Depuis quatre mois, deux généraux se disputent le pouvoir à Khartoum. Et dans ce pays de 48 millions d’habitants, où les arsenaux ont gonflé au fil de décennies de rébellions, guerres et trafics en tout genre, le prix des armes s’est envolé.
Dans un grand rire, Wad al-Daou, le nom d’emprunt que s’est choisi ce trafiquant de 63 ans, confirme à l’AFP: «on nous réclame tellement d’armes qu’on ne peut plus répondre à toutes les commandes».
Les autorités loyales au général Abdel Fattah al-Burhane, qui dirige l’armée, elles aussi, ont constaté le phénomène: régulièrement, elles affirment saisir des armes «sophistiquées».
Le 10 août, l’agence officielle Suna rapportait même des échanges de tirs entre militaires et trafiquants à bord de deux pick-ups chargés d’armes à Kassala, grande ville de l’Est.
Selon Suna, ces armes étaient en route vers Khartoum et les troupes des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, en guerre contre l’armée depuis avril.
4X4 flambant neuf
En quatre mois de guerre, «il y a eu trois saisies importantes: une au sud du port de Souakin sur la mer Rouge, une autre près de Kassala» et celle du 10 août, indique à l’AFP un responsable des services de sécurité, sous couvert d’anonymat. «Sans compter toutes les autres saisies plus modestes».
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Si les saisies sont plus nombreuses, c’est parce que les convois le sont aussi, affirme Wad al-Daou.
«Avant, on recevait une cargaison tous les trois mois, maintenant c’est toutes les deux semaines environ», assure-t-il.
Fin 2022, la Commission gouvernementale en charge de la collecte des armes estimait que «cinq millions d’armes étaient aux mains de citoyens, sans compter celles des groupes rebelles du Darfour, du Kordofan-Sud et du Nil Bleu», des Etats du Sud et de l’Ouest du pays où les affrontements entre rebelles, civils et militaires sont fréquents.
Aujourd’hui, assure Salah, qui parle lui aussi sous pseudonyme, le marché des armes est «florissant». Et on y voit «plein de nouvelles têtes», assure le trafiquant qui arrive dans un 4X4 flambant neuf.
Car si la guerre a commencé entre les deux généraux, des combattants de tous bords se sont depuis jetés dans la bataille. Des tribus, groupes rebelles ou comités de défense ethniques ou locaux se sont armés.
Russes, américains, israéliens, iraniens
Il y a quelques jours, une tribu de l’Est a ainsi fait poser des centaines de ses membres, mitrailleuses ou Kalashnikovs en main, dans une vidéo où elle affirmait soutenir l’armée.
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Mais pour une telle démonstration de force, il faut de l’argent car aujourd’hui, aux confins du Soudan, de l’Ethiopie et de l’Erythrée, «on vend la Kalashnikov à 1.500 dollars», rapporte Salah, «contre 850 avant la guerre».
D’autres modèles sont disponibles: un M-16 américain coûte 8.500 dollars, le modèle israélien 10.000 dollars, détaille-t-il. Il y a aussi «quelques fusils iraniens».
D’où vient sa marchandise? «Les mitrailleuses et les fusils d’assaut, notamment israéliens qui sont les plus demandés, viennent de la mer Rouge», dit-il, sans plus de détails.
Selon le responsable de la sécurité, les armes et la drogue qui arrivent au Soudan viennent de ce bras de mer entre l’Afrique et le Golfe.
«Des trafiquants profitent de la guerre au Yémen et d’autres de la situation en Somalie pour faire passer des armes dans le sud de la mer Rouge», explique-t-il. «Grâce à des réseaux internationaux de trafic, leur capacité d’action est énorme».
Rebelles et groupes armés
Au Soudan, tout se passe principalement au sud de Toukar, proche de l’Erythrée, assure-t-il.
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Là, les trafiquants profitent «d’une faible présence sécuritaire» le long de la frontière avec l’Erythrée, utilisent «de petits ports isolés et bénéficient de la géographie très accidentée» qu’eux seuls peuvent parcourir avec leurs pick-ups neufs, poursuit ce responsable.
En outre, «la zone frontalière a toujours été un carrefour de vente d’armes du fait de la présence de groupes armés éthiopiens et érythréens en guerre contre leur gouvernement», ajoute-t-il.
Une fois au Soudan, les armes convergent vers la région d’al-Batana, peu peuplée, entre l’Atbara, un affluent du Nil, et le Nil Bleu.
C’est là que Wad al-Daou dit vendre ses cargaisons. Mais à qui?
A des agriculteurs ou des éleveurs d’al-Batana «dans des régions isolées où il y a peu de forces de sécurité et qui veulent se protéger, surtout depuis que la guerre a éclaté», assure-t-il.
Les responsables gouvernementaux assurent que les armes saisies dans l’Est étaient destinées aux FSR.
Un responsable des FSR dément. «Nous sommes une force régulière» -les FSR ont été intégrées à l’Etat soudanais en 2013- «nos sources d’armement sont connues et nous ne traitons pas avec des trafiquants», dit-il à l’AFP, sous couvert d’anonymat.
Salah, lui, ne s’encombre pas de détails. «On vend nos armes à des gens à al-Batana. On ne leur demande pas ce qu’ils vont en faire après».