Les grandes vacances au Gabon résonnent d’un rythme profondément ancré dans la tradition, celui des cérémonies de «retrait de deuil». Sur tout le territoire, ce moment de la vie sociale et spirituelle transforme la douleur de la perte en célébration de la vie.
Oubliés les larmes et le chagrin. Le retrait de deuil est un temps festif dédié aux meilleurs souvenirs du défunt et à exprimer une profonde gratitude envers ceux qui ont soutenu la famille durant les obsèques. C’est aussi l’occasion pour ceux qui n’ont pu manifester leur compassion à temps de rejoindre le cercle familial et communautaire. En présence des parents, amis et connaissances, on cesse de vénérer l’être disparu à travers des danses et une grande fête et un ultime recueillement collectif.
Cette cérémonie dépasse largement le cadre de simples retrouvailles. Elle constitue une véritable communion spirituelle, célébrant la libération de l’esprit du défunt, désormais affranchi de sa «carapace charnelle».
D’un point de vue sociologique, c’est un moment charnière car on y dresse le bilan de la vie terrestre du disparu, on détermine les orientations essentielles de sa succession, et recadre l’organisation de la famille ébranlée par la perte, statuant tant sur le sort des biens que sur celui des personnes.
L’art joue un rôle central dans cette célébration. Les groupes socio-culturels, très sollicités, apportent énergie et talent. À l’arrière-cour d’un temple du Kilomètre 12 à Libreville, Jeanne Nkene et ses danseuses du groupe «La Différence» se préparent ainsi à illuminer un retrait de deuil familial. Le rituel commence par une préparation sacrée celle sz l’application d’un maquillage au kaolin blanc. «Ce maquillage est digne d’une femme très belle et charmante», explique Jeanne, décrivant également les types de costmes «une tenue ballet entre filles et une tenue de ballet filles-garçons».
La magie de «La Différence » repose aussi sur la chorégraphie de Thérence Jonas Mba, également batteur principal. Son talent découle d’une initiation spirituelle: «tout jeune je suis tombé malade et c’est en m’initiant au rite ancestral que j’ai eu le don de batteur le tam-tam». Pour lui, tout est avant tout spirituel, ce qui implique des règles strictes avant les prestations «à la veille, les artistes sont mis en casernement. Il nous est par exemple interdit d’avoir des rapports avec nos partenaires».
Ce soir-là, comme pour tant d’autres retraits de deuil, le groupe interprète le Mbatoua. Cette danse se caractérise par des mouvements précis des épaules et des pieds, accompagnée par le son grave d’un très gros tam-tam, frappé sur l’avant pour un rythme lent et mesuré.
Laura Akare Ntoutoume, doyenne du groupe, souligne l’évolution de cette tradition. Avec le temps, cette tradition s’est assouplie, permettant ainsi aux femmes de s’y intégrer «nous sommes un groupe tradi-moderne. Moi par exemple je ne suis pas initiée mais mes sœurs dans le groupe le sont et nous sommes un parfait modèle de maillage de différentes cultures du Gabon».
Forts de 20 ans d’expérience et sollicités pour les retraits de deuil, les mariages et les anniversaires, «La Différence» s’appuie sur une organisation structurée. Vanessa Tatiana Assengone, présidente du Fan Club, en est un maillon essentiel: «Le rôle du fan club, c’est d’accompagner et d’encourager le groupe en pleine prestation», explique-t-elle, prête à haranguer les artistes comme à chaque performance.
Le retrait de deuil au Gabon est bien plus qu’une tradition; c’est un pilier fondamental de l’identité culturelle et spirituelle du pays. Il incarne la résilience d’un peuple qui transforme la douleur en célébration de la vie, qui honore ses ancêtres dans la joie et la danse, et qui perpétue, à travers des rituels ancestraux en constante évolution comme le Mbatoua, un patrimoine immatériel d’une richesse inestimable.
Des maquillages sacrés au kaolin aux rythmes profonds du tam-tam, en passant par la communion familiale et sociale qu’il génère, ce rite témoigne de la profondeur des valeurs gabonaises, tissant un lien indéfectible entre le passé, le présent et l’avenir des communautés.