Le «grand remplacement» des Tunisiens par des Subsahariens, ou quand le président Saied emprunte la théorie xénophobe chère à Eric Zemmour

Le président Kaïs Saied et son Conseil de sécurité national, le 21 février 2023.

Le 22/02/2023 à 14h51

Déjà impopulaire et autoritaire dans son pays, le président tunisien Kaïs Saied vient d’ajouter la xénophobie à sa palette de qualificatifs en adoptant la théorie du «grand remplacement» popularisée par l’écrivain français Renaud Camus et chère au populiste français Eric Zemmour.

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité national, le président tunisien n’a pas hésité à parler de «horde de migrants clandestins» relevant d’une «entreprise criminelle ourdie à l’orée du siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie». Et le mobile de ce «crime» ? La réponse du Chef de l’Etat tunisien est aussi sidérante que son accusation. Ces migrants n’auraient qu’un seul but: transformer la Tunisie en un pays «africain seulement» et estomper son caractère «arabo-musulman».

Depuis quelques jours, des articles de certains médias tunisiens tiraient à boulet rouge sur les migrants subsahariens, les accusant de tous les maux dont souffre leur pays.

Et pour étayer leurs dires, certains ont inventé des statistiques en avançant que le nombre de résidents étrangers est passé de 120.000 en 2011, année de la révolution à «1,2 million de Subsahariens», selon un édito du site d’information Univers News.

Des chiffres ahurissants qui sont bien évidemment sans aucun lien avec la réalité, mais qui ont été publiés dans un but bien précis. Et bizarrement, tous les résidents étrangers sont devenus par un coup de baguette magique Subsahariens, selon l’éditorialiste.

L’auteur de l’édito, Mustapha Machat donnait déjà un avant-goût de sa pensée: «Aujourd’hui, la Tunisie est face à une bombe à retardement, avec les Subsahariens qui ont «importé» avec eux leur mode de vie… et on avait même eu droit à la visite de leurs «prophètes» (disons, plutôt leurs sorciers) qui s’enrichissent en semant la bonne parole, à travers des cérémonies sataniques». Plus loin, l’éditorialiste ajoutait qu’«avec ces développements, toute la configuration de la société tunisienne est menacée».

En clair, une plume télécommandée dont l’argumentaire puise dans un lexique xénophobe primaire.

Faisant écho à ce verbiage d’un autre âge, c’est la première autorité de l’Etat tunisien qui prend désormais la relève.

Une semaine après la parution de cet édito, Kaïs Saied a présidé, le 21 février 2023 au palais de Carthage, une réunion du Conseil de sécurité nationale consacré «aux mesures urgentes qui doivent être prises pour faire face à l’arrivée en Tunisie d’un grand nombre de migrants clandestins en provenance d’Afrique subsaharienne», selon la présidence tunisienne.

Et le ton extrêmement dur du discours du président tunisien est grave en parlant de «hordes de migrants clandestins», source de «violences, de crimes et d’actes inacceptables» et insistant sur «la nécessité de mettre rapidement fin» à cette migration.

Si le président tunisien s’était arrêté là, on aurait pu comprendre… Seulement, la suite est encore plus grave et relève d’un populisme doublé d’une xénophobie qui n’a rien à envier à certains leaders de droites européennes.

Le chef de l’Etat tunisien a souligné que cette immigration clandestine relevait d’une «entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie». Plus explicite, il ajoute que «le but caché derrière ces vagues successives de migration irrégulière est de faire de la Tunisie un pays africain, sans aucune affiliation aux nations arabes et islamiques».

En clair, le président Kaïs Saied est lui aussi adepte de la théorie du «grand remplacement». Le grand remplacement est une théorie complotiste d’extrême droite popularisée à partir de 2011 par l’écrivain français Renaud Camus. Et selon les complotistes, des élites mondialisées seraient derrière cette «colonisation».

Selon cette théorie, dont Eric Zemmour en a fait un de ses principaux arguments de campagne lors de la présidentielle française passée, les arrivées de migrants venus principalement du Maghreb et d’Afrique subsaharienne affichant des taux de fécondité plus élevés entrainera la substitution des Français d’ascendance par une population d’origine africaine.

Une théorie xénophobe que le président tunisien n’a pas hésité à faire sienne. Seulement, à la différence d’Eric Zemmour qui est candidat de l’extrême droite à la recherche de voix, Saied est lui président d’un pays qui s’enfonce dans une dérive autoritaire et une crise économique profonde. N’étant pas arrivé à redresser la barre, il s’est métamorphosé depuis en dictateur, puis populiste. Cela n’ayant pas suffi, il ajoute désormais une touche xénophobe à sa corde.

Seulement, si en France les populations d’origine immigrées représentent moins de 10% dont seulement 46% étant originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, en Tunisie, on compterait, selon les données disponibles, moins de 22.000 ressortissants subsahariens. Autrement dit, sur une population de plus de 12 millions d’habitants, les Subsahariens représentent à peine 0,2% de la population parmi laquelle des étudiants dont le nombre a chuté au cours de ces dernières années sous l’effet du racisme et des problèmes administratifs difficiles à surmonter. C’est dire que les données sur lesquelles certains se basent pour justifier le grand remplacement sont fortement biaisées par une défiance de nature xénophobe et raciste.

Par Karim Zeidane
Le 22/02/2023 à 14h51