nigériennes. Depuis, c’est le raidissement diplomatique entre Alger et Niamey. Et ce sont les migrants qui en paient le prix fort.


Par Karim Zeidane
Le 16/01/2025 à 11h31