Alors que les stigmates de l’invasion printanière de criquets pèlerins dans la région d’Al Haouz (Maroc) et au-delà sont encore prégnants, la note d’information du 19 août 2025 de la FAO, intitulée «Prévisions saisonnières des précipitations dans les zones de reproduction estivale/hivernale du criquet pèlerin (septembre 2025 – février 2026)», tombe à point nommé.
La FAO s’appuie sur neuf modèles climatiques sophistiqués pour dessiner un tableau globalement inquiétant des risques d’invasion dans plusieurs foyers africains.
Rappelons que l’année 2025 restera marquée par une activité acridienne notable et récurrente en Afrique du Nord-Ouest et au Sahel. Des pays comme le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, le Niger et le Tchad ont subi des dégâts importants aux cultures et pâturages, déclenchant des alertes élevées de la FAO et une mobilisation massive de lutte. Cette situation, qualifiée de redoutable et aggravée par des conditions climatiques favorables, a mis en péril la sécurité alimentaire locale et l’économie agricole régionale.
La note du 19 août confirme que cette menace est loin d’être éradiquée et que les conditions climatiques à venir joueront un rôle déterminant dans son évolution.
L’analyse de ce document révèle une menace complexe et évolutive pour l’Afrique, particulièrement dans les régions déjà frappées au printemps, nécessitant une vigilance et une action coordonnées sans relâche.
Les pertes économiques causées par les invasions de criquets pèlerins en Afrique de l’Est et au Yémen entre 2019 et 2020 ont été évaluées à environ 8,5 milliards de dollars américains, par la Banque mondiale. Ce qui correspond à près de 5% du PIB de la région, prenant en compte l’Éthiopie, le Kenya, la Somalie, l’Ouganda et le Yémen. Une estimation qui inclut les pertes agricoles directement liées aux cultures détruites, les impacts secondaires sur l’élevage, ainsi que les coûts de contrôle et de gestion.
Un essaim de criquets pèlerins remplit le ciel près d'une ferme en Mauritanie.
Une menace en deux temps
La région occidentale, englobant le Sahel et l’Afrique du Nord-Ouest (Niger, Tchad, Mali, Mauritanie, Algérie, Libye), fait face à une menace acridienne structurée en deux phases distinctes et potentiellement dévastatrices, comme le détaillent les prévisions de la FAO. La première phase, immédiate et critique, concerne le mois de septembre 2025. Des précipitations supérieures à la normale sont fermement attendues au Tchad, au Niger et dans le sud de la Libye. Des conditions humides qui prolongent directement la saison de reproduction estivale déjà intense de l’insecte, risquant d’accroître significativement les populations de criquets avant tout changement saisonnier.
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La FAO souligne que «des groupes d’adultes peuvent déjà être présents et se reproduire dans diverses parties du nord du Sahel et du sud du Sahara», et confirme par ses modèles sub-saisonniers des pluies persistantes jusqu’à fin août ainsi que des pluies abondantes sont attendues fin août/début septembre dans le sud de l’Algérie, le Tchad, le sud de la Libye, le Mali et le Niger, accompagnées d’une humidité supérieure en Mauritanie début septembre.
La reproduction «se poursuivra dans des conditions favorables au moins jusqu’à la fin septembre», prolongeant la fenêtre de risque actuelle et augmentant la pression sur les écosystèmes agricoles et pastoraux déjà fragilisés par l’invasion printanière.
En parallèle, une seconde phase émerge à plus long terme, constituant le risque hivernal (décembre 2025– février 2026). Après une période d’assèchement prévue en octobre-novembre («conditions plus sèches que la normale»), marquée par un dipôle négatif de l’océan Indien (IOD)– bien que celui-ci puisse s’affaiblir en novembre–, un renversement de la tendance sèche pourrait survenir en décembre.
La FAO met expressément en garde contre les implications acridiennes de ce scénario. «Les pluies de décembre devront être confirmées, mais elles pourraient poser un risque d’augmentation des flambées». Ce retour précoce des pluies en plein hiver ouvre la porte à une reproduction inhabituelle à cette saison dans des zones normalement moins propices, créant potentiellement les conditions pour la genèse de nouveaux essaims dès la fin de l’hiver ou le début du printemps 2026 si l’humidité persiste. Un risque hivernal précoce qui représente ainsi une menace différée mais potentiellement tout aussi grave que la phase estivale en cours.
