Boukary Pagmokgda, surnommé le «maire des cimetières», travaille depuis 14 ans à nettoyer et sécuriser le site de Nagrin, dans le sud de la capitale burkinabè.
Ce quinquagénaire au visage buriné et à la voix râpeuse n’a pas les atours d’un croquemort. Le verbe haut et l’humeur joyeuse, il est fier de faire visiter l’œuvre de sa vie.
«J’ai enterré mon petit frère ici il y a 14 ans. J’ai commencé à creuser, je voyais que c’était vraiment pas facile, il y avait trop de mauvaises herbes. J’ai commencé à faire le nettoyage dans les cimetières de Nagrin, de Kamboisin, de Tenga, et finalement je me suis arrêté à Nagrin pour faire mon travail», raconte-t-il.
Désormais, le cimetière de Nagrin est l’un des plus propres de la capitale: pas une mauvaise herbe à l’horizon, des toilettes gratuites, une fontaine pour les ablutions, un service de corbillards et un plan détaillé affiché à l’entrée.
«Quand vous faites tous les cimetières, c’est Nagrin qui est numéro 1 propreté!», assure M. Pagmokgda, qui ne vit que de donations des proches des défunts.
«La mairie, depuis 14 ans, ils me regardent ! Ils me donnent pas de pelle ou de brouette, ils me regardent comme ça», déplore t-il avec un haussement d’épaules.
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«La responsabilité de la gestion des cimetières revient à la municipalité, mais pour l’heure, il n’y a pas de ligne budgétaire spécifiquement consacrée à leur gestion, qui est laissée au privé. Les cimetières sont les oubliés de la gouvernance urbaine», souligne le docteur Assonsi Soma, chercheur à l’université de Ouagadougou et auteur d’une étude sur le sujet.
Saturés, insalubres, dangereux, la majorité des 21 cimetières de Ouagadougou sont dans un état qui écoeure les habitants.
Dans le cimetière de Dagnoen, en plein centre-ville, plus personne ne veille sur les défunts. Une nuit, des malfrats ont ligoté le vigile qui troublait leurs activités, et sa guérite est désormais béante.
Sacrifices
En l’absence de gardiens, les cimetières sont devenus des refuges pour les délinquants. Des braqueurs, mais également des individus qui s’y introduisent la nuit pour sacrifier des animaux sur les tombes, et parfois en exhumer le contenu à des fins rituelles.
«Les gens font cela pour obtenir une protection, ou honorer un engagement pris quelque part», explique le docteur Assonsi Soma. «C’est un phénomène courant, très mal vu par la société (…) Mais certains osent quand même, à cause des exigences des marabouts, ils n’ont pas d’autre choix que de prendre le risque», détaille le chercheur.
«Si tu viens ici pour faire des sacrifices, je prends les images et j’envoie ça sur les réseaux sociaux, tout le monde va voir ça», prévient Boukary Pagmokgda.
«Ils m’ont déjà menacé ! Mais maintenant ils ont fui, ils ont peur des réseaux sociaux !» se félicite-t-il.
Ce vendredi, les habitants du quartier sont venus assister à l’enterrement d’une voisine. Et autour de la sépulture, les efforts du «maire» et le retour de la sécurité sont globalement appréciés.
«Avant, ici, ce n’était pas clôturé, il y avait pas mal de criminalité. Si vous allez dans d’autres cimetières ce n’est pas entretenu comme ça», souligne Gaël, ouvrier dans le bâtiment.
Le travail de Boukary Pagmokgda lui a toutefois attiré la méfiance d’une partie de la population. «Avant on m’appelait le fou. Les gens me fuient ! Pour eux, quelqu’un qui s’occupe d’un cimetière, c’est pas une bonne personne», explique t-il.
Mais le «maire» se moque des critiques: «Ce travail, ça me plaît beaucoup. J’aime la propreté. Même si tu gagne des milliards, si ta salle de bain ou ta voiture sont climatisées, tu vas finir ici. Donc, ce n’est pas mieux qu’on commence à faire le nettoyage ?»