L’association les représentant, l’AESAT, a recensé ces dernières semaines au moins 100 rapatriements en urgence, notamment au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Niger, par les ambassades et des familles affolées.
«Ils sont partis à cause de la vague de racisme, des arrestations arbitraires et de nombreux cas d’expulsions» de leurs logements, explique à l’AFP Christian Kwongang, le président de l’AESAT, qui a répertorié «plus de 400 interpellations et plus de 20 agressions physiques dont une dizaine à l’arme blanche».
Selon cet étudiant camerounais, aucune attaque physique n’a été signalée depuis le 7 mars, même si des «agressions verbales» persistent.
Les vexations ont décuplé après un discours le 21 février du président Saied qui dénonçait l’arrivée en Tunisie de «hordes de migrants» clandestins d’Afrique subsaharienne et un complot «pour changer la composition démographique» du pays.
A l’instar de bon nombre de migrants, des étudiants subsahariens en Tunisie (ce pays en comptait 8.200 en 2021) se sont retrouvés à la rue même s’ils étaient en règle, en raison d’un durcissement des contrôles sur les contrats de location. D’autres ont été victimes de ce que des témoins ont qualifié de «chasse aux Noirs» menée par des «milices».
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«Nous on vit en symbiose et le sentiment de peur était envahissant», souligne Kwongang. L’AESAT a donné rapidement pour consigne de cesser d’aller en cours et de ne sortir qu’en cas d’urgence. «On a eu des parents en larmes qui nous appelaient, inquiets pour leurs enfants interpellés, certains détenus jusqu’à deux semaines».
Depuis le 6 mars, les étudiants subsahariens ont repris le chemin des universités.
Beaucoup d’établissements ont pris des dispositions pour les protéger: cellules de crise, transport en bus, accompagnement par leurs camarades tunisiens dans tout déplacement.
«Une catastrophe»
«Une catastrophe pour la Tunisie qui a toujours été une terre d’accueil»: le directeur général de l’université privée Esprit, Tahar Ben Lakhdar, 83 ans, ne décolère pas depuis le discours du président, «une énorme bavure qui n’avait aucune raison d’être, car quels sont les pays qui n’ont pas d’étrangers en situation irrégulière?».
Dès le lendemain, Esprit, une université réputée en ingénierie et gestion, qui accueille 350 jeunes subsahariens sur 14.000 étudiants, a instauré «une plateforme où chaque étudiant qui a un problème peut le signaler avec aussi des avocats dédiés».
Le ministère de l’Enseignement supérieur s’est mobilisé, via «une cellule d’écoute et des points de contact dans chaque établissement pour faire remonter l’information», explique à l’AFP son directeur de la coopération internationale, Malek Kochlef.
Selon lui, «il y a eu quelques agressions fort condamnables mais il s’est agi d’actes isolés».
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Cette situation a amené les autorités à accélérer certaines décisions comme l’octroi plus facile de cartes de séjour et la création d’une Agence pour l’accueil des étudiants étrangers, dit-il.
Les étudiants subsahariens représentent «dans le privé l’écrasante majorité des élèves (étrangers) et dans le public une proportion importante», note Kochlef, évoquant un contingent d’étudiants étrangers, essentiellement des Africains, ayant quintuplé depuis 2011.
«Un eldorado»
Jusqu’ici, «la Tunisie était un eldorado, une terre accueillante avec un excellent système éducatif», confirme un étudiant ivoirien, Paul André Moa. Même avec une scolarité démarrant à 3.000 euros par an pour les étrangers, elle offre des conditions bien plus avantageuses que l’Europe en termes de coût de la vie et de visas.
Après des mesures annoncées pour les rassurer, les responsables de l’AESAT se disent aujourd’hui attentistes.
«On n’est pas des enfants, on attend de voir des choses concrètes par exemple pour l’octroi de cartes de séjour», souligne Kwongang, évoquant des policiers qui «font tourner les étudiants en rond», en «demandant un jour un document, le lendemain un autre».
Pour lui, la réputation de la Tunisie est «fortement endommagée», avec beaucoup d’étudiants qui veulent poursuivre leurs cursus «ailleurs, en Europe ou au Canada» et le risque «de voir le nombre d’inscriptions diminuer pour l’année 2023/24».