Soudan: les conséquences régionales de la guerre des généraux

De la fumée noire s'élève au-dessus de Khartoum, au Soudan, lors d'affrontements entre les forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide, le 9 mai 2023.

Le 19/05/2023 à 16h13

La guerre des généraux, opposant depuis le 15 avril le chef de l’armée et président de facto Abdel Fatah al-Burhan et le général Mohamed Hamdane Daglo, des Forces de soutien rapide (FSR), aura des répercussions importantes au niveau de la région, mais aussi au-delà. Hausse du nombre des réfugiés, insécurité, impacts économiques sur les pays voisins… sont autant de facteurs qui risquent d’accroître l’instabilité régionale si jamais la crise perdure. Décryptage.

La guerre des généraux au Soudan aura des répercussions importantes au niveau de la sous-région et au-delà. Ce conflit armé, opposant depuis le15 avril, l’armée dirigée par le général Abdel Fatah al-Burhan et le général Mohamed Hamdane Daglo chef des forces paramilitaires, continue de faire des ravages, les cessez-le-feu n’étant jamais respectés. Certains observateurs pensent que la guerre pourrait durer encore longtemps et avoir des conséquences désastreuses au niveau d’une sous-région déjà marquée par une instabilité chronique.

Au-delà des pertes en vies humaines et des destructions, ce sont les conséquences qui inquiètent. L’afflux des réfugiés vers les pays voisins déjà fragiles, le débordement du conflit aux pays voisins, la rupture des chaînes d’approvisionnement passant par le Soudan sont autant de sources d’inquiétudes. Le Soudan a des frontières avec sept Etats d’Afrique du Nord, du centre et de l’Est, en plus de son ouverture sur la mer Rouge.

Au-delà de ces frontières, il y a aussi le risque à ce que cette guerre n’entraine un mouvement migratoire vers d’autres régions d’Afrique et même d’Asie et d’Europe avec une hausse des demandeurs d’asile et de réfugiés.

Instabilité sous-régionale : un débordement du conflit est à craindre

L’une des craintes au niveau sous-régional et international est que cette guerre n’entraine la sous-région dans une instabilité. Le Soudan, le 3e plus grand pays d’Afrique, est situé dans une région déjà instable mais géopolitiquement vitale.

Ayant des frontières avec sept pays (Egypte, Libye, Tchad, Centrafrique, Soudan du Sud, Ethiopie et Erythrée), dans une région instable (troubles au Darfour, guerre civile en Centrafrique, Boko Haram au Tchad, crise politique en Libye…), marquée par des différends (tensions sur le barrage de la Renaissance éthiopienne, triangle de Halayeb…)… L’inquiétude est d’autant plus logique sachant que l’est du Soudan donne sur la mer Rouge où transite une partie non négligeable du flux des échanges mondiaux.

Du coup, beaucoup d’observateurs craignent que les départs de nombreux réfugiés et de soldats vers les pays voisins n’accroissent l’instabilité au niveau de la région. Parmi ceux qui craignent un débordement du conflit vers les pays voisins figure le secrétaire général de l’ONU Antonio Guteress qui se dit «très préoccupé» par une telle perspective, d’autant plus que nombre de pays voisins du Soudan sont en proie à des troubles politiques ou sortant de conflits.

L’une des premières conséquences de la guerre des généraux au Soudan est le déplacement des populations civiles, mais aussi des militaires, vers les pays voisins. Ainsi, selon les projections de l’ONU, cette guerre va entrainer le déplacement de plus d’un million de personnes vers les pays voisins.

Or, les pays voisins du Soudan, hormis l’Egypte et la Libye, sont des pays globalement pauvres. L’arrivée massive de réfugiés risque de déséquilibrer davantage certains pays. C’est le cas particulièrement de la république Centrafricaine et le Tchad qui accueillent actuellement le plus grand nombre de réfugiés. Chose nouvelle, ces déplacés, qui ont eu le temps de se préparer, emportent avec eux bagages et meubles. C’est dire qu’ils ont quitté le Soudan et n’envisagent pas d’y retourner rapidement.

