Libreville: à Plaine-Orety, l’angoisse de nouvelles expulsions plane sur un paysage de ruines

Des terrains vagues après les déguerpissements à Libreville.

Le 18/10/2025 à 14h06

VidéoQuatre mois après une première démolition controversée, le secteur de Plaine-Orety et de Derrière l’Assemblée nationale vit dans l’incertitude. Alors que le gouvernement promet de nouvelles infrastructures, les habitants non encore relogés prennent leur mal en patience.

Sur le site paysage n’est que ruines et désolation. Les traces des bulldozers sont encore fraîches, les décombres s’étendent à perte de vue, tel un champ de bataille. En juin dernier, la destruction de centaines d’habitations et de commerces à Plaine-Orety pour faire place au «Boulevard de la Transition» et à une future cité administrative avait provoqué une vive polémique, laissant des familles entières à la rue en pleine année scolaire. Aujourd’hui, le spectre d’une nouvelle vague de déguerpissements plane sur les dizaines de familles qui résistent encore dans le secteur.

«On vit dans la psychose» confie Thierry Moundzanga, habitant de Plaine-Orety. «Jusqu’alors on n’a pas de communication. La première zone a été cassée, on attend. Parce qu’on ne sait pas ce que le gouvernement nous réserve.»

Ce sentiment d’être laissé dans le flou est partagé par beaucoup, qui observent, impuissants, l’immobilisme apparent sur le site.

Parmi les victimes de la première opération, Bayonne Mavoungou a trouvé refuge chez un membre de sa famille. En attendant une aide de l’État qui se fait désirer, elle porte un regard critique sur la méthode employée. «On n’arrête pas le progrès, mais Paris ne s’est pas construit en un jour» souligne-t-elle. «On aurait dû au préalable commencer par construire ailleurs, où il y a de l’espace, et après faire déguerpir. C’est plus humain.» Un plaidoyer pour une planification mieux pensée, qui place l’humain au cœur des projets d’urbanisme.

Un projet qui piétine, des doutes qui émergent

Cette impression d’un projet précipité est renforcée par le retard observé sur le terrain.

Après les démolitions, plus rien, ou presque. L’herbe a commencé à repousser sur les terrains libérés, et l’absence d’activité de construction interroge. Jean Marie Moulengui, un autre habitant, exprime sa perplexité. «Je me pose la question de savoir ce qui se passe réellement parce que là, il y a un grand retard.» Le doute s’installe, laissant craindre que les sacrifices demandés aux populations ne soient pas suivis des réalisations promises.

Pourtant, le projet affiché est ambitieux. Le futur Boulevard de la Transition s’inscrit dans un vaste plan de modernisation des infrastructures de Libreville. Son objectif: améliorer la fluidité du trafic, réduire les embouteillages de la capitale et renforcer la sécurité des usagers. Une fois achevée, cette artère doit désengorger le centre-ville et faciliter la vie des Librevillois.

Foi dans les autorités et geste symbolique

Face aux sceptiques, certains habitants gardent confiance. Arthur Beoli Mabadi croit à la bonne foi des autorités et appelle à la patience. «On a cassé, il faut faire un terrassement. Il faut que les topographes viennent faire leur travail. Les sociétés adjudicataires doivent être payées pour pouvoir lancer les travaux. Mais tout ça prend du temps. Personnellement, j’ai rassuré les frères que si le gouvernement a pris l’initiative de casser, c’est pour réaliser quelque chose ici, un peu comme avec la Baie des Rois.»

Un début de concrétisation de la promesse de l’État est intervenu le 15 août dernier. Le président Brice Clotaire Oligui Nguema a procédé à la remise des clés de logements aux populations déguerpies. Pour le ministre de l’Habitat et du Cadastre, Ludovic Megne Ndong, ce geste était plus qu’une simple formalité: «promesse tenue» et «dignité restaurée».

Au total, plus de 260 logements de type F3 et F4, entièrement financés par le chef de l’État pour un montant de 2,5 milliards de FCFA, ont été attribués à un premier groupe de personnes vulnérables.

Alors que les pelleteuses pourraient bientôt reprendre du service, Plaine-Orety reste un symbole des douloureuses mutations urbaines. Un lieu où la modernisation promise se heurte encore à la détresse tangible et où la réalisation des grands travaux sera jugée à l’aune de sa capacité à ne laisser personne sur le bord de la route.

Par Ismael Obiang Nze (Libreville, correspondance)
Le 18/10/2025 à 14h06