Le premier congrès africain des sciences infirmières et professions de santé, qui se tient du 10 au 12 mai 2024 à Casablanca au Maroc, marque un tournant décisif. Face au défi titanesque d’une démographie galopante qui devrait porter la population africaine à près de 2 milliards d’âmes d’ici 2040, le continent doit impérativement réformer en profondeur ses systèmes de santé, trop souvent défaillants faute de financements et d’équipements adéquats.
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C’est ce que souligne le représentant du ministre marocain de la Santé dans son allocution, «face à la mouvance liée à cette réforme et aux changements épidémiologiques et sociodémographiques, il est inévitable de concevoir un système de formation innovant, performant et résilient.»
Le renforcement des capacités de formation est crucial pour le continent. Comme l’explique l‘intervenant, «il est inévitable de se doter de ressources humaines qualifiées disposant des compétences nécessaires pour asseoir un système de santé sur des fondements solides». Un constat partagé par de nombreux intervenants qui ont mis l’accent sur l’importance d’accélérer les réformes des cursus et programmes.
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C’est dans ce contexte que les professionnels de la santé, et en premier lieu les personnels infirmiers aux compétences transversales, sont désignés comme la pierre angulaire indispensable pour bâtir des systèmes de santé résilients et accessibles à l’ensemble des populations africaines. Une équation complexe que ce congrès inédit s’est attelé à résoudre.
Mais former en quantité et en qualité les ressources humaines de demain est un défi de taille quand on constate les carences actuelles, malgré les récents progrès comme l’adoption du système LMD ou la hausse massive des effectifs étudiants (18.000 au Maroc). Les intervenants soulignent la nécessité d’accélérer les réformes des cursus, programmes et modalités pédagogiques dans une optique d’adaptation permanente.
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La simulation, l’ouverture de centres d’études doctorales ou encore le renforcement massif de la recherche figurent parmi les priorités essentielles identifiées. Mais ces transformations ne pourront se faire en ordre dispersé: la coopération et les partenariats interafricains en seront la clé de voûte.
Une dynamique de réseaux renforcés
C’est dans cette optique qu’un réseau africain dédié au développement des compétences en sciences infirmières et professions de santé a vu le jour lors du 1er Congrès Africain des Sciences Infirmières et Professions de la Santé, organisé par la Faculté Mohammed VI des Sciences Infirmières et Professions de la Santé de l’Université Mohammed VI des Sciences et de la Santé, sous l’égide du Ministère de la Santé et de la Protection Sociale.
L’événement a rassemblé des délégations du Burkina Faso, Cameroun, Mali, Sénégal, Djibouti, Gabon, Mauritanie, RDC, Tunisie, Egypte, Niger et Côte d’Ivoire. Une coopération Sud-Sud indispensable pour «partager les expériences, les bonnes pratiques et promouvoir les collaborations fructueuses». Véritable outil de mutualisation des savoirs et des moyens, il doit permettre un partage optimal des expériences, bonnes pratiques et ressources entre pays.
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Pour le Maroc, pays hôte, l’enjeu est double: exporter son expertise (méthodes innovantes comme la simulation) tout en important et valorisant les savoirs venant d’autres pays africains. Avec 236 étudiants étrangers de 34 pays actuellement en formation au Maroc, le Royaume se positionne d’ores et déjà comme un hub régional de formation.
Mais son ambition, à l’image de celle du continent, doit être de court-circuiter le «tout national» au profit d’une vraie dynamique collective de «coopérations solidaires Sud-Sud» selon les termes employés. Une nécessité vitale pour relever le défi de la formation continue des nombreux personnels déjà en poste.
Changement radical de paradigme
Les experts sont unanimes: seul un changement de paradigme radical permettra de répondre aux besoins sanitaires et sociaux exponentiels du continent dans les prochaines décennies. Une transformation en profondeur des systèmes et modalités de formation qui constituera la clé de voûte des futures politiques de santé publique.
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Si le Maroc fait figure de pionnier avec sa nouvelle loi-cadre 06-22 visant à généraliser la protection sociale, les efforts doivent être décuplés à l’échelle continentale. C’est le sens de l’engagement de long terme du Maroc en faveur de la coopération africaine, sous l’impulsion du roi Mohammed VI. Un cap réaffirmé à Casablanca, avec la signature d’accords prometteurs, comme celui entre l’Institut supérieur des sciences de la santé de Djibouti et l’Université Mohammed VI des Sciences et de la Santé.
Au-delà des réformes législatives et institutionnelles, c’est un changement profond des mentalités qui sera indispensable pour faire émerger un nouveau paradigme. Un décloisonnement des approches remplaçant la verticalité par la transversalité et la pluridisciplinarité. Une culture de la remise en cause permanente où la recherche irrigue en continu la formation et les pratiques.
Un changement d’état d’esprit et de méthodes guidé par une vision stratégique à long terme : faire du capital humain qualifié le socle du développement économique, social et sanitaire durable de l’Afrique. Une feuille de route exigeante mais indispensable pour que le continent puisse réellement se développer et prendre en main son destin sanitaire.
Finalement, ce premier Congrès Africain marque un tournant majeur. En rassemblant les acteurs clés autour d’enjeux vitaux pour le continent, il ouvre la voie à des coopérations renforcées indispensables pour relever les défis démographiques et sanitaires à venir. Des avancées concrètes sur le volet des ressources humaines en santé seront un marqueur de son succès et un pas de plus vers une Afrique en meilleure santé.