Mais une éventuelle interdiction des autorités sur l’importation de vêtements de seconde main menace de réduire à néant le seul moyen de subsistance pour Hadija Nakimuli et des dizaines de milliers d’autres vendeurs.
Le président Yoweri Museveni a récemment «déclaré la guerre» aux vêtements d’occasion importés essentiellement des Etats-Unis et d’Europe, affirmant vouloir «promouvoir les vêtements africains».
«Où est notre avenir s’ils arrêtent les vêtements d’occasion?», s’interroge Hadija Nakimuli, 62 ans et mère de douze enfants, en fouillant dans sa réserve bigarrée de sous-vêtements, robes, chaussures et sacs.
Le tentaculaire marché d’Owino, existe depuis 1971 et quelque 80.000 personnes, dont 70% de femmes, y travaillent, selon les autorités de Kampala.
«En dehors des étudiants, mes clients sont aussi des ministres et des parlementaires qui m’appellent pour livrer des vêtements dans leurs bureaux climatisés», explique Joseph Barimugaya.
«Il ne faut pas toucher à ce commerce. Tout le monde en profite, y compris le gouvernement qui perçoit des impôts», assure ce père de quatre enfants.
Chaque jour, des centaines de clients se pressent à travers les venelles séparant les étals de fortune en bois, à la recherche de bonnes affaires.
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«En tant qu’enseignant, je gagne moins de 500 000 shillings ougandais (environ 120 euros). Si je dois acheter un nouveau vêtement, cela signifie dépenser tout mon salaire», constate Robert Twimukye, 27 ans, en faisant ses emplettes à Owino.
Et il n’est pas le seul.
Bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels disponibles, selon les estimations de l’Association ougandaise des revendeurs de vêtements et de chaussures d’occasion, quelque 16 millions de personnes, soit un Ougandais sur trois, achètent des vêtements d’occasion.
Vêtements de «personnes décédées»
«Tout le monde aime les vêtements d’occasion. Il n’y a qu’un petit nombre de personnes en Ouganda qui puissent se permettre de nouveaux vêtements», soutient Allan Zavuga, directeur de l’enseigne Think Twice, qui emploie 30 personnes dans trois succursales dans le pays.
Interdire l’importation de vêtements d’occasion «ne rend pas service à la population et au pays dans son ensemble», poursuit-il, évoquant le coût environnemental de la production de nouveaux vêtements.
L’Afrique de l’Est importe plus de 12% des vêtements d’occasion exportés dans le monde, créant des emplois pour quelque 355.000 personnes qui gagnent 230 millions de dollars par an, selon une étude réalisée en 2017 par l’agence humanitaire du gouvernement américain, l’USAID.
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Mais l’importation de vêtements d’occasion est souvent critiquée par les gouvernements sur le continent africain, dénonçant les conséquences négatives sur l’industrie locale du textile.
«Ces vêtements proviennent de personnes décédées dans un pays étranger. Lorsqu’une personne blanche meurt, les vêtements sont (...) envoyés en Afrique», avait affirmé en août le président Yoweri Museveni.
Le ministre ougandais en charge du commerce, David Bahati, soutient dans un entretien à l’AFP qu’il s’agit d’une question de «dignité».
Si l’interdiction se concrétise - le gouvernement l’examinera en janvier - «nous pourrons remplacer ces vêtements de seconde main», affirme-t-il, tout en reconnaissant que cela prendra du temps: «Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, mais nous pouvons le faire de manière progressive».
Et les autorités de Kampala sont prêtes à offrir des «incitations» aux investisseurs, défend David Bahati, «telles que des exonérations fiscales».
«Pauvreté abjecte»
Ce n’est pas la première fois que les autorités proposent cette interdiction.
En 2016, le président Museveni, qui dirige le pays d’une main de fer depuis 1986, avait déjà tenté de bannir les vêtements d’occasion importés dans le cadre d’une initiative régionale, mais elle s’était heurtée à l’opposition frontale de l’Association des commerçants de Kampala. Mais aussi à des pressions diplomatiques.
D’abord uni, le bloc régional de la Communauté de l’Afrique de l’Est s’était fissuré après que le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda ont rechigné à la perspective de représailles américaines.
Seul le Rwanda était allé au bout de l’initiative, en imposant des taxes en 2016 sur les vêtements d’occasion, entraînant une baisse des importations.
En représailles, les Etats-Unis ont suspendu des avantages commerciaux pour Kigali.
Dans les allées du marché d’Owino, les commerçants ont peur de perdre leur seul moyen de subsistance, dans un pays où 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.
«Qui le gouvernement a-t-il consulté (avant de décider) d’interdire l’occasion?», s’interroge Harriet Musoke Kyambadde, commerçante et mère de trois enfants, la voix tremblante. Si l’interdiction entre en oeuvre, «cela m’entrainera dans la pauvreté abjecte».