Avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, désigné sous le nom de «Brexit» acté le 31 janvier 2020, et l’influence grandissante des pays des BRICS, Chine et Russie notamment auxquels il faut ajouter la Turquie, l’ancienne puissance coloniale voit son influence en Afrique se réduire à tout point de vu.
Face à cette situation et surtout au risque de se voir marginaliser davantage au sein de ses anciennes colonies, Londres essaye depuis sa sortie de l’Union européenne de reprendre la main et/ou sauver ce qui peut l’être dans ses relations avec le continent africain, au moment où d’autres pays cherchent à élargir leurs engagements.
Pour se faire, la famille royale a même été appelée à la rescousse pour ressouder les relations avec les pays qui figuraient parmi les anciennes colonies du Royaume-Uni. Les déplacements, entre 2022 et 2024, du Prince Charles s’inscrivaient dans cette logique.
Toutefois, les Travaillistes ont toujours reproché aux Conservateurs leur manque d’intérêt pour le continent au moment où la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde et la Turquie poussent leurs pions sur l’échiquier continental et accroissent leur influence. Ces pays ont fait du multilatéralisme et du rapprochement avec le «Sud global» les axes prioritaires de leur politique étrangère.
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Ce faisant, le nouveau gouvernement anglais dirigé par Keir Starmer, en place depuis le 4 juillet dernier, compte bien se repositionner en Afrique, particulièrement au niveau des pays anglophones de plus en plus courtisés, y compris par la France.
Pour cela, le nouveau gouvernement anglais dirigé par les Travaillistes planche sur une «Stratégie africaine renouvelée» qui devrait être opérationnelle les semaines à venir. Plusieurs pays prioritaires ont été identifiés et des visites sont au programme dont le premier mini-périple qui a permis au ministre des Affaires étrangères britannique, David Lammy, de visiter deux des plus importantes économies africaines: le Nigeria, un marché de plus de 230 millions de consommateurs, et l’Afrique du Sud, le pays le plus industrialisé du continent.
À noter que ce périple a été précédé, dans le plus grand secret, par une visite privée, fin septembre, du président nigérian Bola Tinubu à Londres où il a rencontré le Premier ministre britannique, Keir Starmer, la toute première rencontre organisée à Londres entre le chef du gouvernement britannique et un chef d’État africain. Le président nigérian avait rencontré lors de ce déplacement privé le roi Charles III. Il y est retourné le 2 octobre dans le cadre de son congé annuel de deux semaines.
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Une rencontre pour prendre le pouls du président nigérian, partenaire stratégique de Londres en Afrique, dans le cadre de cette nouvelle stratégique que veut mettre en place le Royaume-Uni. Une stratégie conçue pour redéfinir ses futures relations avec l’Afrique, un continent au cœur des stratégies d’influence de nombreux acteurs.
Ensuite, ce fut au tour du ministre des Affaires étrangères britannique de fouler le sol nigérian le 3 novembre. «Je veux entendre ce dont nos partenaires africains ont besoin et favoriser les relations afin que le Royaume-Uni et nos amis et partenaires en Afrique puissent grandir ensemble», a déclaré Lammy, souhaitant éviter tout paternalisme dans les futures relations entre les deux parties.
David Lammy, secrétaire d'État aux Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement du Royaume-Uni.. DR
C’est dans cette optique que s’inscrit la première visite d’un ministre travailliste en Afrique en 14 ans. Le choix des pays n’est pas anodin. En effet, l’Afrique du Sud et le Nigeria sont les principaux partenaires économiques du Royaume-Uni en Afrique subsaharienne. En 2023, les échanges commerciaux se sont élevés à 4,3 milliards de dollars avec le Nigeria et à 11,2 milliards de dollars avec l’Afrique du Sud, premier partenaire commercial de Londres sur le continent.
Ainsi, en Afrique du Sud, les deux pays ont signé un «partenariat stratégique» présenté comme inédit en termes de coopération économique, de sécurité nationale et de lutte contre le changement climatique. Des plans de croissance qui favorisent les exportations sud-africaines seront élaborés, particulièrement dans l’agriculture, alors qu’avec le Nigeria l’objectif est d’accroître les échanges dans les secteurs clés dont les services financiers et l’énergie.
