Serigne Fallou Dieng, le président du Cercle des intellectuels soufis du Sénégal, a expliqué, cette semaine, que le Sénégal est devenu «un laboratoire de crimes rituels» à propos de la série de meurtres ces derniers temps. Il aurait été plus juste de dire que le pays est devenu un laboratoire de pratiques mystiques. En effet plusieurs cas de profanation de tombes ont été notées ces derniers temps, notamment au cimetière de Pikine, dans la banlieue dakaroise, où des dépouilles sont déterrées quasi-quotidiennement par des malfrats.
Ces visiteurs de nuit déterrent les morts, avant d’emporter le linceul ou un organe du corps. Le dernier cas remonte à seulement deux jours. Après avoir exhumé la dépouille d’une femme qui, d’après la presse, avait été enterrée le 11 septembre dernier, les auteurs de ce crime horrible ont emporté son linceul.
Les morts de Pikine ne dorment plus
Avant cela, le 12 octobre dernier, plusieurs tombes avaient été profanées dans le même cimetière de Pikine. Parmi les sépultures profanées, selon la police, celle d’une dame âgée de 90 ans, 72 heures après son enterrement. La tombe d’un octogénaire avait aussi été ouverte, le corps trainé sur quelques mètres.
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Un fossoyeur avait été mis aux arrêts suite à l’enquête ouverte par la police dans le cadre de cette affaire. Mais l’affaire avait vite été étouffée parce que le mis en cause aurait révélé que des «kilifeu» (des gros bonnets) étaient les véritables commanditaires.
Cette énième profanation avait suscité une vive colère chez les populations qui, le lendemain, avaient improvisé un rassemblement devant le cimetière pour crier leur indignation. Certains réclament désormais la mise en place de caméras de surveillance devant les cimetières pour renforcer la surveillance.
Après la profanation de quatre tombes, l’année dernière, des mesures avaient été adoptées par les autorités municipales pour renforcer la sécurité autour du cimetière de Pikine. Tous les arbres avaient été coupés, la clôture élevée et des projecteurs installés tout autour. Des mesures qui n’ont visiblement pas dissuadé les visiteurs nocturnes des cimetières.
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Mais la profanation de tombes est loin d’être l’apanage seul du cimetière de Pikine qui, il est vrai, défraie régulièrement la chronique sur ce genre de cas. D’autres profanations ont été notés aux cimetières de Thiaroye, toujours dans la banlieue dakaroise, mais aussi dans d’autres localités à l’intérieur du pays (Kébémer, Kaffrine, etc.).
Fossoyeur, un métier devenu suspect
Mais pour quels motifs ces individus qui, visiblement, ne craignent pas la mort, viennent-ils troubler le sommeil des morts? Titulaire d’une maîtrise en sciences islamiques, Ousmane est convaincu que ces profanations n’ont qu’un seul motif : des pratiques mystiques. «Généralement, les charlatans promettent à ceux qui viennent les voir, s’ils leur apportent un morceau de linceul ou quelque chose de ce genre, ils ne seront pas limogés ou vaincus tant que le mort ne se lèvera pas», explique-t-il.
Les fossoyeurs, qui font en même temps office de gardiens, sont évidemment les «complices» idéales, aux yeux des populations. Mal payés, certains peuvent accepter d’être corrompus pour accomplir un «sacrifice» dans le cimetière ou laisser quelqu’un s’y introduire nuitamment moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes. La suspicion et l’arrestation de l’un d’eux par la police a semé le trouble si bien que le métier de fossoyeur, qui se transmettait généralement de père en fils, devient de moins en moins prisé par les temps qui courent.
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Dans une de ses livraisons du mois octobre, le quotidien L’Observateur expliquait que, ces derniers jours, les personnes qui souhaitent enterrer leurs morts, rencontrent d’énormes difficultés pour trouver un fossoyeur. Faute d’avoir un professionnel, ils ont recours à des fossoyeurs occasionnels pour s’acquitter de cette tâche, s’ils ne l’exécutent pas eux-mêmes.
Pour la puissance et la gloire
Les hommes politiques et les lutteurs sont généralement accusés d’être les commanditaires de ces actes de profanation pour des pratiques mystiques. En effet, même s’ils sont devenus courantes ces derniers temps, les profanations de tombes étaient généralement notées en période d’élections, lorsqu’il y a des bruits de remaniement ministériel, ou à l’approche de grands combats de lutte sénégalaise. L’année dernière, Eumeu Sène, un célèbre lutteur, avait accusé, en direct sur un plateau de télévision, son adversaire d’avoir envoyé des individus profaner la tombe de sa mère afin de pouvoir l’atteindre mystiquement.
Pour tout dire, s’il s’est gouré sur sa tentative d’explication de la récente série de meurtres au Sénégal, évoquant des crimes rituels, le président du Cercle des intellectuels soufis avait, au moins, raison sur un point. Les esprits des Sénégalais sont de plus en plus gagnés par le fétichisme. Et pour ces Rastignac politiques, ces «courtisans du pouvoir qui s’étripent derrière des mandats électifs», la profanation de cimetières n’est qu’un moyen pour atteindre leur but. A tout prix.