«C’est une catastrophe, dans tous les sens du terme et sous tous ses aspects», affirme Ahmed Al-Mandhari, directeur régional de l’OMS pour la Méditerranée orientale basé au Caire.
Les hôpitaux et dispensaires du pays, l’un des plus pauvres au monde, ont été pour beaucoup bombardés, occupés par des belligérants ou n’ont aujourd’hui plus de personnel ou de stocks, ne cessent de répéter les médecins soudanais depuis le 15 avril.
Ce jour-là, l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane et les paramilitaires des Forces de soutien rapides (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, sont entrés en guerre pour le pouvoir. Les combats, surtout à Khartoum et au Darfour, ont fait plus de 500 morts et près de 5.000 blessés selon les chiffres officiels, largement sous-évalués.
Déjà avant ce conflit, dans un pays sous embargo pendant deux décennies, «le système de santé était confronté à de multiples crises, avec des infrastructures extrêmement fragiles», souligne M. Mandhari.
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Aujourd’hui, alors que de très nombreux médecins soudanais s’illustrent dans les hôpitaux du monde entier, «il y a une vraie pénurie de personnel, surtout de spécialistes comme les chirurgiens et les anesthésistes».
Hôpitaux attaqués
Cette pénurie ne pouvait pas plus mal tomber, fait remarquer le responsable onusien, alors que la malaria fait chaque année des ravages à la saison des pluies qui approche, et que le choléra pourrait exploser en raison du manque d’eau potable.
Le matériel médical manque et les bombardements ont déjà détruit une quinzaine d’hôpitaux. Résultat selon M. Mandhari: «seuls 16% des hôpitaux de Khartoum opèrent à pleine capacité».
Alors que le drame humanitaire empire, l’ONU a suspendu ses activités au Soudan après la mort de cinq humanitaires. Et Médecins sans frontières (MSF), l’une des dernières ONG présente au Darfour ravagé dans les années 2000 par une très sanglante guerre, a été forcée d’arrêter la quasi-totalité de ses activités.
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En raison du chaos et de l’exode massif des humanitaires étrangers, l’aide ne pourra plus parvenir aux 16 millions de Soudanais censés en bénéficier, soit un tiers de la population.
Déjà, fin 2021, la communauté internationale avait suspendu la totalité de son aide -deux milliards de dollars annuels- en rétorsion au putsch mené alors de concert par les généraux aujourd’hui en guerre. Alors, l’Etat soudanais avait perdu 40% de son budget et la faim avait bondi.
En 2022 déjà, les chiffres de l’ONU étaient sans appel: alors, un Soudanais sur trois doit marcher plus d’une heure pour trouver un établissement médical, où généralement moins de 30% des médicaments essentiels étaient disponibles.
Exil des médecins
Particulièrement touchés, près de quatre millions de femmes enceintes et 50.000 enfants souffrant de malnutrition aiguë ne recevront plus de soin urgent.
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Trois millions de femmes et de fillettes sont déjà exposées aux violences sexuelles ou sexistes, rappelle l’OMS. Et les enfants sont particulièrement victimes de «souffrances psychologiques» dues au déplacement, à l’insécurité et aux combats -auxquels participeraient désormais des civils au Darfour, selon l’ONU.
Avant la guerre, «le système de santé avait déjà besoin de centaines de millions de dollars», rappelle M. Mandhari.
«L’ONU avait lancé un appel pour soutenir le Soudan au plan humanitaire, notamment dans le domaine de la santé, à hauteur d’environ 1,7 milliard de dollars pour 2023», assure-t-il.
Mais «seuls 13% ont été réunis». Alors que les besoins, insiste-t-il, sont encore plus grands depuis la guerre.
Alors que le pays manque de tout, nombre de médecins rejoignent les rangs des dizaines de milliers de Soudanais sur la route de l’exil pour échapper aux violences.
Le Royaume-Uni, par exemple, a fait une seule dérogation à sa règle de n’évacuer que ses ressortissants. Les avions affrétés par Londres sont repartis avec une vingtaine de Soudanais: des médecins employés dans les hôpitaux publics britanniques.
Pour Ahmed Al-Mandhari, «c’est une véritable fuite des cerveaux et du personnel de santé formé».