Et au-delà une vraie inquiétude pointe sur les répercussions économiques de ce différend diplomatique, les Etats-Unis étant un partenaire commercial essentiel pour l’Afrique du Sud.
Après des accusations à l’emporte-pièce jeudi à Pretoria de l’ambassadeur américain, affirmant qu’un cargo russe avait accosté en décembre près du Cap avant de repartir vers la Russie chargé d’armes et de munitions, Cyril Ramaphosa, visiblement agacé, n’a pas démenti, évoquant seulement une enquête confiée à «un juge à la retraite».
Washington a salué cette décision «bienvenue» dans les discussions engagées depuis un bon moment entre les deux pays au sujet de ce cargo polémique. Mais en Afrique du Sud, beaucoup ont ironisé sur ce modus operandi typique de l’ANC au pouvoir depuis la fin de l’apartheid qui semble régler chaque question embarrassante à coup d’ouverture d’enquête.
«Faut-il en comprendre que la main gauche du gouvernement ne sait pas ce que fait sa main droite?», a twitté vendredi Mmusi Maimane, à la tête d’un petit parti d’opposition.
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L’animateur radio de l’une des matinales les plus écoutées, Bongani Bingwa, est parti bille en tête avec la même question obsédante sur cette livraison présumée : «On l’a fait ou on ne l’a pas fait ? Et si on l’a fait, notre président ne devrait-il pas être au courant?»
La séquence renforce le sentiment en Afrique du Sud d’une «désorganisation de l’information au sein du gouvernement», souligne auprès de l’AFP l’analyste Daniel Silke. «Cela montre peut-être que le président n’est tout simplement pas conscient de ce qui se passe sous son nez».
Vendredi, le gouvernement a déclaré qu’il n’existait aucune trace de ventes d’armes approuvées par l’Etat à la Russie sur la période en question, réitérant que l’enquête permettrait de faire la lumière sur cette affaire.
Péril économique
«Il ne devrait y avoir aucune enquête à mener», a répondu Kobus Marais, responsable défense du principal parti d’opposition (DA). «Le président, en tant que commandant en chef et le ministre de la Défense devraient savoir exactement ce qui s’est passé. C’est malhonnête de suggérer qu’ils ne sont que des spectateurs», a-t-il ajouté auprès de l’AFP.
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L’Afrique du Sud, proche du Kremlin depuis l’époque de la lutte contre l’apartheid, a refusé de condamner l’invasion de l’Ukraine en février 2022, affirmant vouloir rester neutre.
Parallèlement, le Kremlin a annoncé vendredi que le président russe Vladimir Poutine et M. Ramaphosa ont exprimé lors d’une conversation téléphonique leur volonté d’«accentuer» la coopération entre leurs deux pays «dans divers domaines». Le communiqué de Moscou ne mentionne pas les accusations de Washington.
Le pays entretient cependant une relation commerciale bien plus consistante avec les Etats-Unis et l’Europe qu’avec la Russie. Il aurait donc fort à perdre d’une brouille avec Washington, mettent en garde des économistes.
Jeudi le rand, déjà affaibli par rapport au dollar ces derniers jours, a fortement chuté, atteignant son niveau le plus bas depuis trois ans, après les propos accusateurs de l’ambassadeur américain.
«Cette affaire a certainement aggravé les sentiments négatifs à l’égard de l’Afrique du Sud», relève auprès à l’AFP Hugo Pienaar, économiste en chef du Bureau for Economic Research.
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AfriForum, un groupe de défense de la minorité blanche, accuse l’ANC au pouvoir de mener le pays au «suicide économique» en se rangeant du côté de la Russie au sujet de l’Ukraine.
«Même si des armes n’ont pas été livrées», le pays s’est compromis en accueillant des navires russes en dépit des sanctions et même des manœuvres navales conjointes en février, souligne l’ONG à l’instar de nombreux groupes d’opposition.
Certains s’inquiètent que l’Afrique du Sud puisse se retrouver exclue de l’Agoa, un mécanisme qui exempt certains pays africains de taxes à l’exportation vers les Etats-Unis et dont Pretoria est le principal bénéficiaire.
«La question est très sérieuse», note M. Silke, d’autant que l’économie sud-africaine est «très vulnérable», confrontée à une croissance presque nulle et à une contraction de la demande intérieure. «Les exportateurs sud-africains ont désespérément besoin que leurs produits soient vendus sur les étagères internationales».