Premier opposant élu au premier tour d’une élection au Sénégal et plus jeune président de la République à 44 ans, Bassirou Diomaye Faye incarne le changement générationnel de la politique sénégalaise, au-delà de son discours et celui des Patriotes, les militants du Pastef qu’il porte et dont la «souveraineté» est au cœur du projet. C’est une page de l’histoire politique du Sénégal qui s’est tournée le mardi 2 avril 2024.
Ayant prêté serment, le nouveau président compte s’atteler rapidement aux chantiers prioritaires. «Le Sénégal, sous mon magistère, sera un pays d’espérance, un pays apaisé avec une justice indépendante et une démocratie renforcée», a-t-il dit lors de son discours d’investiture. Un discours dans lequel il a réitéré ses chantiers prioritaires: réconciliation nationale, baisse du coût de la vie et lutte contre la corruption.
Pour se mettre avec célérité à l’ouvrage, le président doit former un nouveau gouvernement. Une tâche loin d’être facile d’autant que le délais entre son élection et sa prestation de serment a été réduit, à cause du chamboulement occasionné par la tentative de l’ex-président Macky Sall de reporter l’élection présidentielle.
Discours d'investiture de Bassirou Diomaye Faye, président du Sénégal.. AFP
En effet, si le Pastef est derrière cette victoire, ce sont plusieurs dizaines de partis politiques, d’associations, la société civile… qui ont soutenu sa candidature. En plus, il y a la diaspora sénégalaise qui a joué un rôle fondamental et qui compte de nombreuses compétences dans ses rangs et sur lesquelles comptent s’appuyer les Patriotes. A cela il faudra également compter avec les arrivées de dernière minute des candidats recalés qui ont apporté leur soutien au candidat du Pastef.
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Seul bémol, contrairement à une pratique courante au Sénégal, les dirigeants du Pastef ont clairement signifié que seule la compétence sera prise en compte aussi bien pour les postes ministériels que pour les 100 grands postes de direction.
La désignation au poste de Premier ministre était très attendue. Et c’est naturellement à Ousmane Sonko qu’est revenu ce poste. Leader incontesté du Pastef qui a choisi le candidat Diomaye pour la présidentielle, il devrait annoncer la formation du gouvernement dès ce mercredi afin de s’atteler rapidement aux chantiers prioritaires.
On s’attend à un gouvernement avec une voilure beaucoup plus réduite que ceux des précédents présidents. Ce qui nécessitera encore des arbitrages plus serrés sur les profils et les postes à pourvoir. Dans son discours d’investiture, Faye a souligné que ce gouvernement «sera composé d’hommes et de femmes de valeur et de vertu. Des Sénégalaises et Sénégalais de l’intérieur et de la diaspora connus pour leur compétence, leur intégrité et leur patriotisme».
Riz, huile, loyer, électricité... Des prix en folie
Diomaye doit son élection dès le premier tour aux espérances portées sur lui pour la réduction de la cherté de la vie. Le nouveau président ne doit pas son investiture uniquement aux jeunes sans emplois, mais aussi et surtout aux pères et mères de famille durement affectés par une mercuriale en folie et qui ont sanctionné l’ancien régime qui n’a pas réussi, malgré quelques tentatives, à épargner leur portefeuille. C’est même une promesse de sa campagne électorale. Des mesures urgentes sont attendues sur ce point et ce dès son premier discours à la Nation prévu ce mercredi 3 avril, veille de la fête de l’indépendance.
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Les Sénégalais espèrent voir baisser les prix de certains produits de large consommation: riz, huile…, mais également le coût de l’électricité et du loyer. Le nouveau gouvernement doit au moins faire des annonces à même de rassurer les populations qui ont voté en masse en sa faveur. Il s’agit d’un chantier prioritaire sur lequel le gouvernement dispose des leviers nécessaires pour agir rapidement sur les prix de certaines denrées alimentaires en jouant, par exemple, sur la variable fiscale (droits de douane, TVA, taxes…).
Pas d’impunité pour les corrompus
Ce sera certainement l’un des points chauds de la gouvernance de Bassirou Diomaye Faye. Les Sénégalais sont assoiffés de justice. En effet, beaucoup pensent que certains barrons de l’ancien régime doivent payer leur mauvaise gestion. Et le nouveau président l’a souligné: il n’est point question d’impunité. Pour cette lutte contre la corruption, certains jugent qu’un parquet financier pourra être mis en place rapidement et accompagner l’ouverture de nombreux rapports d’audit des différents organes de contrôle de l’Etat incriminant de nombreux ministres et hauts responsables de l’Etat.
