USA-Afrique: quelques enseignements d’un sommet pas comme les autres

Le président américain Joe Biden prononce une allocution aux côtés du secrétaire d'État Antony Blinken (R) et de La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen (L) lors d'une séance de clôture sur la sécurité alimentaire lors du Sommet des dirigeants États-Unis - Afrique le 15 décembre 2022 à Washington DC.. 2022 Getty Images

Le 20/12/2022 à 14h08

Les Etats-Unis ont organisé le second sommet USA-Afrique en recevant tous les pays africains, ou presque. A cette occasion, voulant freiner les percées chinoise et russe en Afrique, Washington n’a pas hésité à «renier» certains de ses principes et à mettre la main à la poche.

La présence réduite des Etats-Unis en Afrique durant la présidence Trump a été bénéfique pour certains pays, notamment ceux des BRICS, et plus particulièrement la Chine et la Russie, qui ont avancé leurs pions dans divers domaines sur le continent. Une situation qui inquiète désormais les Etats-Unis, dont les exigences de «démocratie» et de «gouvernance», à géométrie variable selon les cas de figure, et d’autres considérations ont contribué à les éloigner de l’Afrique.

Cette faible présence américaine a été plus que compensée par d’autres pays, notamment la Chine, la Turquie et, dans une moindre mesure, la Russie. Conséquence: on note un certain basculement du continent vers les géants des BRICS (Chine, Russie et Inde) et la Turquie, au détriment du monde occidental. Outre l’omniprésence chinoise en Afrique, dans presque tous les domaines, le refus des pays africains de condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fini par faire comprendre aux Etats-Unis et aux Occidentaux que le continent commence à s’émanciper vis-à-vis d’eux.

Ayant compris cela, le président américain Joe Biden et ses collaborateurs ont tenté de corriger le tir en organisant le second sommet USA-Afrique, du 13 au 15 décembre à Washington, le premier ayant été organisé par le premier président afro-américain du pays, Barack Obama, il y a 8 ans. Objectif: repositionner les Etats-Unis sur l’échiquier politique et économique africain.

Et cette fois-ci, l’enjeu principal étant de contrer les percées chinoise et russe en Afrique, les Etats-Unis ont fini par mettre de l’eau dans leur vin pour ratisser large et ne plus exclure certains pays à cause des principes de déficit démocratique, de transparence, de gouvernance, de respect des droits de l’homme…

A titre d’exemple, en novembre 2021, les Etats-Unis avaient invité 110 pays des 5 continents pour un sommet sur la démocratie, où seulement 17 pays africains avaient été invités. Les 37 autres pays du continent ont été écartés pour manque de démocratie.

Et pour maquiller ce revirement au niveau des sacro-saints principes qu’ils s’étaient imposés, les Etats-Unis n’ont pas trouvé mieux que de s’aligner sur les critères de l’Union africaine (UA), en adressant les invitations aux chefs d’Etat et de gouvernement de tous les pays africains, à l’exception de ceux exclus par l’institution panafricaine.

Ainsi, il ne manquait à l’appel que l’Erythrée, qui n’a pas de relation diplomatique avec les Etats-Unis depuis belle lurette, et 4 autres pays dont les dirigeants sont arrivés au pouvoir par un coup d’Etat (Mali, Burkina Faso, Guinée et Soudan) et qui, de ce fait, sont suspendus par l’UA. En tout, 49 pays ont été invités par Washington. En fermant les yeux sur la gouvernance, la démocratie et les droits de l’homme, autrement dit, en faisant à peu près la même chose que la Chine qu’ils accusaient de fermer les yeux sur certains principes, les Etats-Unis ont ratissé large.

Il ne s’agit pas de la seule entorse aux principes que les Etats-Unis ont prônés jusqu’à présent. Ce revirement américain s’est aussi traduit au niveau des critères d’attribution des subventions du Millenium Challenge Corporation (MCC). Outre le fait que ce dernier se concentre désormais sur de grands projets, une manière d’avoir plus de visibilité, les Américains ont certainement assoupli les conditions d’éligibilité des pays. De nombreux pays africains qui ont toujours été recalés se sont donc vu attribuer le compact lors de ce sommet. Parmi eux figurent le Togo, la Mauritanie et la Gambie, qui ont été sélectionnés pour obtenir leur premier compact. D’ailleurs, certains pays qui ont été exclus de l’African Growth Opportunity Act (AGOA), une loi qui permet aux pays d’Afrique subsaharienne d’exporter vers le marché américain sans droit de douane, pour des questions liées au droit de l’homme ont été rétablis sans que des changements notables ne soient enregistrés en matière de droits de l’homme, de gouvernance…

Rappelons que le MCC est devenu un des bras financiers de l’administration américaine. Depuis sa création en 2004, 9,5 milliards de dollars ont été investi dans 24 pays africains. Et le MCC a étendu ses programmes à 14 pays africains avec des programmes compacts et des programmes de seuil d’une valeur de 3 milliards de dollars et 2,5 milliards de dollars supplémentaires dans le pipeline.