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Face à cette séquence climatique prévue – prolongation des conditions favorables en septembre suivie d’un risque de renaissance précoce en décembre –, la vigilance et les capacités d’intervention doivent être maintenues bien au-delà de la fin de l’été pour l’ensemble des pays de la région occidentale.
Double exposition de l’Afrique du Nord
L’Afrique du Nord, représentée par l’Algérie, la Libye et l’Égypte, subit une double pression acridienne en raison de son positionnement géographique transfrontalier. Le sud algérien et le sud libyen sont intrinsèquement liés à la dynamique sahélienne (région occidentale), suivant une séquence climatique préoccupante. Des pluies abondantes sont attendues fin août/début septembre, prolongeant les conditions favorables à la reproduction estivale des criquets déjà signalée au printemps 2025.
Cette humidité initiale sera suivie d’un assèchement transitoire en octobre-novembre, avant un retour potentiel de précipitations supérieures à la normale dès décembre 2025, persistant potentiellement en janvier-février 2026. Un schéma qui crée un risque de reproduction prolongée en septembre, puis une résurgence hivernale précoce dans ces zones désertiques et semi-désertiques, où la végétation éphémère pourrait offrir des niches de ponte inattendues.
L’Égypte, quant à elle, s’inscrit principalement dans la logique de la Région Centrale (Mer Rouge). Des pluies supérieures à la normale sont prévues en septembre 2025, notamment dans le sud du pays, maintenant un risque estival similaire à celui du Soudan voisin. Après une période de répit relatif avec des conditions plus sèches, un retour significatif des précipitations est anticipé en décembre dans le sud égyptien, susceptibles de persister jusqu’en janvier-février 2026. Cette humidité hivernale ciblée favorisera spécifiquement la reproduction des criquets le long de la côte de la mer Rouge à partir de décembre, un corridor biologique critique où les essaims pourraient trouver des conditions idéales pour leur développement avant une éventuelle remontée vers le nord.
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Des risques qui exposent l’Afrique du Nord à un continuum de menaces. Alors que l’Algérie et la Libye doivent anticiper une interaction complexe entre les cycles estivaux sahéliens et des foyers hivernaux naissants, l’Égypte voit converger les risques résiduels de la Corne de l’Afrique et les dynamiques côtières de la mer Rouge, nécessitant des stratégies de surveillance différenciées mais coordonnées.
Transition du risque estival au risque côtier dans la Corne de l’Afrique
La région centrale, englobant la Corne de l’Afrique et les zones riveraines de la mer Rouge (Soudan, Érythrée, Djibouti, Nord de l’Éthiopie/Somalie, Égypte), présente une dynamique acridienne marquée par une transition spatiale et temporelle critique. Dès septembre 2025, la menace estivale atteint son apogée avec des «précipitations supérieures à la normale, probables dans toute la région», incluant spécifiquement l’Égypte, le nord du Soudan, l’Érythrée, Djibouti et le nord-est de l’Éthiopie. Des conditions qui soutiennent activement une «reproduction estivale qui a probablement déjà commencé et devrait se poursuivre dans l’intérieur du Soudan».
La FAO précise qu’une «reproduction à petite échelle» est également attendue en Érythrée et dans l’intérieur du Yémen, avec une extension potentielle au sud de l’Égypte d’ici septembre. Cette intensification est corroborée par les prévisions sub-saisonnières, qui confirment des précipitations supérieures à la moyenne jusqu’à fin août et des pluies abondantes possibles fin août dans le nord du Soudan, l’Érythrée, Djibouti, le nord de la Somalie et le nord-est de l’Éthiopie, créant un terreau fertile pour l’explosion démographique des criquets.
Cependant, un basculement géographique significatif se profile pour l’hiver 2025-2026 (décembre-février). Après une période d’assèchement régional et de conditions plus sèches que la normale en octobre-novembre, un retour d’humidité est anticipé. Des précipitations supérieures à la normale pourraient revenir en décembre dans le sud de l’Égypte, le nord du Soudan et le long de la côte nord de la mer Rouge en Arabie Saoudite, des conditions susceptibles de continuer en janvier et février dans ces mêmes zones.