Sans la paix, point de développement. Le nouveau président l’a bien compris et a clairement souligné que sa première mission sera de créer un «environnement favorable et rétablir la confiance entre Sénégalais». Une confiance qui a visiblement été trahie et des citoyens divisés, comme en attestent youyous et huées entremêlés lorsque l’ex-président sortant Macky Sall quittait le Palais présidentiel.
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«Nous entendons tourner cette page pour réconcilier les Sénégalais entre eux, qu’ils soient du côté de l’opposition comme celui du pouvoir et des autres sensibilités. J’appelle tout le monde au sursaut national. Nous avons des urgences et les Sénégalais nous attendent. Nous devons travailler et uniquement travailler», a souligné le nouveau président qui veut tourner la page des douloureux événements que le pays a connus ces trois dernières années et entamer son magistère sous le sceau de l’unité et de la paix sociale.
Lutter contre le chômage, une forte demande de la jeunesse
Mais au-delà de ces chantiers prioritaires, le nouveau président est attendu sur d’autres et non des moindres, l’emploi. Selon les données officielles, le taux de chômage se situe autour de 20%. La création d’emploi ne se décrète pas. La démarche est le fruit d’une croissance forte, durable et soutenue résultant des investissements publics et surtout privés dans divers secteurs d’activité. Ce qui nécessite un environnement des affaires et tant d’autres conditions favorables.
Il faut souligner que l’ancien président laisse tout de même un bilan qui facilitera la tâche à son successeur sur le plan économique avec des infrastructures socio-économiques -routes, autoroutes, hôpitaux…-, mais aussi et surtout les impacts positifs attendus du démarrage, durant l’année en cours, de l’exploitation des gisements pétroliers et gaziers du pays.
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Les hydrocarbures devraient apporter de nouveaux revenus à même de contribuer au développement de certains secteurs notamment l’agroalimentaire. De même, il compte sur les impôts pour renflouer les caisses de l’Etat. Un domaine qu’il connait ayant lui-même été un haut fonctionnaire de l’administration des impôts. Les niches fiscales sont un réservoir où il faudra puiser davantage de recettes.
Pour lutter contre le chômage, il faudra aussi et surtout investir dans le capital humain en apportant des changements au niveau de la formation des jeunes, en accordant une place fondamentale aux formations d’ingénierie et professionnelles pour accompagner le développement industriel et les nouveaux secteurs, notamment ceux du pétrole et du gaz.
Il faudra aussi accorder au secteur privé la place qu’il mérite. C’est sur ce point que son programme de «souveraineté» est très attendu par le patronat sénégalais. «Nous sommes à sa disposition. Nous sommes le bras armé de toute action qui irait dans le sens du développement économique et social. Nous avons toujours le discours d’un patriotisme économique que nous avions revendiqué. Nous sommes heureux de voir notre président adopter dans le cadre de son projet tous ces aspects de souveraineté que nous estimons absolument nécessaires», a déclaré Baïdy Agne, président du Conseil national du patronat (Cnp).
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La lutte contre la corruption et la bonne gouvernance que Diomaye compte mettre en place devraient aussi faciliter une croissance économique plus vigoureuse et la création d’emploi. Toutefois, résoudre le problème du chômage prendra du temps, en plus d’être une tâche complexe. C’est le fonctionnement de toute l’économie sénégalaise qui devrait être revu, une économie basée sur l’informel et les services. Or, pour créer des emplois, il faut d’avantage investir dans l’agriculture et massivement dans l’industrie.
Il faudra deux à trois ans pour que les premiers projets concrets puissent voir le jour et impacter positivement la création d’emplois. Est-ce que les jeunes seront patients? Certains chantiers ne pourront être menés à terme qu’avec une forte majorité à l’Assemblée nationale, dominée actuellement par la coalition sortante, Benno Bokk Yakaar dirigé par l’ancien président Macky Sall.
Ainsi, beaucoup d’observateurs pensent que certaines réformes ne seront entreprises qu’avec une nouvelle Assemblée nationale. Et pour cela, le président aura la possibilité de dissoudre l’actuelle Assemblée en septembre prochain et appeler à des élections législatives à partir de la mi-novembre 2024 et surfé sur l’engouement en faveur du changement afin de disposer d’une majorité absolue au sein de cette institution et faire passer facilement les réformes nécessaires.
Face à ces multiples défis aussi urgents que complexes, certains axes du programme des nouvelles autorités devront attendre. C’est le cas de l’abandon du franc CFA qui est désormais inscrit sur une perspective au long cours en relation, autant que possible, avec la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).