Face au bleu magnétique de l'océan, des habitants s'approchent en silence des deux mausolées en forme pyramidale. A l'intérieur et à l'extérieur, des dizaines de visages en terre, les yeux fermés à jamais, certains hurlant. Des chaussures s'échappent des mausolées, alignées jusqu'au bord de la falaise, comme tombant à la mer.
Une évocation et une dénonciation puissantes, par l'artiste sénégalais Yakhya Ba, des tragédies de la migration clandestine qui endeuillent tant de familles africaines.
Un peu plus loin, un imperturbable chien surdimensionné est l'objet de selfies de résidents amusés, le but de l'Egyptien Khaled Zaki qui a voulu donner de la joie aux enfants et évoquer le problème des chiens errants de la capitale.
Faire «tomber les murs des galeries et des musées», déplacer «l'atelier de l'artiste dans la rue» et briser «l'imaginaire élitiste que le citadin se fait de l'art»: ce projet «Doxantu» (la promenade, en langue wolof) est un véritable «plaidoyer pour un art plus présent dans l'espace public», plaident les organisateurs.
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La bouillonnante capitale est réputée pour son énergie créative, dans un pays qui a vu naître de grands artistes tels qu'Ousmane Sow.
Après un report en 2020 à cause du Covid, la 14e édition accueille jusqu'au 21 juin le meilleur de la création contemporaine du continent. L'édition 2018 avait drainé près de 250.000 visiteurs, dont plus de 50.000 venus de l'étranger.
Centaines d'expositions
«85 pays sont représentés et plus de 2.500 artistes présents dans le IN et le OFF sur l'étendue du territoire et de la diaspora», selon les organisateurs.
Le directeur artistique, El Hadji Malick Ndiaye, a la franchise de faire le constat que, dans ce pays pauvre, «la société, au-delà des acteurs culturels, n'a pas toujours ressenti la Biennale», malgré les centaines d'expositions et lieux ouverts à tous et la couverture médiatique.
Il a demandé à 17 artistes de produire in situ des oeuvres monumentales pour «dialoguer» avec les lieux jalonnant la corniche (village de pêcheurs, université, prison etc), et programmé des performances «dans des endroits reculés» de la capitale.
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Le thème de cette édition est «Ndaffa (la forge, en wolof)», «la construction de nouveaux modèles».
Près de 300 expositions à Dakar et sur les îles de Ngor et Gorée, et une grosse centaine dans d'autres villes et pays de la diaspora, sont au programme du IN et environ 350 projets dans le OFF.
«Cette Biennale est symboliquement forte parce que c'est après la crise du Covid-19 qui a secoué et testé les pays africains», souligne Ndiaye dans un entretien à l'AFP.
«L'Afrique est au carrefour de plusieurs mutations: mouvements pour une nouvelle appropriation du patrimoine africain, questions sur le franc CFA, sur l'autonomie des pays africains, troubles dans plusieurs pays, émergence de nouvelles consciences citoyennes...».
"Faire crépiter la culture"
Lors de cette Biennale, «on invite les artistes à avoir leurs propres points de vue sur tout cela, à forger de nouvelles manières de penser, à tout faire pour ne pas se replier sur soi-même et ne pas partir à la dérive», dit-il.
L'exposition internationale présente, dans un ancien palais de justice à l'atmosphère hors du temps, 59 artistes visuels de la sélection officielle, venus de 28 pays, dont 16 pays africains et 12 pays de la diaspora.
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Parmi eux, on pourra être interpellé par les visions oniriques de la sensation de l'art contemporain africain, le peintre sénégalais Omar Ba, par une vidéo de la Sud-Africaine Sethembile Msezane ou une installation transportant dans l'espace de la Franco-Togolo-Sénégalaise, Caroline Gueye, également astrophysicienne.
Parmi d'autres expositions phares, une «forêt» de 343 sculptures - hommes, femmes, enfants, sans bras, comme accablés - du Sénégalais Ousmane Dia, qui dénonce les inégalités, invitant à un ordre nouveau «qui s'appesantisse davantage sur la dignité humaine».
Un colloque scientifique, organisé par l'écrivain Felwine Sarr, débattra de la restitution du patrimoine africain.
«C'est aussi le moment où de l'autre côté du monde, il y a une guerre», dit Ndiaye à propos de l'invasion russe en Ukraine. «Quand les armes crépitent, on doit faire crépiter la culture et miser encore plus sur elle», exhorte-t-il.