Une légère fumée de poisson grillé accueille les visiteurs. Ce vendredi 29 juillet, à 23h30, la «Nageoire», une plage nichée entre la Cour suprême et le luxueux hôtel Terrou Bi, sur la corniche dakaroise, est particulièrement animée. Des dizaines de tables à manger sont disposées le long de la plage.
Les gens, essentiellement des étudiants, s’installent par couple ou en petits groupes entre amis pour déguster du poisson grillé. «Les prix varient entre 1.500 et 7.000 FCFA (1 euro = 656 FCFA) en fonction de la taille et du type de poisson», nous explique un jeune homme spécialisé dans ce business, apparemment très lucratif. Tandis qu’il gère les commandes et encaisse l’argent, un autre garçon s’occupe de la grillade. Le poisson frais, notamment du «thiof», est acheté au quai de pêche de Soumbédioune situé à 500 mètres de là.
Un espace de liberté
Au bord de l’eau, là où les petites vagues viennent mourir comme un sanglot, un couple attire l’attention. Le jeune-homme est couché sur le dos, la tête sur les cuisses de sa copine, tandis que cette dernière lui caresse les cheveux... L’obscurité du moment – la plage n’étant éclairée que par le réverbère des lumières de l’hôtel Terrou Bi – et le silence, que seul le bruit des légères vagues vient interrompre, semblent;;;;;;;; donner aux deux adolescents un sentiment de grande intimité. Même si la plage est bondée de monde.
A l’image de ce couple, on distingue plusieurs ombres à travers les roches bordant l’eau, chuchotant à voix basse, à l’écart du public. «Beaucoup préfèrent venir ici, la nuit, avec leurs petites amies parce que c’est calme, convivial et, surtout, on s’y sent vraiment en liberté», explique E. O. Ndong, un habitué des lieux. «Moi, je viens surtout profiter de la fraîcheur de la mer et de la nuit en cette période de canicule et pour manger un morceau», poursuit notre interlocuteur.
A. Diaw, un habitant de Gueule Tapée, quartier jouxtant Soumbédioune, a aussi l’habitude de fréquenter la «Nageoire». «Ici, à la différence des autres plages de Dakar, c’est plus ‘’class’’. Les gens viennent manger du poisson grillé, discuter et se baigner tranquillement», explique-ti-il. Il laisse entendre que dans les autres plages (Ngor, Bceao, etc.), il y a «trop de bordel».
En remontant la plage vers Soumbédioune, du côté de la Cour suprême, nous trouvons deux adolescents assis sur les roches. La théière mijote sur le feu, entre deux pierres. Nous réclamons un verre, prétexte pour engager la discussion. Les Sénégalais ont le sens du partage, surtout pour le thé ! L’un d’eux, torse nu, vient juste de sortir de l’eau. Les gouttes d’eau se tiennent encore comme des perles sur sa poitrine.
A chacun sa motivation
Il nous explique qu’un jeune étudiant s’est fait «pigeonner» tout à l’heure. Le pauvre, un jeune originaire de Tambacounda (Sénégal oriental) a passé près d’une heure dans l’eau. A sa sortie, il remarque que ses effets (ses vêtements, sa carte d’étudiant, sa porte-monnaie, qui contenait un peu d’argent) avaient disparu.
«il est vraiment naïf le gars ! Comment peut-il laisser ses effets sur la plage sans les confier à quelqu’un ?», s’interroge le jeune-homme au torse nu, l’air innocent. «C’est un ‘’has been’’. Il ne connaît pas encore Dakar. Il suffit de l’écouter parler pour s’en rendre compte», ajoute l’autre, celui qui s’occupe de la théière.
Pendant ce temps, le troisième larron de la bande, qui faisait semblant (?) d’aider le «pigeon» (l’étudiant) à retrouver ses effets, revient avec… sa (?) «victime». Mon compagnon m’explique, quand nous avons quitté le groupe, qu’il était convaincu que c’est le trio qui a subtilisé les effets de l’étudiant et que leur semblant de sollicitude n’est que comédie. Ses soupçons se confirment «définitivement» quand le troisième larron, un adolescent au visage charmeur, celui qui participait à la recherche, donne son sous-vêtement à l’étudiant pour que ce dernier ne rentre pas au campus uniquement vêtu d’un caleçon.
«On trouve du tout dans les plages pendant la nuit. Il y en a qui viennent avec leurs petites amies pour s’amuser, d’autres viennent pour voler. Il y a même de la prostitution dans ce milieu où circulent également l’alcool et la drogue», explique S. P. Sadio, un bon connaisseur de l’ambiance sur les plages de nuit à Dakar.
Le «pigeon» parti, nous continuons la discussion avec nos trois «amis» de circonstance. Ils nous expliquent comment ça se passe sur cette plage. «Les gens viennent à partir de 18h». «Certains restent jusqu’à minuit, d’autres poussent jusqu’à l’aube». «La plage est sure, on peut se baigner toute la nuit…». Le verre de thé est enfin servi. Savoureux !
Bain de minuit
Nous prenons congé et continuons à remonter la plage. Non loin de là se trouve le coin favori des baigneurs. L’endroit est entouré de roches, pas très profond, et il n’y a pas de vague. Il est presque minuit. Des dizaines d’adolescents (des garçons et des filles) sont dans l’eau la ridant dans le silence et l’obscurité. Le bain de minuit semble avoir commencé !
Les adultes, généralement «en bonne compagnie», qui préfèrent laisser la baignade aux adolescents, vont s’installer dans l’espace « VIP » aménagé à l’entrée de la plage. Un vieux guitariste ivre entonne un mauvais air de «I love you» devant un couple qui écoute en silence. D’une faible voix, un peu rauque, il chante l’amour, l’argent et termine par une note sur… l’alcool.
A notre arrivée, le vieux guitariste s’avance en titubant, enlève son chapeau, et nous souhaite la bienvenue : «Mes respect boss. Prenez place». Pendant qu’il parlait ainsi, d’autres personnes continuent d’arriver sur la plage par couple ou par petits groupes. La nuit promet d’être longue.