Abidjan: «Avant, on ne voyait pas ça», des suicides à répétition inquiètent et brisent un tabou

AFP or licensors

Le 18/08/2024 à 10h45

VidéoC’est un phénomène inquiétant qui se multiplie à Abidjan depuis quelque temps. Les suicides et tentatives de suicide deviennent fréquents, constate-t-on dans la capitale ivoirienne. Qu’est ce qui explique la recrudescence de ces suicides dans ce pays où la croissance économique semble être au beau fixe, s’interrogent de nombreux Ivoiriens.

Il y a quelques semaines, un gendarme s’était jeté par-dessus bord de l’un des ponts reliant les communes du Plateau de Treichville. Le lendemain, c’est un étudiant de Port-Bouët II qui s’est donné la mort en sautant du troisième étage d’un bâtiment de sa cité universitaire.

Ces nouvelles effroyables continuait de défrayer la chronique quand d’autre cas similaires, non confirmés pour certains, furent signalés notamment celui d’une dame qui s’est jetée du pont De Gaulle. Un douanier s’était également donné la mort et la liste pourrait continuer. Un phénomène à répétition qui a fait les titres de la presse ivoirienne.

Vers la fin de l’année 2023, les suicides se signalaient beaucoup plus dans les rangs des étudiants et élèves. Cette fois, le phénomène est devenu plus fréquents chez les fonctionnaires.

«Nous sommes très inquiets face à cette montée des cas de suicides à Abidjan. Tout le monde se demande pourquoi une telle recrudescence. Je pense que peu importent les problèmes qu’on pourrait traverser, car ce n’est pas une raison pour se donner la mort. La vie est sacrée. On meurt à la fin de la vie…», s’irrite Eunice Oula, étudiante.

Qu’est-ce qui peut bien expliquer cette propension de certains à vouloir s’ôter la vie en se jetant dans la lagune Ebrié ou encore du balcon d’un immeuble? Pourquoi tant de cas de suicides?

Ces interrogations alimentent les spéculations sur le sujet dans les différents milieux. Certains évoquent les difficultés sociales qui assaillent les Ivoiriens. D’autres par contre, imputent la situation à des problèmes de relation sentimentale.

«Je me demande qu’est ce qui les pousse à se tuer. Avant, on ne voyait pas ça», s’étonne Sylvain Omer, un mécanicien à Yopougon.

Le constat est que le phénomène commence à inquiéter, à toucher le moral des populations. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a financé une étude de prévalence effectuée par le Programme national de santé mentale, en 2022. Celle-ci a recensé 418 suicides et 927 tentatives entre 2019 et 2021. Selon une autre étude menée par l’unité de médecine légale du CHU de Treichville, sur la période 2013-2020, la Côte d’Ivoire comptabiliserait 23 cas de suicides par an. Un chiffre qui la placerait au troisième rang en Afrique.

Les psychologues recommandent «le renforcement des services de santé mentale, notamment accroître l’accès aux soins psychologiques et psychiatriques pour mieux soutenir les personnes en détresse, lancer des campagnes pour sensibiliser le public aux troubles mentaux et réduire la stigmatisation associée».

A côté de cela, «il faut développer des programmes communautaires pour identifier et aider les personnes en crise avant qu’elles ne commettent l’irréparable. Il faudrait également mettre en place des politiques visant à améliorer les conditions de vie et offrir des opportunités d’emploi pour réduire le stress financier et social. Enfin, il faut introduire des programmes de prévention du suicide dans les écoles et universités pour éduquer les jeunes sur la santé mentale», suggère Zanto Zakpa, professeur d’économie.

Ce qui est certain, c’est que la recrudescence actuelle des cas de suicides est le signe révélateur d’une population en souffrance.

En attendant que des réponses claires soient trouvées à cette gangrène, d’aucuns demandent à l’Etat de se pencher sur la situation des jeunes en leur créant plus d’emplois. Enfin, faut-il associer à ces actions la prise en charge des personnes en situation de dépression.

Par Emmanuel Djidja (Abidjan, correspondance)
Le 18/08/2024 à 10h45