A 71 ans, celui que l’on surnomme «le parrain», le «faiseur de roi» ou encore «le boss» pour son influence considérable a été élu en février, au premier tour et avec une confortable avance, président du pays le plus peuplé d’Afrique.
Ses deux principaux adversaires ont dénoncé des fraudes « massives » lors du scrutin et déposé des recours en justice, toujours en examen.
Avec sa victoire, ce musulman multimillionnaire, ardent défenseur de la démocratie en exil pendant la dictature militaire des années 1990, a gravi tous les échelons politiques. Une ascension rythmée par maintes accusations de corruption, sans qu’il soit jamais condamné.
Si M. Tinubu était favori, les dernières semaines de campagne avaient rebattu les cartes, notamment en raison de gigantesques pénuries d’essence et de billets, qui avaient alimenté le ressentiment contre le parti au pouvoir.
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Les experts avaient décrit cette présidentielle comme la moins prévisible depuis le retour de la démocratie au Nigeria en 1999. Surtout à cause d’un candidat surprise, Peter Obi, favori de la jeunesse urbaine, arrivé troisième derrière l’ancien vice-président Atiku Abubakar.
Bastion perdu
Dans un pays où l’état de santé des dirigeants est un sujet sensible, la condition de M. Tinubu inquiète. Apparu fragile à la télévision, montrant plusieurs fois des tremblements en public, il a fait plusieurs voyages à l’étranger avant son investiture et durant la campagne.
L’intéressé réfute en diffusant des vidéos de lui moulinant sur un vélo d’appartement ou en train de danser, visiblement hilare.
Sa communication ne suffit pas à rassurer les Nigérians, marqués par les nombreux voyages à l’étranger du sortant Muhammadu Buhari pour soigner une maladie secrète. Une bonne partie croit d’ailleurs que M. Tinubu a bien plus que 71 ans.
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Le politicien à l’éternel chapeau traditionnel yorouba a gouverné durant huit ans (1999-2007) Lagos, le poumon économique du Nigeria. Ancien homme de l’ombre à la silhouette frêle, il y a conservé une influence considérable..
Le clientélisme demeure omniprésent au Nigeria. Fin stratège, M. Tinubu a toujours été perçu comme l’homme derrière toutes les nominations politiques dans sa région natale (sud-ouest) et bien au-delà.
Pour beaucoup, son influence avait d’ailleurs propulsé Muhammadu Buhari à la tête de l’Etat en 2015 et lui a permis de se faire réélire en 2019. D’où son surnom de «faiseur de roi».
Couronné à son tour, M. Tinubu aura la lourde tâche de remettre le pays sur les rails, après deux mandats marqués par l’explosion de la pauvreté et de l’insécurité.
Le «parrain» a assuré que ses priorités seraient la sécurité et la reprise économique, avec notamment la fin des subventions du carburant, sujet très sensible au Nigeria.
Il met pour cela en avant ses succès à Lagos, s’attribuant la transformation spectaculaire de la mégalopole de 20 millions d’habitants durant ses deux mandats, marqués par l’afflux de capitaux étrangers.
Mais M. Tinubu souffre encore de son image d’homme «appartenant à une vieille classe politique à court d’idées, présent depuis trop longtemps sur la scène politique, ce qui est vu comme une faute», explique Udo Jude Ilo, de l’Open Society Initiative for West Africa (Osiwa).
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Surtout après la répression sanglante d’un mouvement contre les violences policières, en octobre 2020, qui a révélé le fossé entre une jeunesse en quête de représentation et une élite septuagénaire réputée corrompue.
La fortune du «boss» - dont la source et le montant exact sont inconnus - fait aussi beaucoup parler: il est considéré comme l’un des hommes les plus riches du pays, avec des parts dans de nombreuses entreprises, des médias à l’aviation, en passant par l’hôtellerie et l’immobilier.
Beaucoup l’ont accusé de corruption et de blanchiment d’argent, notamment lorsque la justice américaine l’a cité en lien avec un vaste trafic d’héroïne dans les années 1990 aux Etats-Unis, ce qu’il a toujours nié.
Répété à tout-va, son slogan de campagne, «Emi Lokan. C’est mon tour», ne l’a pas aidé à se défaire de sa réputation d’homme assoiffé de pouvoir.