Paul Kagame, qui brigue un quatrième mandat présidentiel lundi, dirige de fait ce pays enclavé de l’Afrique des Grands Lacs depuis la fin du génocide des Tutsi en 1994, et en tant président depuis 2000.
A la différence de nombreux pays africains, «le Rwanda mène une vraie stratégie de politique étrangère», souligne le directeur pour l’Afrique de l’Est à l’Institut des études de sécurité (ISS), Paul-Simon Handy.
Selon lui, cette stratégie s’apparente à du «smart power», combinaison de «hard power» (armée, intérêts économiques...) et de «soft power» (image, réseaux d’influence...).
Rôle trouble
L’armée, les Forces de Défense du Rwanda (RDF), en est un pilier, avec un rôle ambivalent.
La République démocratique du Congo (RDC) accuse régulièrement son voisin de soutenir la rébellion du M23 dans l’Est congolais et même d’y déployer des troupes afin notamment de capter les minerais de la région.
Ces accusations ont été renouvelées dans un récent rapport d’experts de l’ONU affirmant que «3.000 à 4.000 militaires rwandais» combattent avec les rebelles et que les RDF ont «de facto» pris «le contrôle et la direction des opérations du M23».
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Interrogé ces derniers mois, Paul Kagame n’a pas formellement démenti la présence de forces rwandaises, préférant pointer les «persécutions» d’une minorité tutsi dans l’Est congolais et les risques de déstabilisation à sa frontière.
«La posture sécuritaire du Rwanda a toujours été défensive, et non offensive», a-t-il répété dans un discours le 4 juillet.
Ce rôle trouble a coûté à Kigali une partie de ses soutiens occidentaux qui ont, depuis 2012-2013, réduit leurs aides et investissements.
«Gendarme»
Parallèlement, Paul Kagame a placé son armée en «gendarme de l’Afrique».
Avec 5.894 hommes déployés au 31 mars 2024, le Rwanda est le quatrième contributeur aux missions de l’ONU, notamment au Soudan du Sud et en République centrafricaine.
Cet engagement «a considérablement amélioré la réputation du Rwanda, son image et sa pertinence stratégique, au-delà de son association historique avec le génocide», souligne Federico Donelli, professeur assistant de relations internationales à l’université de Trieste.
Il constitue aussi une manne financière. L’ONU verse 1.428 dollars par soldat par mois aux pays contributeurs de troupes. Kigali reçoit donc plus de 100 millions de dollars par an.
Ces dernières années, les RDF ont aussi été déployées dans le cadre d’accords bilatéraux (Centrafrique, Mozambique).
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Ces interventions s’accompagnent d’accords économiques permettant d’entretenir la croissance du Rwanda, dépourvu de ressources naturelles et de base industrielle et dépendant de financements internationaux.
En République centrafricaine, les Rwandais ont investi dans divers secteurs (mines, agroalimentaire, BTP...), notamment via le fonds d’investissement Crystal Ventures, propriété du parti au pouvoir, le FPR.
Cet engagement offre aussi un précieux levier face aux critiques sur son rôle en RDC et la situation des droits humains dans le pays.
«Le Rwanda n’a jamais dissimulé sa menace de se retirer des opérations de maintien de la paix s’il devait être sanctionné», souligne Paul-Simon Handy: «Ça a prouvé son efficacité, les efforts de la RDC pour faire sanctionner le Rwanda pour son soutien au M23 n’ont pas abouti».
«Kagame sait que les acteurs occidentaux sont de plus en plus réticents à s’impliquer dans les crises africaines. Il utilise le rôle du Rwanda en tant que partenaire fiable pour réduire les critiques et détourner l’attention de problèmes intérieurs comme le manque de développement démocratique», souligne Federico Donelli.
Image
A sa diplomatie militaire, Kigali ajoute un puissant travail d’image et d’influence.
Le Rwanda a accru sa présence au sein d’organisations internationales.
En 2009, il est devenu membre du Commonwealth. Il a également placé deux anciennes ministres à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie et à la vice-présidence de la Commission de l’Union africaine.
Appuyé par des sociétés de communication, Kigali s’affiche en fleuron africain des nouvelles technologies, en destination écotouristique de luxe vantée avec son slogan « Visit Rwanda » visible sur les maillots d’Arsenal, du PSG et du Bayern Munich.
Le Centre de conférence de Kigali attire de nombreuses réunions internationales. La capitale rwandaise accueille également chaque année la Ligue africaine de basket, tournoi parrainé par la Fiba et la NBA, et recevra l’an prochain les Mondiaux de cyclisme.
Pour les détracteurs du pouvoir, cette image masque les entraves aux droits humains et la situation dans le pays où, selon la Banque mondiale, 48,4% des Rwandais vivent avec moins de 2,15 dollars par jour.
Pour Paul-Simon Handy, le «smart power» rwandais s’incarnait dans l’accord controversé pour l’accueil de migrants expulsés du Royaume-Uni, abandonné après le changement de gouvernement britannique.
«L’intérêt était essentiellement pécunier mais c’était aussi la projection d’une image d’un pays pacifié où il ferait bon vivre pour les réfugiés», souligne-t-il.
L’accord est désormais caduc mais Kigali, qui a déjà reçu 240 millions de livres (280 millions d’euros) de Londres, a averti que le texte ne prévoyait aucun remboursement.