Le Kenya, puissance économique de l’Afrique de l’Est, et le Ghana en Afrique de l’Ouest figurent également sur les tablettes des Travaillistes. Toutefois, Londres ne compte pas cibler uniquement les pays anglophones avec lesquels elle a des relations traditionnelles.
Depuis quelques temps, Londres a entrepris un lobbying auprès des pays avec lesquels elle n’avait pas traditionnellement de relations poussées. Lord Ray Collins of Highbury, sous-secrétaire parlementaire à l’Afrique, le «Monsieur Afrique» du gouvernement britannique, a effectué, en août dernier, un périple qui l’avait mené en RDC et en Angola. Ce sont deux pays non anglophones certes, mais qui sont très riches en ressources naturelles, notamment du pétrole et des minerais stratégiques (cuivre, cobalt, lithium, terres rares…).
L’intérêt de Londres pour les terres rares angolaises de la province de Huambo est manifeste. Le projet d’exploitation de celles-ci par la firme britannique Pensana, qui devrait entrer en production au cours de l’année en cours, a bénéficié d’un financement de 415 millions d’euros accordé par UK Export Finance (UKEF), l’agence de crédit à l’export du Royaume-Uni.
Londres compte sur le corridor Lobito pour faciliter l’exportation de ces terres rares qui sont au cœur d’une bataille mondiale. Les pays occidentaux, à leur tête les États-Unis, craignent la mainmise de la Chine sur ces métaux indispensables au fonctionnement des téléphones, ordinateurs, éoliennes… La Chine a été, au cours des deux dernières décennies, à l’origine de 80 à 95% de la production mondiale de terres rares.
Ainsi, après sa sortie de l’Union européenne et la renégociation de ses accords commerciaux avec plusieurs pays africains, Londres souhaite désormais faire de l’Afrique son prochain relai de croissance. Après le Brexit, et soucieuse de conquérir des parts de marché pour compenser ses pertes dans le marché commun européen, Londres diversifie ses partenaires en ciblant les marchés les plus importants du continent.
Au-delà du poids de ces deux pays, l’objectif de Londres est de consulter les dirigeants africains dans le cadre d’une consultation de cinq mois visant à remodeler les relations entre le Royaume-Uni et l’Afrique. En effet, comme l’a souligné David Lammy, Londres promet de construire un partenariat respectueux, une «approche nouvelle» qui écoute les besoins des uns et des autres et qui favorise une relation qui permette une croissance commune sur le long terme pour un continent prospère, libre et plus sûr.
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Outre le volet économique, celui de la migration sera également discuté lors de ce déplacement, notamment avec les dirigeants Nigérians. Londres souhaite renforcer sa coopération avec les pays africains, notamment avec le Nigeria qui compte une très forte diaspora dans le Royaume-Uni dont de nombreuses personnes en situation irrégulière. Sur ce point, l’abandon de l’accord avec le Rwanda pousse le Royaume-Uni à chercher d’autres solutions alternatives dans la lutte contre l’immigration irrégulière, notamment en ce qui concerne les expulsions des migrants en situations irrégulières dont de nombreux nigérians. À ce titre, Londres souhaite relocaliser 14.000 migrants les prochains mois.
Par ailleurs, le Royaume-Uni s’implique dans les questions humanitaires en Afrique après les vives critiques pour son manque de soutien à l’Afrique pendant le Covid-19. Ainsi, les Travaillistes se mobilisent sur la crise du Soudan. La ministre d’État au développement s’est rendue au Soudan du Sud et en Éthiopie en août dernier pour apporter un soutien humanitaire aux refugiés soudanais.
Enfin, les Travaillistes britanniques sont aussi favorables à la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies au profit de l’Afrique. Le 27 septembre dernier, le Premier ministre Keir Starmer a souligné son désir de «voir une représentation africaine permanente» au Conseil de sécurité de l’ONU, rejoignant les positions adoptées par d’autres grandes puissances dont les États-Unis, la Russie, la Chine… À ce titre, le Nigeria et l’Afrique du Sud se positionnent, avec l’Egypte, comme candidats potentiels pour ce siège.
Reste que Londres a pris du retard vis-à-vis de ses concurrents, notamment ceux des BRICS -Chine et Russie notamment-, mais aussi la Turquie et l’Inde qui se sont renforcés au niveau du continent africain.