Patrimoine africain pillé: la France "prête" au Sénégal le sabre d'un de ses héros

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Le 18/11/2019 à 10h34, mis à jour le 19/11/2019 à 14h15

Le Premier ministre français Edouard Philippe a symboliquement remis dimanche au président sénégalais Macky Sall le sabre de El Hadji Oumar Foutiyou Tall, héros de la résistance à la pénétration coloniale. Mais selon la presse sénégalaise il s'agit d'un simple prêt.

Emmanuel Macron s'est engagé à rendre à l'Afrique les dizaines de milliers d'objets de leur patrimoine historique. Hier dimanche 17 novembre, lors d'une cérémonie solennelle, Edouard Philippe a remis à Macky Sall le sabre de Cheikh Oumar Foutiyou Tall, une très belle pièce d'acier forgé, de laiton, de cuivre, de cuir et de bois avec son étui faisant partie des collections du Musée de l'armée à Paris. La presse sénégalaise affirme néanmoins, qu'il sagit d'un prêt pour une durée de 5 ans, au bout desquels le Sénégal devra alors le rendre. 

Cet objet n'a néanmoins jamais été dérobé à son propriétaire qui n'a jamais été fait prisonnier par les forces d'occupation coloniales et qui n'a pas non plus été tué. 

En effet, selon les historiens sénégalais, Cheikh Oumar Foutiyou a disparu mystérieusement dans les falaises de Bandiagara au Mali en 1864 et son corps n'a jamais été trouvé. 

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Mais les colons français ont prétendu s'être saisi de son sabre pusieurs années après sa mystérieuses disparition, ce qui a donné donc lieu à une restitution qui est plutôt une réhabilitation d'un immense symbole pour l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. En effet, Oumar Foutiyou Tall a été le premier à répendre la Tarikha Tidjaniya, dont se réclame plus de 150 millions de pratiquants dans la sous-région. 

S'il ne s'agit pas encore à proprement parler d'une restitution, ce geste en est "la première étape", a dit le Premier ministre au cours d'une cérémonie à la présidence sénégalaise en présence des descendants de l'ancien propriétaire.

Parmi des accords politiques ou commerciaux signés dimanche a été paraphée une convention prévoyant le dépôt du sabre au Musée des civilisations noires de Dakar pour cinq ans, le temps que soit rédigée en France une loi sur la restitution proprement dite. Le sabre se trouve déjà depuis plusieurs mois au musée de Dakar sous la forme d'un prêt.

"Nous sommes liés par l'histoire", a dit M. Philippe en faisant référence à la colonisation et aux relations privilégiées après l'indépendance du Sénégal, "et ce lien prend un accent particulier aujourd'hui".

Il a rappelé qu'il conservait lui-même précieusement son sabre d'officier.

"Le sabre qui nous réunit ici est infinement plus prestigieux que celui que je possède, c'est celui d'un grand conquérant, celui d'un guide spirituel ... le sabre d'un fondateur d'empire, l'empire toucouleur qui comprenait la Guinée, le Mali, le Sénégal actuel, c'est le sabre d'un érudit", a-t-il dit. "C'est un amateur de sabre qui vous le dit: sa place est bel et bien ici, au coeur de l'ancien empire toucouleur", a-t-il déclaré.

Erudit musulman et guide de l'importante confrérie des Tidianes, Omar Foutiyou Tall, dit El Hadj Omar, fut à l'origine de l'empire toucouleur. Il combattit les troupes françaises de 1857 à 1859 avant de signer un traité de paix avec eux en 1860. 

- On prend tout -

Son fils Ahmadou (1836-1897) lui succéda mais fut vaincu par les Français en avril 1893 à Bandiagara (Mali). C'est là que les Français s'emparèrent du sabre, à la lame de fabrication française et au pommeau en forme de bec d'oiseau, mais aussi d'autres pièces, des armes, des manuscrits et de l'or, selon les historiens.

Les collections publiques françaises renferment au moins 90.000 objets d'art d'Afrique sub-saharienne. Plus des deux tiers - 70.000 - se trouvent au Quai Branly, dont 46.000 ramenés durant la période 1885-1960. Plus de vingt mille autres se trouvent dispersés dans de nombreux musées, y compris au Havre, dont M. Philippe fut le maire.

Le président sénégalais a rappelé que "depuis des décennies, les restitutions font l'objet d'intenses et légitimes réclamations" de la part des pays africains.

Au cours d'un discours à Ouagadougou le 28 novembre 2017, M. Macron avait souhaité que "d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique".

"Ce jour est historique. Voici que les descendants d'anciens belligérants se retrouvent et sympathisent comme pour signer définitivement la paix des braves", a dit le président sénégalais.

"C'est symbolique. On nous l'avait prêté mais là on va nous le restituer", a dit à l'AFP le directeur du Musée des civilisations noires de Dakar, Hamady Bocoum. Comme d'autres présents à la cérémonie, il a dit attendre davantage. "On est prêt à tout prendre", a-t-il dit.

La restitution proprement dite, que ce soit d'un objet ou d'un groupe d'objets, doit donner lieu à une loi parce qu'ils appartiennent aux collections nationales et que la propriété en est "inaliénable et imprescriptible", dit-on à Matignon où on souligne que ces restitutions s'inscrivent dans une politique plus large de coopération culturelle.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 18/11/2019 à 10h34, mis à jour le 19/11/2019 à 14h15