Après des mois de dissensions entre le président de la République, Kaïs Saïed, et le président du Parlement, Rached Ghannouchi, chef du parti d'inspiration islamiste Ennahdha, le feuilleton politique s'est emballé mercredi.
Le chef du gouvernement nommé par M. Saïed, Elyes Fakhfakh, fragilisé par une affaire de conflits d'intérêts, a démissionné sous la pression d'Ennahdha, qui avait déposé une motion de défiance contre lui.
C'est au président Kaïs Saïed, un universitaire indépendant très largement élu en octobre, mais dépourvu de parti, que revient la lourde tâche de désigner dans les dix jours un candidat. Ce dernier aura ensuite un mois pour rassembler une majorité au sein d'un Parlement profondément fragmenté.
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Cela augure d'une nouvelle série de pourparlers ardus, cinq mois après la formation laborieuse du gouvernement sortant.
"Kaïs Saïed marche sur la corde raide", souligne le politologue Slaheddine Jourchi, estimant qu'avec l'échec du gouvernement Fakhfakh, sa marge de manoeuvre s'est réduite. A défaut d'une approche plus souple, il pourrait "placer le pays dans une situation délicate avec potentiellement des élections anticipées".
Ennahdha a poussé le gouvernement vers la sortie après avoir tenté, en vain, de reconfigurer une coalition gouvernementale au sein de laquelle il se sentait marginalisé. Il était allié contre son gré à des partis revendiquant comme M. Saïed les valeurs de la révolution, et peu enclins aux compromis.
"Nous allons assister à une transition d'une coalition basée sur les valeurs de la révolution de 2011 à une position plus pragmatique, construite sur les intérêts politiques", prédit M. Jourchi.
Ennahdha, qui ne dispose que de 54 sièges sur 217, bien qu'étant le principal parti au Parlement, souhaite intégrer dans la coalition gouvernementale le parti libéral laïc Qalb Tounes du patron de télévision Nabil Karoui. Deuxième formation au Parlement, Qalb Tounes a fait alliance avec Ennahdha après avoir fait campagne contre ce parti.
Reste à savoir si le président Saïed, un farouche indépendant hostiles aux arrangements partisans, cherchera à désigner un candidat de consensus ou profitera de la situation pour passer en force.
Couperet de la dissolution
"Il a entre ses mains l'atout majeur de la dissolution", indique à l'AFP le professeur de droit public Slim Laghmani, estimant qu'il est prêt à utiliser ce "couperet" alors que "les blocs actuels ont beaucoup à perdre" à de nouvelles élections.
Un sondage récent montre la percée d'une petite formation très hostile aux formations islamistes comme aux partis d'obédience révolutionnaire, le Parti destourien libre d'Abir Moussi, ex-pilier du régime de Ben Ali.
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Signe de l'ambiance délétère, une plénière cruciale jeudi pour la transition démocratique, visant à finaliser la création d'une Cour constitutionnelle, a tourné au pugilat entre PDL et Ennahdha.
Si la majorité absolue de députés ne vote pas la confiance au gouvernement dans les délais, l'Assemblée peut être dissoute. La Tunisie, qui a organisé ses dernières élections en octobre 2019, aurait alors 90 jours pour organiser un scrutin anticipé, soit fin 2020.
Ces frictions politiques risquent d'exacerber des tensions sociales déjà élevées, et fragiliser la situation sécuritaire, à un moment où le conflit en Libye voisine s'internationalise.
La Tunisie, qui a pris avec succès des mesures drastiques pour circonscrire la pandémie de coronavirus, est frappée de plein fouet par les retombées économiques et sociales de la fermeture des frontières.
Des milliers d'emplois sont sur la sellette alors que la population est déjà exaspérée par le manque de perspectives dans un pays où le taux de chômage officiel dépasse les 30% dans certaines régions et parmi les jeunes.
Des mobilisations en cours depuis plusieurs semaines dans le sud du pays, une zone largement marginalisée, sont reparties de plus belle jeudi.