Une situation qui pose de nombreux problèmes aux pays d’accueil. A titre d’exemple, le Tchad, bien avant le déclenchement de cette nouvelle guerre, accueillait sur son territoire 400.000 Soudanais répartis dans 14 camps, ils avaient fui la guerre du Darfour.

En conséquence, l’accès aux vivres constitue un véritable casse-tête pour les pays d’accueil qui ont déjà des difficultés à assurer la sécurité alimentaire de leurs propres citoyens. Face à cette situation, l’ONU a tiré la sonnette d’alarme et a estimé les besoins en aides humanitaires à plus de 3 milliards de dollars.

Au-delà des réfugiés, d’autres pays géographiquement éloignés du conflit craignent également un déferlement de migrants soudanais désirant de quitter définitivement le pays en empruntant les voies migratoires menant vers l’Europe où ils pourront espérer obtenir des documents d’asile et de réfugiés du fait de la guerre dans leur pays. Pour y arriver, ils devront emprunter les voies traditionnelles et risquées en passant par le Tchad et la Libye pour tenter de rejoindre l’Europe et/ou via les pays du Maghreb (Tunisie, Algérie et Maroc).

Les impacts économiques sur les pays voisins

Si la crise politique que traverse le Soudan est en grande partie responsable du déclenchement de la guerre, celle-ci est aussi le résultat d’une crise économique qui sévit depuis de nombreuses années. Une crise qui s’est exaspérée depuis la scission du sud du pays et la perte des principaux gisements de pétrole du pays, provoquant un conflit autour des ressources économiques réduites à l’agriculture et à l’exploitation de l’or. Le Soudan est l’un des grands producteurs d’or du continent, un gisement qui souffre d’une exploitation opaque.

Et cette guerre va aggraver la crise économique au Soudan, mais aussi celle de la région, sachant que le pays se trouve au carrefour des échanges du fait du nombre de pays qui l’entourent.

Ainsi, les flux d’échanges entre le Soudan et ses voisins et ceux transitant via son territoire risquent d’être perturbés. Tous les pays de la sous-région ne seront pas impactés de la même manière. Certain le seront davantage que d’autres. C’est le cas notamment de l’Egypte, l’un des principaux partenaires du Soudan au niveau de la région.

En effet, il y a un risque élevé à ce qu’il y ait des perturbations dans la chaine d’approvisionnement entre les deux pays. C’est le cas notamment de la viande, le bétail soudanais couvrant près de 10% des besoins de la population égyptienne. En 2022, les exportations d’animaux vivants du Soudan vers l’Egypte ont représenté 25% des importations égyptiennes de bétail. D’où la craints d’une nouvelle hausse du prix de la viande en Egypte. Le Caire importe également du Soudan le coton nécessaire à son industrie textile, des huiles alimentaires…

Ainsi, le spectre d’une perturbation de la chaîne d’approvisionnement entre l’Egypte et le Soudan fait craindre une hausse des prix des produits alimentaires, sachant qu’en Egypte l’inflation alimentaire dépasse déjà les 60%.

De plus, les exportations égyptiennes dont le Soudan est le troisième pays destinataire risquent de pâtir du blocage des échanges entre les deux pays. En effet, le Soudan et ses 45 millions d’habitants constitue un débouché pour la production de nombreuses entreprises égyptiennes, notamment les PME.

En 2022, le volume des exportations égyptiennes vers le Soudan (dérivés du plastic, fertilisants agricoles, farine, céréales transformées, textile…) a atteint 800 millions de dollars. Ce qui positionnait le Soudan au 3e rang africain des importateurs de produits égyptiens derrière la Libye et le Maroc.

Cela est également le cas des échanges entre le Soudan et ses voisins, même si ces échanges sont dominés par l’informel que les statistiques des gouvernements ne reflètent guère l’ampleur.

Il urge donc de mettre fin à cette guerre des généraux avant qu’elle ne s’étende au niveau de la sous-région et n’entraine une plus grande instabilité en Afrique de l’Est, une région déjà fragilisée par de nombreux conflits, mais aussi par des sécheresses, synonymes de déplacements humains.

Par Moussa Diop
Le 19/05/2023 à 16h13