L’Algérie et le Maroc ont fait d’importantes commandes d’armement au cours de ces dernières années pour muscler leurs forces armées.
Les acquisitions d’avions militaires, d’hélicoptère, de drones, de pièces d’artilleries de dernières générations, de systèmes de défenses anti-aériens et de satellites militaires font figurer ces deux pays maghrébins parmi les plus dépensiers du continent en armes au cours de ces dernières années. Cela se reflète très clairement dans les budgets de défense des deux pays, comme il en ressort dans leurs Projets de loi de finances (PLF) 2025, où d’importants montants supplémentaires ont été alloués au secteur de la défense.
Toutefois, les finalités des budgets alloués à la défense diffèrent d’un pays à l’autre, même s’il est difficile d’avoir une idée très précise de l’affectation des colossaux montants affectés aux défenses.
Ainsi, au Maroc, où la transparence des comptes est palpable, le Projet de loi de finances (PLF) 2025, adopté vendredi en Conseil des ministres et présenté samedi par la ministre des Finances et de l’économie, Nadia Fettah Alaoui, devant les deux chambres du Parlement, prévoit d’allouer 133,45 milliards de dirhams à la Défense, soit 13,5 milliards de dollars. Cela représente une hausse de 9 milliards de dirhams, soit plus de 900 millions de dollars, en comparaison au même budget en 2024.
Lire aussi : Industrie de la défense: les principaux premiers projets amorcés par le Maroc
Ainsi, le secteur de la défense absorbe environ 10% du PIB au Maroc. Un niveau qui le place parmi les pays les plus dépensiers pour leurs armées, mais toutefois très loin derrière l’Algérie dont le budget alloué à l’armée correspond à 21% du PIB. Rapporté au PIB, le budget de l’armée algérienne est le plus élevé au monde.
Cette évolution traduit l’ambition du Maroc en matière d’industrie de la défense tout en maintenant le cap sur la politique de modernisation de l’arsenal des Forces Armées Royales (FAR).
Si le détail de l’affectation de ce montant n’est pas disponible, secret défense oblige, une chose est sûre: le deuxième poste budgétaire du Royaume, après celui de l’Intérieur, servira à l’acquisition et à la réparation des équipements des FAR, à soutenir le développement de l’industrie de défense, à payer les salaires des militaires et les charges de fonctionnement.
Il faut noter que le budget de Défense du Maroc est en hausse exponentielle depuis 2004 et ce à cause notamment de la course à l’armement imposée au Royaume par l’Algérie.
Lire aussi : Industries de défense: une décision royale stratégique
Cette forte hausse est justifiée par les tensions régionales croissantes et les multiples défis sécuritaires auxquels fait face le Maroc. En langage plus clair, le Maroc, conscient des défis qui menacent sa sécurité cherche à renforcer sa position en tant que puissance défensive majeure au niveau du continent africain.
Mais, si le budget militaire du Maroc connait une forte hausse au cours de ces dernières années, cela n’est pas seulement dû à l’acquisition d’armements modernes en vue de faire face aux tensions régionales croissantes. En effet, le Maroc a depuis quelques années l’ambition de développer une véritable industrie militaire. Et cela nécessite des investissements colossaux. Ainsi, au niveau des dépenses, on note qu’un montant de 10,80 milliards de dirhams est affecté à l’acquisition des matériels des Forces Armées Royales et au soutien du développement de l’industrie de défense.
Maroc: le PLF 2025 prévoit pour la Défense un budget de 133,45 milliards de dirhams, soit 13,5 milliards de dollars, en augmentation de plus de 7,25% par rapport au budget de 2024.
L’accent est désormais mis sur le développement d’une importante industrie locale de défense. A ce titre, le 1er juin dernier, un Conseil des ministres présidé par le roi Mohammed VI avait adopté un projet de décret portant création de deux zones d’accélération industrielle dans le secteur de la défense. Des projets qui attirent déjà des constructeurs étrangers dont l’indien Tata, mais aussi l’israélien Elbit Systems qui a annoncé son intention d’implanter deux sites au Maroc. Ainsi, en attirant des industriels mondiaux du secteur des armes, à moyen et long termes, le Maroc pourra devenir un exportateur de munitions et d’armes (pistolets, mitrailleuses, drones…).
Lire aussi : Le Maroc dispose du deuxième plus grand arsenal de drones militaires en Afrique
L’augmentation du budget s’explique aussi par le souci du Maroc de mettre l’accent sur la qualité, plutôt que la quantité des armes acquises en misant ainsi sur les dernières technologies militaires. A ce titre, on peut noter les commandes effectuées par l’armée marocaine pour le système israélien de lance-missiles multi-calibre, développé par Elbit Systems, du système Alinet de guerre électronique (EW), de drone israélien Hermes 900 pour la Marine royale et de missiles de croisière Delilah pour les chasseurs des FAR, tous fournis par le constructeur israélien.