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Ce changement climatique induit une mutation radicale du risque acridien. Si l’activité de reproduction peut diminuer en octobre et novembre, elle pourrait augmenter à nouveau de décembre à février le long des côtes de la mer Rouge au Soudan, en Égypte et en Arabie Saoudite. Ce déplacement des foyers de reproduction de l’intérieur des terres vers les zones côtières suit un schéma épidémiologique classique mais particulièrement dangereux, car il concentre la menace sur des corridors écologiques étroits et stratégiques, exigeant une surveillance ciblée et des interventions rapides pour contenir la formation d’essaims avant leur dispersion. Une dualité saisonnière – persistance du danger estival suivi d’une résurgence hivernale côtière – qui souligne la nécessité d’une vigilance adaptative dans la région.
Nécessité de vigilance et d’action renforcées
La FAO elle-même a signalé une double intensification des opérations de lutte entre mars et avril 2025. La note du 19 août constitue un appel implicite à ne pas relâcher cet effort. Les opérations de surveillance doivent être maintenues et adaptées aux zones identifiées comme à risque persistant (Sahel jusqu’à fin septembre) ou émergent (zones de reproduction hivernale potentielles dès décembre). Les dispositifs d’urgence, incluant traitements aériens et terrestres, doivent être prêts à être réactivés rapidement. La coopération transfrontalière est plus que jamais indispensable, les essaims ne connaissant pas les frontières.
Ainsi, la note d’information du 19 août 2025 de la FAO est un document crucial qui, loin de clore le chapitre de l’invasion acridienne de 2025, en dessine la prolongation potentielle et les contours futurs.
Vue que les conditions climatiques annoncées par la FAO créent un terreau idéal pour la pérennisation du cycle acridien, l’accalmie relative d’octobre-novembre dans certaines zones n’est qu’une trêve trompeuse. Elle doit impérativement être mise à profit pour préparer la riposte contre la menace hivernale naissante qui pointe dès décembre, faute de quoi les drames économiques et alimentaires du printemps 2025 pourraient n’être qu’un prélude.
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La vigilance, la coordination internationale et les moyens de lutte devraient être maintenus au plus haut niveau face à cette menace biologique amplifiée par la variabilité climatique.
Criquets pèlerins: Double menace estivale et hivernale en Afrique du Nord et au Sahel
Pays/Région | Risque immédiat (Sept. 2025) | Risque à moyen terme (Déc. 2025 – Fév. 2026) | Menaces spécifiques |
---|---|---|---|
Sahel Occidental | Pluies > normales (Tchad, Niger, Sud Libye, Mali) | Retour pluies > normales en décembre | Prolongation reproduction estivale → essaims plus nombreux. Risque de renaissance hivernale précoce dans zones désertiques. |
Algérie | Pluies abondantes (Sud) | Retour pluies > normales en décembre | Double exposition : lien avec dynamique sahélienne + foyers hivernaux naissants. |
Libye | Pluies abondantes (Sud) | Retour pluies > normales en décembre | Interaction cycles sahéliens et reproduction hivernale dans zones semi-désertiques. |
Égypte | Pluies > normales (Sud) | Pluies persistantes (Sud et côte Mer Rouge) | Convergence risques Corne de l’Afrique + reproduction côtière hivernale (Mer Rouge). |
Tchad | Pluies > normales prolongeant reproduction | Risque de pluies précoces en décembre | Pression accrue sur écosystèmes fragilisés. Augmentation populations avant saison sèche. |
Niger | Pluies > normales prolongeant reproduction | Risque de pluies précoces en décembre | Menace pour cultures/pâturages déjà endommagés. |
Mauritanie | Humidité supérieure (début sept.) | Conditions incertaines | Pression sur zones pastorales. |
Corne de l’Afrique | Pluies > normales (Soudan, Érythrée, Djibouti, Nord Éthiopie/Somalie) | Déplacement vers côtes Mer Rouge (déc.-fév.) | Transition reproduction intérieure → zones côtières. Risque de concentration dans corridors écologiques. |
Source: FAO Locust.