Présidentielle au Cameroun: l’élection de toutes les incertitudes

Paul Biya (Cameroun): à 92 ans dont 42 ans au pouvoir, il est le président le plus âgé encore en activité dans le monde. Celui qui dirige le Cameroun depuis 1982 compte se représenter en octobre prochain pour un autre mandat à la tête de ce pays d'Afrique centrale.

Le 18/06/2025 à 07h58

À moins de quatre mois du scrutin présidentiel, une élection incertaine se profile au Cameroun avec l’enlisement de la crise anglophone, la possible succession de Paul Biya (92 ans), les difficultés économiques et les tensions identitaires. Questions et réponses autour des principaux défis de cette élection.

Paul Biya peut-il encore se présenter ?

Dans quelques jours, les candidats vont pouvoir se déclarer officiellement. Mais dans la capitale Yaoundé, des panneaux publicitaires arborent comme souvent le seul visage du président Biya.

Dans cette métropole de plus de quatre millions d’habitants, aucun visage d’opposant n’est encore visible, mais celui du président sortant semble déjà s’imposer comme une évidence. Pourtant, Paul Biya n’a pas évoqué publiquement sa possible candidature à l’élection d’octobre. À 92 ans, la santé du chef de l’État et sa capacité à gouverner sont au cœur des discussions.

En analysant la solvabilité du Cameroun, l’agence de notation Fitch Ratings a, le 9 mai, prédit que Paul Biya «remportera l’élection présidentielle prévue en octobre, garantissant ainsi la continuité politique et stratégique». Au vu des fractures socio-politiques qui traversent le quotidien des Camerounais et amenuisent les chances d’une transition démocratique, l’hypothèse semble crédible.

Quelles sont les chances de l’opposition ?

L’opposition camerounaise apparaît plus que jamais fragmentée, malgré un contexte politique propice à une remise en cause du régime en place. Le chercheur en sciences politiques à l’Université Laval, Siméon Ekodo Mveng, pointe « l’égoïsme des acteurs, le manque d’humilité des leaders, les fractures idéologiques et les relents tribalistes » comme principaux freins à une candidature unique face à Paul Biya.

Selon le professeur Charles Romain Mbele, de l’Université de Yaoundé 1, «pour se donner des chances, l’opposition a décidé de créer des regroupements: il y a celui organisé autour de Maurice Kamto (…), on voit que c’est laborieux, alors que le pouvoir en place est bien enraciné sur le plan national, avec des alliances avec d’autres partis au gouvernement».

Et dans le nord, fait inhabituel, la contestation s’est organisée autour du groupe des Partisans du changement du Grand nord.

La situation sécuritaire est-elle une menace pour le scrutin?

Depuis 2016, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun sont en proie à un conflit armé meurtrier opposant des groupes séparatistes anglophones aux forces de sécurité nationales. Les anglophones dénoncent une marginalisation systémique dans un pays à majorité francophone. Ce qui n’était qu’une contestation sociale a rapidement dégénéré en insurrection armée.

En dépit de l’organisation d’un «Grand Dialogue National» en 2019, les violences se sont poursuivies : les groupes séparatistes mènent des attaques ciblées contre les civils, enlèvements, assassinats. L’armée et la police sont, elles, accusées de mener des expéditions punitives contre ceux qu’elles accusent de sympathiser avec les séparatistes. Selon les dernières estimations de Human Rights Watch, au moins 6.000 civils sont morts depuis le début du conflit.

Par ailleurs, à l’autre bout du pays, dans l’Extrême-Nord, le groupe jihadiste Boko Haram, implanté depuis 2009, continue de semer la terreur. Ces différentes crises sécuritaires provoquent des déplacements massifs de populations et sont autant de nuisances à la sérénité de l’élection.

Le discours identitaire, menace silencieuse?

Au-delà des armes et des affrontements visibles, une autre forme de crise, plus insidieuse, mine le tissu national: le tribalisme. Les fractures identitaires se creusent, et le débat politique glisse parfois vers des accusations ethniques.

«En période électorale, des discours stéréotypés ressurgissent, opposant les ”Bamiléké”, souvent perçus comme économiquement dominants, aux ”Béti”, groupe d’origine du président Paul Biya. Ces narratifs sont parfois amplifiés par des comptes anonymes ou des influenceurs locaux», analyse Baba Wamé, professeur à l’université de Yaoundé II.

Pourtant, le Cameroun s’est doté depuis 2019 d’une loi contre les discours de haine et les propos tribalistes, mais elle reste inappliquée. Le discours officiel est de lutter contre le tribalisme. M. Biya l’affirme sur les réseaux sociaux à ce sujet. Mais dans les faits, les propos et attitudes tribalistes abondent et ne sont pas du tout sanctionnés au pénal.

L’économie en crise pèse-t-elle dans le débat politique?

À la veille d’une élection cruciale, le Cameroun traverse une zone de turbulences économiques. Le chômage frappe massivement, touchant jusqu’à 74 % des jeunes, selon Gabriel Fandja, président de la commission de l’Éducation à l’Assemblée nationale.

L’inflation continue d’éroder le pouvoir d’achat au Cameroun, avec un taux enregistré à 5% en 2024, selon les chiffres officiels. Et les tensions de trésorerie inquiètent aussi bien les ménages que les partenaires financiers.

Sur les réseaux sociaux comme dans les débats télévisés, les Camerounais multiplient les dénonciations sur la cherté de la vie, la précarité des conditions de vie et l’insuffisance des services de base. L’accès à l’eau potable, aux soins de santé ou à une éducation de qualité demeurent difficile. Ces frustrations, exprimées de plus en plus ouvertement, traduisent un malaise social profond à l’approche de la présidentielle.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 18/06/2025 à 07h58