A noter que dans le budget de la défense marocaine, les ressources humaines se taillent une part importante. Le poste personnel, du fait des nouveaux recrutements, des augmentations des salaires et autres charges, a aussi connu une hausse pour s’établir à 45,35 milliards de dirhams, dans le PLF 2025. D’importants montants sont affectés à l’Administration de la défense nationales (9,82 milliards de dirhams), aux matériels et dépenses diverses (7,63 milliards de dirhams)…
Du côté de l’Algérie, dans le PLF 2025, la Défense est le deuxième poste budgétaire derrière les Finances (3.635,51 milliards de dinars, soit 27 milliards de dollars au taux officiel de 133,4 dinars pour 1 dollar) pour un montant de 3.349,51 milliards de dinars algériens, soit 25,15 milliards de dollars, en augmentation de plus de 10% par rapport au budget de 2024.
Lire aussi : Dépenses militaires: l’Afrique a consacré 892 milliards de dollars à l’armement, voici les champions
En réalité, le budget de la Défense est le premier poste budgétaire du PLF algérien. En effet, si le budget des Finances le dépasse, c’est que celui-ci comprend un montant énorme de 2.198,50 milliards de dinars, soit 16,48 milliards de dollars, qui figurent dans la case «Crédits non assignés», c’est-à-dire des dépenses non prévues du gouvernement. Ces dépenses non prévues, une sorte de «caisse noire», dépassent les budgets de l’Éducation (1.645,25 milliards de dinars) et celui de la Santé (1.004,41 milliards de dinars). Il s’agit davantage d’une manœuvre visant à faire de ce poste le premier budget de l’État en lieu et place de celui de la Défense.
Ce trompe-l’œil vise à faire croire que le ministère de le Défense n’est pas le poste le plus budgétivore de l’Algérie.
Avec ce nouveau chiffre record, l’Algérie confirme la course à l’armement qu’elle impose à ses voisins, particulièrement au Maroc, et ce depuis de nombreuses années. Ainsi, pour avoir une idée de cette course à l’armement, il faut noter que le budget de la défense algérienne est passé de 2,7 milliards de dollars en 2000 à 25,15 milliards de dollars en 2025 (PLF), après avoir dépassé la barre des 10 milliards de dollars en 2012.
Lire aussi : Armement: voici les principaux pays importateurs en Afrique
Sachant que le PLF 2025 prévoit un budget global de 15.787,63 milliards de dinars, soit 118,32 milliards de dollars, le budget de la Défense représente ainsi à lui seul 21,21% du budget général de l’Algérie. Selon les médias algériens, sur les 3.349,51 milliards de dinars, un budget de 752 milliards de dinars sera consacré à la défense de la République, 861 milliards de dinars à la logistique et au soutien multiforme et 1.736 milliards de dinars à l’administration générale des services du ministère de la Défense nationale. Des affectations trop globaux. Si des détails ne sont pas fournis, le PLF 2025 avance qu’une partie de cette somme sera investie dans la modernisation de l’arsenal militaire, incluant des systèmes de défense avancés, le renforcement de la sécurité des frontières, notamment avec la Libye, le renforcement des capacités de défenses dans le cyberespace pour protéger les infrastructures et les domaines sensibles du pays.
En réalité, l’essentiel du budget militaire algérien servira à l’achat d’armes, comme ce fut le cas au cours de ces dernières années. Ainsi, selon les données de Stockholm International Peace Research Institute -SIPRI -, dans son rapport sur les dépenses mondiales en 2023, publié en avril 2024, les dépenses en achats d’armement du Maroc se sont établies à 5,2 milliards de dollars en 2023, en baisse de 2,5%, alors que les commandes de l’Algérie en armement se sont établies à 18,3 milliards de dollars, en hausse de 76%. SIPRI soulignant qu’il s’agit d’un niveau record de commandes d’armes de la part de l’Algérie, positionnant le pays au 19e rang mondial. L’Algérie était le seul pays africain du Top 40 des plus grands pays dépensiers en armement en 2023.
Lire aussi : Comment la Russie s’est imposée comme le principal fournisseur d’armes à l’Afrique
Une frénésie qui s’explique surtout par les importantes rétro-commissions dont sont bénéficiaires les généraux algériens lors des passations de commandes d’armes auprès de leurs principaux fournisseurs, les russes notamment. L’un d’eux, le général-major Abdelkader Lachkhem a été condamné, en 2022 par le tribunal militaire de Blida, à une peine de 20 ans de prison ferme pour avoir dilapidé 2 milliards de dollars. Ce qui donne une idée de la voracité des généraux algériens et de la corruption structurelle au sein de l’ANP.
Les achats d’armes pèsent lourdement sur les budgets du Maroc et de l’Algérie et contribuent fortement aux déficits budgétaires. Ainsi, le déficit budgétaire de l’Algérie devrait s’accentuer en 2025 passant de -7.039,66 milliards de dinars (-19,8% du PIB) en 2024 à -8.271,55 milliards de dinars (-21,8% du PIB), soit 62 milliards de dollars. Par contre, au Maroc, en dépit de la forte hausse du budget de la défense, le déficit budgétaire devrait continuer à reculer pour s’établir à 58,2 milliards de dirhams (autour de 5,9 milliards de dollars), soit 3,5% du PIB, selon le PLF-2025.
Ce qui est certain, c’est que sans les tensions entretenues au Sahara occidental par l’Algérie et la course à l’armement imposée par cette dernière au Maroc, les deux pays auraient consacré d’importantes ressources financières pour répondre aux besoins cruciaux du développement et aux défis sociaux.