Toutefois, pour montrer que les Etats-Unis tiennent compte des enjeux démocratiques, le président Joe Biden s’est réuni, le 15 décembre, avec les présidents de 6 pays qui seront le théâtre d’élections présidentielles en 2023: la République démocratique du Congo (RDC), le Gabon, le Liberia, Madagascar, le Nigeria et la Sierra Leone.

A l’issue de cette rencontre, Washington a annoncé le déblocage de 165 millions de dollars pour soutenir les élections et la bonne gouvernance dans ces pays, en soulignant que ces financements permettront d’organiser des élections libres, équitables et transparentes par des organismes électoraux nationaux compétents, indépendants et impartiaux, et ce, dans le but de «consolider la démocratie en Afrique», selon la Maison Blanche.

Au-delà de la volonté de ne plus laisser le champ libre à la Chine et à la Russie en Afrique, même s’il faut atténuer leurs positions en matière de respect des droits de l’homme et de la démocratie, les Etats-Unis ont aussi montré plus d’engagement en faveur du continent, même s’il s’agit plus globalement d’initiatives qui profitent aussi bien aux Américains qu’aux Africains. Hormis le montant colossal de 55 milliards de dollars de financement sur 3 ans au profit des pays africains, et dont on ne connaît pas encore les modes et les critères de répartition, tous les autres accords visent à consolider les échanges et les investissements entre Washington et l’Afrique.

Ainsi, la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) et US Eximbank ont signé un protocole d’accord de 500 millions de dollars pour stimuler le commerce et l’investissement, notamment en facilitant la relance et le renforcement des compagnies aériennes africaines grâce au renouvellement de leur flotte. Un fonds qui devrait fortement bénéficier au constructeur américain Boeing.

Concernant la transition énergétique, les Etats-Unis, la RDC et la Zambie ont paraphé un protocole d’accord portant sur la transformation des matières premières nécessaires à la production des batteries de véhicules électriques. Ce projet, qui sera développé dans la région chevauchant le sud-est de la RDC et le nord de la Zambie, a été annoncé par les deux pays africains qui disposent d’importantes ressources minières (cobalt, étain, coltan, lithium, cuivre…), très prisées par les géants technologiques américains (Dell, Microsoft, Google…).

Ce retour des Etats-Unis en RDC, un allié historique, devrait déboucher sur un partenariat gagnant-gagnant: accès aux minerais stratégiques pour les Etats-Unis et possibilité pour la RDC de transformer localement ces minerais en s’appuyant sur les investissements américains. Une chose que les nombreux investisseurs chinois ne s’efforcent pas d’entreprendre. Pour rappel, la RDC possède environ 60% des réserves mondiales de cobalt et assure 70% de la production mondiale de ce minerai devenu stratégique. Toutefois, les mines de cobalt, de cuivre et de lithium sont contrôlées par des intérêts chinois.

Ainsi, la RDC va devenir un terrain de rivalité entre Chinois et Américains dont l’objectif est le contrôle de l’approvisionnement des minerais dits stratégiques.

Le business a aussi occupé une place importante du Sommet grâce au forum d’affaires regroupant les entreprises américaines et africaines, centré dans une «deal room». Ce sont plus de 15 milliards de dollars de nouveaux partenariats commerciaux et d’investissement qui ont été annoncés lors de la dernière journée du sommet.

Enfin, au-delà des affaires et de la démocratie, ce sommet a été aussi l’occasion pour les Etats-Unis d’afficher des convergences diplomatiques avec l’Afrique. Le refus de nombreux pays africains de condamner la Russie au lendemain de son invasion de l’Ukraine avait surpris les Occidentaux, qui croyaient que les pays du continent allaient adopter leur position.

Partant, les USA ont décidé de répondre favorablement à la demande des pays africains pour une plus grande représentation de l’Afrique au sein des instances internationales. A ce titre, répondant à une revendication des pays africains pour une réforme de l’Organisation des Nations unies, les Etats-Unis ont annoncé un plan de réforme du Conseil de sécurité, en appuyant les sièges permanents des pays africains, et exprimé leur soutien à l’UA pour son adhésion au G20 en tant que membre permanent.

Bref, ce second sommet a permis aux Américains de revenir sur la scène politique et économique africaine. Toutefois, les Chinois et, dans une moindre mesure, les Russes sont désormais bien en place. Une chose est donc sûre: l’Afrique sera au centre des rivalités entre ces puissances. A elle de savoir en tirer le maximum de profit…

Par Moussa Diop
Le 20/12/2022 à 14h08