Sénégal-Protocole de Rebeuss: une histoire de gros sous et de mensonge politique

Idy Seck alors premier ministre du président Abdoulaye Wade.

Idy Seck alors premier ministre du président Abdoulaye Wade. . DR

Le 12/07/2016 à 13h57

C’est une affaire qui collerait bien au concept nietzschéen d’«éternel retour». Sauf que là, il ne s’agit point d’une controverse philosophique mais d’une histoire de gros sous et de mensonge politique, au plus haut sommet de l’Etat sénégalais.

D’abord, un bref rappel des faits. Nous sommes en décembre 2005, Idrissa Seck, Premier ministre déchu est en prison depuis de longs mois. Officiellement pour malversation dans l’affaire dite des «Chantiers de Thiès», un programme d’infrastructures dans sa ville natale.Officieusement, c’est à cause d’un différend financier, une forte somme d’argent que l’ancien président Abdoulaye Wade avait reçue sous forme de don de la part d’un pays du Golfe et que son poulain et ancien Premier ministre (Idrissa Seck) aurait détournée.Bref, pour se trouver une issue, les deux hommes auraient concocté un «deal» appelé «Protocole de Rebeuss» du nom de la célèbre prison dakaroise où Seck était enfermé. Dans ce document qu’auraient négocié les représentants des deux parties, la notaire Me Nafissatou Diop (pour le compte d’Idrissa Seck) et Me Ousmane Sèye, alors avocat de l’Etat du Sénégal, Seck se serait engagé à rembourser 21 milliards de FCFA (les chiffres varient selon les versions) à son ex-mentor, Wade, en contrepartie de sa libération.Pour la petite histoire, les deux personnages clés dans cette affaire, Mes Sèye et Diop, ont rejoint depuis le camp du président Sall, dont Idrissa Seck est le plus farouche opposant.On croyait ce «Protocole de Rebeuss» définitivement enterré depuis l’épilogue judiciaire de l’affaire des «Chantiers de Thiès» dans laquelle Idrissa Seck a bénéficié d’un non lieu. Que nenni ! Cette intrigante affaire, qui renaît de ses cendres au gré des circonstances politiques, a été exhumée en juin dernier à la suite des attaques virulentes de Idrissa Seck contre Macky Sall qu’il accuse d’avoir conclu un «deal» avec l’ancien président Abdoulaye Wade, leur mentor politique tous les deux, «sur le dos des Sénégalais», avec la libération de Karim Wade.Les lieutenants de Sall, au premier rang Me Nafissatou Diop, ancienne bras droit de Seck, ont vite fait de «rappeler» que c’est Seck le «dealeur». Et ils ne sont pas privés de remettre au goût du jour le fameux «Protocole de Rebeuss». Depuis lors, les «révélations» et contre-révélations sur cette sombre affaire se multiplient dans la presse.La dernière salve a été lancée ce week-end par Me Ousmane Sèye. Invité de l’émission «Grand jury» sur la RFM. L’ancien avocat de l’Etat, aujourd’hui à la tête d’un mouvement de soutien politique à Macky Sall, dit «détenir les preuves de l’existence d’un document dans lequel Idrissa Seck s’engage à payer 21 milliards de FCFA».La réplique du camp de «Idy» (Seck) ne s’est pas fait attendre. «Si Me Ousmane Sèye souhaite sortir du lot des manipulateurs attitrés et recrutés pour mettre à exécution un gigantesque complot d’Etat, il a les moyens de se préserver en publiant le document. Toute autre attitude n’est que diversion et mensonge continu», écrit dans un communiqué Thierno Bocoum, le chargé de communication de Rewmi, le parti de Idrissa Seck. Bocoum n’a pas manqué de relever les déclarations contradictoires de Sèye et Cissé qui, dans un passé récent, soutenaient que le «Protocole de Rebeuss» «n’existe pas», que c’était «une invention de la presse».Dans les colonnes du quotidien «Libération», un organe proche du pouvoir, Me Nafissatou Cissé a précisé, ce matin, sa pensée. «Il n’y a jamais eu de protocole», reconnait-elle, avant de poursuivre : «Dès notre premier contact, Me Abdoulaye Wade nous a clairement dit que Idrissa Seck avait pris son argent et qu’il voulait que cette somme lui soit rendue. Il nous a clairement fait comprendre que cet argent était à l’origine de l’arrestation d’Idrissa Seck et ce dernier a effectivement reçu une proposition à accepter pour sortir de prison».Une sombre affaire dont on ne connaitra, probablement, jamais toute la vérité à cause des manipulations politiques et des jeux d’intérêts des différents acteurs. Une chose est sûre, en politique toutes les armes semblent permises, y compris le mensonge.

Par Ibrahima Diallo (Dakar, correspondance)
Le 12/07/2016 à 13h57