Au lendemain du discours «raciste et haineux» du président tunisien Kaïs Saied à l’encontre des Subsahariens, les ONG et personnalités tunisiennes ont unanimement condamné ces propos. En effet, suite à une réunion du Conseil national de sécurité de Tunisie, le président Kaïs Saied a tenu un discours raciste et haineux à l’encontre des migrants subsahariens installés et/ou en transit en Tunisie.
Si personne ne conteste que l’immigration clandestine est un problème sérieux auquel il faut trouver des solutions et de faire barrage aux mafias qui prospèrent derrière les flux de migrants, il n’en demeure pas moins que le discours du président tunisien, parlant de remplacement des Tunisien par des Subsahariens et auxquels il attribue faussement les violences et crimes perpétrés en Tunisie, est xénophobe et peut être source de violences à l’encontre de cette population qui compte moins de 22.000 âmes dont plus de 6.000 étudiants fréquentant en grande partie les universités et institutions privées tunisiennes.
Pour rappel, dans ce discours, le président tunisien a parlé de «horde de migrants clandestins» relevant d’une «entreprise criminelle ourdie à l’orée du siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie», en soulignant que l’objectif de cette migration est de faire de la Tunisie un pays « africain seulement » et escompter son caractère «arabo-musulman». En clair, le président tunisien a surfé sur la théorie du «Grand remplacement», populiste et xénophobe pour plaire aux jeunes activant sur les réseaux sociaux.
Le lendemain, lors d’une visite au siège de la Société tunisienne des industries pharmaceutiques, le président Saied a réitéré les mêmes propos: «pendant la pandémie, nous avons distribué des médicaments aux Subsahariens. Nous sommes fiers d’appartenir à l’Afrique […] Ils veulent aujourd’hui modifier la composition démographique du pays. Ils ont perçu des sommes d’argent tout comme ils ont été payés afin de porter atteinte au peuple tunisien, dans plusieurs autres domaines ».
Seulement, avec moins de 22.000 âmes réguliers et irréguliers, le nombre d’Africains subsahariens présents en Tunisie dépasse de peu le nombre de Tunisiens qui ont immigré clandestinement vers l’Italie durant la seule année de 2022, soit plus de 18.000 âmes.
Conséquence du discours raciste et haineux du président, plusieurs ONG ont dénoncé cette sortie indigne d’un chef d’Etat.
«Ce discours raciste et haineux marque un jour triste. Le fait que le président d’un pays signataire de conventions internationales sur l’immigration tienne un tel discours est extrêmement grave», a souligné Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), ajoutant que «le président instrumentalise la crise des migrants pour détourner l’attention de l’opinion publique des questions économiques et sociale en inventant un nouveau danger».
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Pour sa part, le diplomate Elyes Kasri a dénoncé, sur sa page Facebook, «les similitudes entre de nombreuses opinions exprimées en Tunisie, sans choquer grand monde, sur la situation des ressortissants subsahariens sur le sol tunisien et les positions du Front national français, communément considéré comme un parti sulfureux d’extrême droite, xénophobe et raciste». Il ajoute «comme quoi, dans cette ère d’intensification de la mobilité des populations, phénomène qui n’épargne aucun peuple, chaque société a ses adeptes de jean-Marie Le Pen qui sommeillent douillement à l’affut du moindre étranger en situation de précarité pour lui imputer tous les sombres desseins et malheurs du monde».
Allant dans le même sens, Mostapha Abdelkébir, président de l’Observatoire tunisien des droits de l’homme, a souligné que « ce discours ne ressemble en rien à la Tunisie. Le standing international de la Tunisie et son histoire humanitaire sont beaucoup plus grands que ce discours».
Dans un communiqué publié au lendemain de la sortie du président, le Tunisia-Africa Business Council (TABC), sans cité la présidence, a dénoncé «les propos et les actions racistes de cette campagne odieuse. Celle-ci engendre incompréhension et terreur parmi les étudiants et stagiaires ressortissants d’Etats d’Afrique subsaharienne inscrits dans les universités tunisiennes et centre de formation».
La TABC rappelle aussi « que des centaines d’entreprises tunisiennes sont installées en Afrique subsaharienne et que les Tunisiens travaillant aux quatre coins de l’Afrique, y pratiquent en toute quiétude leur expertise et leur savoir-faire».
De même, Mnemty, une association luttant contre les discriminations, a également condamné cette sortie du président, le qualifiant de «discours de racisme et de haine et d’incitation à la violence contre les migrants subsahariens».
En Afrique subsaharienne, peu de réactions sont enregistrées. Aminata Touré, ancienne Première ministre du Sénégal a demandé, dans un tweet, aux dirigeants africains de condamner les propos racistes et haineux du président tunisien.
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La sortie du président tunisien a plu au chef de file des racistes et xénophobes de France, Eric Zemmour, qui a fait du «Grand remplacement», théorisé par l’écrivain Renaud, le fondement de sa politique anti-migratoire.
«Les pays du Maghreb eux-mêmes commencent à sonner l’alarme face au déferlement migratoire. Ici, c’est la Tunisie qui veut prendre des mesures urgentes pour protéger son peuple. Qu’attendons-nous pour lutter contre le Grand Remplacement ?», a-t-il commenté dans un tweet.
Seulement, contrairement à Eric Zemmour, le président tunisien Saied ne devrait pas ignorer qu’en se plaçant dans la même catégorie que les dirigeants populistes de l’extrême droite européenne qui dénoncent la migration illégale, il se tire lui-même une balle dans le pied sachant que les Tunisiens figurent actuellement parmi les populations du continent africain qui migrent le plus illégalement vers l’Europe au cours de ces dernières années.
A titre d’exemple, rien qu’en Italie, quelque 18.148 migrants tunisiens ont débarqué illégalement dans ce pays en 2022, selon le ministère de l’Intérieur italien, soit 17,20% des arrivées totales de clandestins dans cette presqu’ile du sud de l’Europe, contre 14.342 en 2021 et 11.212 en 2020.
En nombre, les Tunisiens sont ainsi la seconde communauté de migrants arrivés clandestinement en Italie en 2022, derrière les Egyptiens (20.542 migrants) et loin devant Bangladeshis (14.982 migrants).
En tout cas, avec cette sortie, la chasse aux Subsahariens est désormais autorisée par la plus haute autorité du pays, en la personne de son président. D’ailleurs, selon les médias tunisiens, les forces de sécurité tunisiennes ont intensifié les campagnes d’arrestation des Africains subsahariens en situation irrégulière dans les différentes régions du pays. Et malheureusement, différents témoignages font état d’arrestations arbitraires touchant notamment des étudiants disposant tous les papiers nécessaires. Certains d’entre eux sont retenus des jours entiers dans les commissariats avant que les avocats de la communauté ne viennent les libérer… Avec cette sortie du président, certains d’entre eux s’attendent au pire.